Dans les tunnels de feu : un voyage au centre de la Terre

Sur l’archipel espagnol des Canaries, des coulées de lave d’un volcan en éruption ont creusé des galeries s’étirant sur des kilomètres. Des scientifiques se risquent dans ces tunnels refroidis pour mieux comprendre la vie sur Terre, et peut-être ailleurs.

De Emma Lira
Photographies de Arturo Rodríguez
Publication 1 juin 2024, 10:12 CEST
En octobre 2021, à La Palma, Armando Salazar et Álvaro Heredia, membres des équipes d’intervention d’urgence de l’armée, effectuent ...

En octobre 2021, à La Palma, Armando Salazar et Álvaro Heredia, membres des équipes d’intervention d’urgence de l’armée, effectuent des prélèvements de lave. L’éruption du volcan a duré 85 jours, au cours desquels 7000 résidents ont été déplacés et 2800 édifices ensevelis.

PHOTOGRAPHIE DE Arturo Rodríguez

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On pourrait se croire sur une autre planète. Une surface déchiquetée, hostile, s’étend à perte de vue, entourée de pentes de cendre noire. Ce paysage résulte des dernières coulées de lave en date sur l’île de La Palma, dans l’archipel volcanique des Canaries, au large des côtes marocaines. Elles sont apparues à l’automne 2021, quand, pendant trois mois, le volcan Tajogaite a expulsé plus de 190 milliards de litres de roche en fusion.  

La traversée de la plupart des champs de lave est toujours réservée aux scientifiques et aux responsables des services de l’environnement. Sur place j’accompagne Octavio Fernández Lorenzo, vice-président de la Fédération de spéléologie des îles Canaries. L’homme, qui travaille avec l’Institut géologique et minier d’Espagne (IGME), est responsable des relevés et de l’exploration des tunnels que la lave a laissés dans son sillage. Ces structures, qui sont appelées lava tubes ou «tunnels de lave» dans la littérature scientifique, portent à La Palma un nom plus poétique : caños de fuego, c’est-à-dire « tuyaux de feu».

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    À l’entrée d’un tunnel de lave, où la température avoisine 60 °C, David Sanz Mangas, Eduardo Díaz Martín et Octavio Fernández Lorenzo prélèvent de la lave. Depuis juillet 2022, l’équipe explore les tunnels de lave produits par le volcan Tajogaite (à l’arrière-plan et sur la photo précédente). Ces ouvertures indiquent leur présence.

    PHOTOGRAPHIE DE Arturo Rodríguez

    Le spéléologue me tend un casque, vérifie nos réserves d’eau et se dirige vers une clôture où un panneau nous avertit de ne pas nous aventurer plus loin. La route qui nous a menés jusqu’ici s’interrompt brusquement, ensevelie sous une couche de lave. C’est un peu comme si nous laissions derrière nous la civilisation. 

    On trouve des tunnels de lave sur presque toute la planète –partout où une activité volcanique est, ou a été, enregistrée. À la différence des grottes « classiques », façonnées durant des millions d’années, ces cavités se forment en un instant géologique. Pour autant, tous les volcans ne créent pas des tunnels de lave. Pour cela, l’éruption doit durer assez longtemps et expulser une quantité suffisante de lave. De plus, celle-ci doit être assez chaude et avoir les bonnes caractéristiques physico-chimiques pour rester fluide. Enfin, elle doit dévaler une pente, et ce, à la bonne vitesse. 

    À environ 985 °C, la lave pahoehoe – « lisse», en hawaïen– peut s’écouler. « C’est le même mot qui est employé pour désigner une mer calme », me fait remarquer Octavio Fernández Lorenzo. Je me la représente très précisément. Une mer de lave incandescente et visqueuse, qui coule et se déverse sur les pentes du volcan. Au contact de l’air, la couche supérieure se refroidit et commence à se solidifier ; la croûte qui se forme constitue la voûte du tunnel. Sous ce couvercle thermiquement isolé, la lave continue de se répandre sans entrave sur des kilomètres. Quand l’éruption se calme et que les chenaux se vident, il en résulte un labyrinthe souterrain de conduits séparés de la surface par la seule croûte volcanique.

    Prenant appui sur un long bâton blanc qui l’aide à évoluer adroitement au-dessus de la lave durcie, Octavio Fernández Lorenzo m’avertit: « Placez vos pas dans les miens. Tout l’environnement ici est extrêmement fragile. »

    Du soufre s’échappant d’une crevasse sous forme de vapeur s’est cristallisé.

    PHOTOGRAPHIE DE Arturo Rodríguez

    Nous mettons une heure à atteindre le tunnel de lave, progressant sur une pente de fragments scoriacés. Il s’agit de lave aa, un autre terme hawaïen, qui signifie « rugueux et pierreux ». Ces expressions, liées au point chaud d’Hawaï fort bien étudié, ont été largement adoptées par les volcanologues. 

    Nous avançons lentement. Mon guide ramasse une minuscule roche pyroclastique d’un blanc immaculé et me la tend. Les chercheurs locaux lui ont donné le nom de « restingolite », en référence à l’éruption survenue dans la région de La Restinga, sur l’île voisine d’El Hierro, en 2011. À l’époque, la découverte de centaines de morceaux de cette roche flottant sur l’océan avait soulevé un débat scientifique qui, à la différence de l’éruption, n’est pas encore terminé. Une hypothèse sur leur origine: ces fragments proviendraient du soubassement de La Palma, lequel est formé par les sédiments océaniques d’un fond marin datant de deux millions d’années. David Sanz Mangas, un ingénieur géologue spécialisé dans l’étude des événements extrêmes et du patrimoine géologique à l’IGME, l’exprime à sa façon : « C’est comme regarder le passé à travers une fenêtre. »

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