La dénutrition, une crise silencieuse qui menace notre cerveau

L'Anses estime qu'en France, 80 % des cerveaux seraient dénutris. Un mal invisible et dévastateur, aux conséquences désastreuses.

De Amandine Venot
Publication 29 janv. 2025, 16:14 CET
Illustration montrant un cerveau se décomposant lentement.

Illustration montrant un cerveau se décomposant lentement.

PHOTOGRAPHIE DE Alexey Kotelnikov / Alamy Banque d'Images

La fédération mondiale des sociétés de psychiatrie biologique (WFSBP) l’affirme, en France l’Anses le confirme. Nos cerveaux sont si sévèrement dénutris que le nombre de maladies neuro-inflammatoires se multiplient, causant dans toute la population une augmentation de notre vulnérabilité au stress, à la dépression, aux troubles de l’attention, limite les neurotransmissions, et dans le pire des cas, engendre un déclin cognitif, puis des pertes de mémoire jusqu’à atteindre la démence. 

Les causes sont diverses. « D’un côté, l’alimentation moderne manque cruellement de nutriments essentiels pour le cerveau, d’un autre côté, cette même alimentation pompe nos ressources immunitaires à cause de l’inflammation qu’elle créée », explique Guillaume fond, auteur de Bien nourrir son cerveau, docteur en psychiatrie et chercheur en biologie cellulaire moléculaire et psycho-nutrition au Centre d'Études et de Recherche sur les Services de Santé et la Qualité de Vie (CEReSS) de la faculté de médecine de Marseille. 

Cette neuro-inflammation réduit, chez les personnes concernées, leur capacité à synthétiser des hormones, notamment la sérotonine, hormone de la santé mentale, impliquée dans la gestion des humeurs. Mais alors, comment lutter ? Quels nutriments favoriser pour limiter les symptômes ? 

 

L’OMÉGA-3 DHA

Les omégas-3 DHA, ou acides docosahexaénoïques, sont les plus abondants dans le cerveau, favorisant la liaison de la dopamine à son récepteur D2R, pourtant c’est aussi l’insuffisance dont on parle le moins. Une méta-analyse menée par DSM-firmenich, en collaboration avec l’équipe de cardiologie du docteur Dominik D. Alexander du département d’épidémiologie de l’institut EpidStat, indique que 83 % de la population mondiale vit dans des pays où l’apport moyen en EPA (santé cardiovasculaire) et en DHA (santé du cerveau) est inférieur aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En France, l’Anses affirme que « la plupart de la population française est bien en dessous de la norme, uniquement les personnes vivant sur les littoraux ont de meilleurs taux d’oméga-3 ». 

Pourtant, plusieurs recherches ont démontré les bienfaits du DHA pour la santé mentale. « Des essais randomisés contre-placebo ont prouvé qu’ils étaient efficaces pour toutes les formes de dépression quelque soit le niveau de sévérité, soit seuls, soit en adjonction avec des anti-dépresseurs par exemple », affirme le docteur. 

L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Anses recommandent une consommation de 250 à 500 mg par jour de DHA pour les adultes. Pour en consommer, la solution habituellement recommandée est d’augmenter sa consommation journalière de poissons gras tels que le saumon ou la sardine. Mais cette solution « miracle » est irréaliste, et ce pour deux raisons. « Au niveau planétaire, avec une population de 8,2 milliards d’habitants en 2024, il faudrait sept fois le stock mondial de poissons gras que ce qui est actuellement à notre disposition, pour nourrir l’humanité », explique Guillaume Fond. Par conséquent, « d’un point de vue environnemental, cette recommandation est irréalisable ». 

Ensuite, la question de la pollution aux métaux lourds est à prendre en compte avec sérieux. Depuis quelques années, les autorités sanitaires alertent sur le sujet. Notamment sur le fait que les polluants s’accumulant dans les graisses, les poissons gras contiennent davantage de métaux lourds que les poissons maigres. Plus globalement, ce sont les plus gros poissons, en haut de la chaîne alimentaire, qui concentrent les plus hauts niveaux de méthylmercure ou de cadmium, voire de pesticides. « Et cela sans compter les pertes trophiques », ajoute Guillaume Fond « 90 % du DHA sont perdus au bout de la chaîne alimentaire des poissons ». 

Comment se développe notre cerveau au fil du temps ?

Ces chiffres rendent difficile l’application des anciennes recommandations devenues obsolètes. Aujourd’hui, augmenter sa consommation de poissons gras présente plus de risques que de bienfaits. « Les métaux lourds sont très bien absorbés par les graisses, or le cerveau est l’organe le plus graisseux du corps humain, après le tissu adipeux – la graisse autour de nos organes », poursuit Guillaume Fond. Une consommation trop importante de poissons gras pourrait donc « engendrer de la neuro-inflammation, et par la suite des troubles de la santé mentale […] Les personnes les plus vulnérables sont les jeunes enfants et les personnes âgées ».

L’Anses recommande en conséquence, depuis une quinzaine d’années, de ne « consommer [que] deux portions de poissons par semaine, dont un poisson gras ». Les scientifiques aussi, avec ce constat, se sont tournés vers le tout début de la chaîne alimentaire du poisson pour trouver une source d’oméga-3. « La véritable source se trouve dans les microalgues présentes dans les océans, et dont se nourrissent les petits poissons, qui les concentrent dans leur chair, puis qui sont mangés par les plus gros poissons et ainsi de suite », souligne Guillaume Fond. « L’idée serait d’extraire en grosses quantités ce DHA, en cultivant les algues afin d’en produire de l’huile ».

 

LA VITAMINE D

Au Centre d’Etude et de Recherche sur les Services de Santé et la Qualité de vie (CEReSS) où travaille Guillaume Fond, « 100 % des personnes admises en consultation pour dépression présentent une insuffisance en vitamine D », rappelle le médecin. L’Anses indique par ailleurs que « parmi toutes les vitamines, la vitamine D est celle qui fait l’objet de plus d’insuffisance dans la population ».

Pourtant, là encore, ce nutriment joue un rôle clé dans la santé mentale et dans la santé générale. Selon l’Anses, la vitamine D participe à « une bonne transmission nerveuse, une contraction musculaire efficace, la régulation hormonale, la différenciation et l’activité des cellules du système immunitaire », entre autres. L’agence prescrit ainsi : « la référence nutritionnelle pour la population (RNP) est de 15 microgrammes par jour pour les adultes, en plus d’une exposition régulière aux rayons UV du soleil ». Par chance, la vitamine D a d’autres sources que les poissons gras, dont les champignons et le jaune d’œuf.

Toutefois, il reste important de se supplémenter en vitamine D en plus d’une alimentation variée puisque les quantités trouvées dans les champignons ou les jaunes d’œufs sont si infimes, qu’il faudrait en manger une grande quantité tous les jours pour atteindre les recommandations de l’Anses. Il est aussi recommandé de « s’exposer au maximum aux rayons du soleil, particulièrement en hiver, pendant une période d’au moins vingt minutes et sur une large surface de peau, idéalement le torse », affirme Guillaume Fond.

Les carences en DHA et en vitamine D ne sont pas les seuls manques dont souffre notre cerveau. « Le métylpholate ou vitamine B9 active et le Zinc ont montré de multiples bénéfices pour la santé mentale et devraient également être priorisés dans notre alimentation », juge le médecin. Il met néanmoins en garde sur les dangers d’une consommation supérieure au seuil de toxicité. « Tous les minéraux peuvent être toxiques à forte dose ». 

 

UN BESOIN DE POLITIQUES PUBLIQUES

« Le cerveau, nous le savons, est dans l’incapacité de stocker les nutriments, et se vide progressivement de ses stocks s'ils ne sont pas utilisés », commence le docteur Fond. « Surtout pour les personnes plus âgées, qui dès le milieu de la vie, commencent petit à petit à perdre leurs capacités d’absorption des nutriments par les organes ».

Pour ralentir ce processus, « nous avons besoin de politiques de santé publique », affirme-t-il. Il existe déjà depuis plusieurs années un Plan National de Nutrition de Santé (PNNS), « mais qui n’a pas démontré son efficacité au regard des chiffres récents », juge Guillaume Fond. « Force est de constater que c’est jusqu’alors un échec, lorsqu’on regarde l’épidémie de troubles alimentaires chez les plus jeunes ». 

Le chercheur aimerait voir apparaître « dans les hôpitaux et dans les cantines scolaires, des supplémentations systématiques en nutriments, à commencer par les omégas-3 ». Pour lui, « ce type de politiques publiques, en plus d’améliorer la santé mentale de la population, permettrait de lutter contre une vraie injustice sociale puisque la population, toutes classes sociales confondues, aurait les moyens de se supplémenter ». 

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