Une analyse ADN dévoile un mystérieux cousin à grandes dents de l'être humain

Une nouvelle analyse ADN indique que les Dénisoviens, découverts il y a peu, ont vécu en Sibérie pendant plusieurs millénaires.

De Michael Greshko
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Une molaire retrouvée sur le site archéologique de la grotte de Denisova apporte une importante preuve génétique de l'existence de l'espèce d'hominidés Dénisovien découverte en 2010 seulement. La dent appartenait à une femme qui a vécu il y a plus de 50 000 ans.
Photo Robert Clark- National Geographic

L’analyse d’une dent fossilisée de Sibérie révèle que le peuple mystérieux que l’on appelle les Dénisoviens, découverts il y a seulement sept ans, ont existé pendant des dizaines de milliers d’années aux côté des humains modernes et des Néandertaliens.

La découverte souligne que nos ancêtres Homo sapiens partageaient le continent eurasien avec d’autres peuples humanoïdes. Les humains modernes ont vécu pendant des centaines de milliers d’années aux côtés des Néandertaliens, une autre espèce d’hominidés qui s’est éteinte il y a environ 40 000 ans. Il semblerait que les Dénisoviens auraient également été de la partie.

Cette nouvelle étude, publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, marque une avancée importante dans la compréhension de la place des Dénisoviens dans l’arbre généalogique humain.

En 2010, plusieurs équipes de généticiens et d’anthropologues dirigées par Svante Pääpo de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste avaient annoncé la découverte d’étranges séquences ADN dans une phalange et une molaire retrouvées dans le lieu reculé de la grotte de Denisova, dans le massif de l’Altaï en Sibérie.

« C’est un lieu incroyable, » commente Pääbo, « car c’est en fait le seul endroit au monde où nous savons que trois groupes d’humains différents et à l’histoire très différente ont cohabité. »

L’analyse ADN de la phalange et de la dent a mis en lumière les influences laissées par les Dénisoviens sur les humains modernes, contribuant à environ 5 % du génome moderne des Mélanésiens, qui vivent en Papouasie-Nouvelle Guinée et dans d’autres régions du Pacifique.

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La réplique du fragment d'os ayant permis la découverte des Dénisoviens en équilibre sur l'auriculaire du généticien évolutionniste Svante Pääbo.
Photo Robert Clark- National Geographic

LE COUSIN MANQUANT

Mais les chercheurs ne savaient toujours presque rien sur ces hominidés d’autre que leur existence et l’ombre génétique qu’ils projettent sur notre présent. Qui étaient les Dénisoviens ? Combien de temps ont-ils vécu dans les montagnes de l’Altaï ? Et les Dénisoviens avaient-ils vraiment de si énormes dents, ou bien les chercheurs sont-ils tombés sur une bizarrerie biologique ?

Heureusement, la grotte de Dénisova avait d’autres mots à dire à ce sujet. En 2010, les chercheurs ont retrouvé une deuxième dent de sagesse, enterrée profondément à l’arrière de la grotte. C’est Bence Viola, anthropologue à l’Université de Toronto, qui a mené l’analyse dentaire. Il avait déjà examiné la première dent de sagesse dénisovienne, la prenant alors pour la dent d’un ours des cavernes à cause de sa taille et de ses grandes racines écartées.

Viola a réalisé que les deux dents concordaient et qu’elles se différenciaient de celles des humains modernes et des Néandertaliens, probablement la première indication qu’une des caractéristiques dénisoviennes était d’avoir de grandes dents.

S’il est difficile d’imaginer à quoi pouvait ressembler un Dénisovien à grandes dents (les dents de sagesse sont après tout connues pour la grande variété de leurs formes), il ne fait peu de doute qu’une « grande dent aux énormes racines signifiait certainement une énorme mâchoire, » commente Viola.

 

MYSTÈRE ADN

Les résultats soulignent également les innovations génétiques de plus en plus utilisées par les chercheurs pour regarder sous le voile du temps. « C’est un très bon article représentatif de la nouvelle science de pointe qu’est la paléoanthropologie, » affirme Pontus Skoglund, post-doctorant à l’Université de Harvard, qui n’a pas participé à l’étude.

Susanna Sawyer, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste a dirigé l’effort génétique de description et de datation de la dent retrouvée récemment.

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    L'étudiante Zoya Gudkova fait une pause pendant les fouilles de la grotte de Denisova, dans le massif d'Altaï en Sibérie.
    Photo Robert Clark- National Geographic

    Son équipe s’est dirigée vers l’ADN mitochondrial de la dent, un morceau de matériel génétique qui passe mieux l’épreuve du temps dans un fossile.

    Il n’a pas été facile de retrouver un morceau propre d’ADN dénisovien. Sawyer et Pääbo ont dû identifier et exclure la contamination par les humains modernes, les bactéries anciennes et modernes, ainsi que les hyènes anciennes qui semblent avoir pendant longtemps occupé la grotte.

    Une fois l’ADN mitochondrial de la nouvelle dent récupéré, Sawyer a pu confirmer qu’il était bel et bien dénisovien. Cet ADN a également permis à Sawyer de reconstruire le génome mitochondrial de l’ancêtre commun des trois individus retrouvés dans la grotte.

    L’ADN de l’ancêtre commun a à son tour permis à l’équipe d’établir un point de comparaison, calibrant le chronomètre génétique de représentation des mutations à chaque tic. Le génome des individus dénisoviens morts à une époque plus proche de celle de l’ancêtre commun afficherait moins de mutations que celui des Dénisoviens plus récents. Sawyer a trouvé que la dent avait moitié moins de mutations que les autres restes, suggérant une plus grande ancienneté.

    La divergence indique que le Dénisovien à qui appartenait cette dent vivait environ 60 000 ans avant les individus dont la phalange et l’autre dent ont été retrouvées. Au moins, cet arbre généalogique miniature montre que les Dénisoviens formaient un seul groupe biologique ayant vécu dans la région de façon sporadique pendant au moins aussi longtemps que les humains modernes.

    « Le monde à cette époque devait être bien plus complexe qu’on ne le pensait jusque-là, » dit Sawyer. « Qui sait quels autres hominidés ont existé, et l’effet qu’ils ont eu sur nous ? »

     

    MAIS À QUOI RESSEMBLAIENT-ILS ?

    Les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre.

    Premièrement, les chercheurs ne connaissent pas l’âge des fragments dénisoviens, si ce n’est qu’ils ont plus de 50 000 ans, soit le résultat fiable le plus ancien que l’on peut retrouver avec la datation au radiocarbone.

    Quant à l’emplacement dans l’arbre généalogique humain, de récentes découvertes semblent contredire les analyses de 2010 portant sur les noyaux de cellules plutôt que l’ADN mitochondrial. La nouvelle étude laisse supposer que les Dénisoviens ne sont peut-être pas si proches des Néandertaliens qu’indiqué par les recherches précédentes.

    Le fait de ne pas connaître l’apparence, les mouvements et les comportements des Dénisoviens n’aide en rien les scientifiques. « Paradoxalement, on sait beaucoup de choses sur eux d’un point de vue génétique, » commente María Martinón-Torres, anthropologue à l’Universiy College de Londres, qui n’a pas participé à l’étude.

    ARBRE GENEALOGIQUE
    D'après une étude de 2010, les Néandertaliens et les Dénisoviens étaient étroitement liées. La comparaison de leur ADN indique que nos ancêtres se séparèrent des leurs il y a 500 000 ans.
    PHOTOGRAPHIE DE Chip Clark, Smithsonian Institution

    Heureusement, il pourrait y avoir d’autre Dénisoviens cachés dans toute l’Asie, ou accidentellement mal étiquetés dans les musées comme humains ou Homo erectus, un ancêtre hominidé. Les auteurs de l’étude indiquent particulièrement des récentes trouvailles faites dans le sud de la Chine, où des anthropologues ont retrouvé des dents humaines âgées de 80 000 à 120 000 ans qui arborent des caractéristiques modernes et anciennes, à l’instar des dents dénisoviennes.

    « Cela ne m’étonnerait pas que certaines de ses dents soient dénisoviennes, » dit Martinón-Torres, qui a analysé les dents chinoises.

    Mais les chercheurs ne pourront pas avoir la certitude que les Dénisoviens se cachent sous nos yeux tant qu’ils n’auront pas mené des tests génétiques supplémentaires.

    « C’est assez surréaliste, » dit Sawyer. « Parfois, quand je suis dans la salle blanche, je ne peux pas m’empêcher de penser à quel point il est incroyable d’être en possession de l’un des seuls restes connus à ce jour d’un nouveau groupe d’hominidé mystérieux. »

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