Derrière votre microbiote se cache un autre biote tout aussi important : le mycobiote
Le mycobiote désigne les communautés de champignons installées dans l'intestin, la peau ou le système respiratoire dont l’impact sur la santé éveille peu à peu l’intérêt des scientifiques.
D'après les études, les patients souffrant du syndrome de l'intestin irritable présenteraient un taux supérieur du champignon Candida albicans dans leur intestin. Ces dernières années, les scientifiques ont commencé à s'intéresser à l'impact sur la santé des champignons présents dans notre microbiote.
Depuis quelques années, le microbiote intestinal fait l'objet d'une attention toute particulière en raison du lien établi par de nombreuses études scientifiques entre sa composition et divers problèmes de santé, allant du syndrome de l'intestin irritable aux troubles neurologiques.
De la multitude d'organismes microscopiques peuplant notre microbiote intestinal, les bactéries sont probablement les plus convoitées. Pourtant, nos intestins abritent d'autres organismes infiniment petits qui pourraient bien être tout aussi importants pour notre santé… et ils sont souvent négligés.
Votre microbiote possède son propre mycobiote, des communautés de champignons vivant dans l'intestin, la peau et le système respiratoire. À en croire de récentes études, le mycobiote jouerait un rôle dans la protection contre certains microbes dangereux et la régulation du système immunitaire, mais il pourrait également être à l'origine de certaines maladies chroniques.
Les scientifiques ont lié les communautés de champignons présentes dans l'intestin à une myriade de maladies, notamment le COVID long et des dizaines d'autres troubles intestinaux, neurologiques et respiratoires. Même si les chercheurs commencent seulement à saisir l'impact de ces organismes sur notre santé, voici un aperçu de l'état actuel des connaissances.
QU'Y A-T-IL DANS LE MICROBIOTE ?
Les chercheurs étudient le microbiote bactérien depuis des siècles, mais ils ont en grande partie ignoré le mycobiote, indique Mahmoud Ghannoum, microbiologiste à l'origine du terme anglais « mycobiome » et professeur rattaché aux établissements Case Western Reserve University School of Medicine et University Hospitals Cleveland Medical Center. Il est également le cofondateur de la société BIOHM Health, impliquée dans le développement de compléments alimentaires et de produits biothérapeutiques à base de probiotiques.
Le mycobiote représente environ 0,1 % du microbiote, un terme qui en plus des bactéries et des champignons inclut également les archées, les virus et les parasites qui colonisent la peau, les intestins, le système respiratoire et le système urogénital. Si les scientifiques ont identifié plusieurs centaines d'espèces fongiques dans les intestins humains, quelques dizaines seulement sont communes à l'ensemble des individus.
Les champignons ont beau être en minorité dans le microbiote, ils n'en sont pas moins extrêmement importants selon les chercheurs. La science nous montre que les champignons influencent la croissance et la diversité des bactéries. Ensemble, ces populations nous aident à digérer les aliments et nous protègent contre les maladies. Pour Siew Ng, professeur et praticien au sein de l'université chinoise de Hong Kong où elle dirige le centre de recherche sur le microbiote intestinal, le microbiote s'apparente à l'écosystème florissant d'une forêt tropicale. « Ils sont là pour nous protéger, » affirme-t-elle.
Il arrive toutefois que ces populations microbiennes échappent à tout contrôle et lorsque certains champignons s'emparent du microbiote, ils peuvent provoquer des dégâts. Comme nous l'explique Ghannoum, champignons et bactéries peuvent former une « plaque » digestive dense connue sous le nom de biofilm qui résiste aux antibiotiques et forme une barrière visant à empêcher l'organisme d'absorber des nutriments.
Voici à quoi ressemble C. albicans à l'échelle cellulaire. Cette image a été obtenue par microscopie électronique à balayage, une technique qui utilise un faisceau d'électrons au lieu de la lumière pour immortaliser un spécimen scientifique. Des couleurs réalistes peuvent ensuite être ajoutées en s'appuyant sur les observations au microscope optique.
Cet état d'instabilité microbienne est connu sous le nom de dysbiose. Il peut être provoqué par un traitement à base d'antifongiques ou d'antibiotiques à spectre large, ou plus simplement par une mauvaise alimentation. Les scientifiques ont associé cet état à de nombreuses maladies, et pas uniquement à des maladies intestinales.
QUEL EST L'IMPACT DU MYCOBIOTE SUR LA MALADIE ?
Les outils modernes de séquençage génétique permettent aux chercheurs d'identifier l'ensemble des microbes présents dans les intestins et les autres organes d'un individu. En comparant les mycobiotes de sujets sains à ceux de sujets malades, les études montrent que les patients atteints du syndrome de l'intestin irritable ont tendance à présenter un taux plus élevé du champignon Candida albicans dans leur système intestinal. De la même façon, les scientifiques ont associé la dysbiose à la maladie cœliaque, aux maladies inflammatoires de l'intestin, au cancer colorectal et à d'autres troubles intestinaux.
De son côté, en étudiant le mycobiote de personnes atteintes d'obésité, Siew Ng a constaté qu'elles possédaient des mycobiotes intestinaux différents des individus non obèses. Dans le cadre d'une étude à paraître, elle tente actuellement de vérifier la théorie selon laquelle certaines bactéries et certains champignons seraient plus efficaces que d'autres dans la décomposition des graisses. La scientifique pense d'ailleurs avoir isolé un champignon impliqué dans la dégradation des graisses.
La pandémie de COVID-19 a fourni aux scientifiques de précieuses informations sur la façon dont le mycobiote influence la maladie. Cela faisait près de dix ans que l'étude du lien entre les champignons et le syndrome de l'intestin irritable occupait les journées d'Iliyan Iliev, immunologiste et professeur de microbiologie et d'immunologie au sein du Weill Cornell Medical Institute de New York. Lorsque la pandémie a éclaté, il s'est immédiatement consacré à la COVID-19 et c'est dans ce cadre qu'il a fait une découverte surprenante : les patients souffrant d'une forme grave de la maladie à coronavirus présentaient des taux anormalement élevés d'antigènes ordonnant au système immunitaire d'attaquer les champignons, même si aucune infection fongique n'était détectée. Plus le cas était sévère, plus ces patients produisaient de tels antigènes.
En poursuivant l'analyse de sang et de selles des patients atteints d'une forme grave de la maladie, Iliev et son équipe ont découvert que les champignons intestinaux pouvaient déclencher une inflammation dévastatrice dans les poumons suite à une infection à la COVD-19 en stimulant les cellules immunitaires appelées neutrophiles. Ces cellules génèrent des taux importants d'une protéine pro-inflammatoire, la cytokine IL6, et peuvent se maintenir à un niveau élevé jusqu'à un an après l'infection.
« Vous êtes dans une situation où votre système immunitaire est toujours en état d'alerte, » résume Iliev.
Le mycobiote pourrait également être un composant essentiel de l'axe intestin-cerveau, le canal de communication à double sens établi entre les deux organes. Certains travaux ont montré que les individus autistes présentaient un mycobiote différent de la flore intestinale fongique des sujets non autistes. En dehors des intestins, les déséquilibres fongiques sont également liés à des maladies respiratoires comme l'asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, ainsi qu'à diverses affections cutanées.
COMMENT AMÉLIORER VOTRE MYCOBIOTE ?
À ce stade, comme le souligne Siew Ng, la plupart des études n'ont fait que constater une corrélation entre déséquilibre du mycobiote et maladie. La prochaine étape sera de déterminer s'il existe un lien de causalité. Pour cela, les scientifiques peuvent s'appuyer sur l'étude des souris sans germe, explique-t-elle, un processus qui consisterait à introduire des microbes dans les intestins de l'animal pour voir s'il développe des symptômes de maladie gastro-intestinale.
Le véritable « Saint-Graal », selon la scientifique, serait de mettre à profit le mycobiote pour soigner des maladies.
Et la science est déjà à pied d'œuvre. Des chercheurs tentent actuellement de développer des médicaments ou des compléments alimentaires qui permettraient de réinstaurer l'équilibre du microbiote, champignons inclus. D'après les résultats récemment publiés par Ghannoum, les compléments alimentaires conçus pour dégrader les biofilms fongiques et bactériens tout en rééquilibrant l'intestin pourraient potentiellement atténuer les symptômes gastro-intestinaux.
« Ce n'est que le début, » précise Ghannoum.
Pour Siew Ng, qui n'a pas participé à cette étude, ce type d'intervention est prometteur. « Je pense que pourrons soigner un grand nombre d'affections avec ce type de traitement, » assure-t-elle.
Avec ses collègues, Siew Ng a déjà montré que la transplantation fécale pouvait s'avérer efficace dans le traitement de certaines pathologies. Elle a notamment réussi à traiter la maladie du greffon contre l'hôte, qui se produit lorsque le receveur d'une transplantation rejette les nouveaux tissus. En isolant les microbes dans les selles de sujets en bonne santé et en les transplantant chez les patients malades, la chercheuse est parvenue à réduire les symptômes de la maladie du greffon contre l'hôte chez l'enfant.
Pour les personnes en bonne santé, les experts affirment à l'unisson que la meilleure façon d'entretenir son mycobiote et son microbiote est d'adopter une alimentation variée, riche en fruits et en légumes fibreux, de faire de l'exercice et de gérer son stress. À l'inverse, la consommation d'alcool, le tabagisme et les régimes riches en sucres et en sel transformés risquent de perturber le mycobiote, ajoute Ghannoum.
« Comme je le dis toujours, le microbiote est un jardin. Pendant l'été, il faut fertiliser les fleurs et retirer les mauvaises herbes, » illustre Ghannoum. « Son état est entre nos mains : nous pouvons faire la même chose pour rééquilibrer notre intestin et rester en bonne santé. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.