Vous pensez constamment à la nourriture ? Voici comment apaiser votre esprit
Mieux connu sous le nom de "food noise", ce phénomène envahissant peut avoir d'importantes conséquences sur la santé mentale et physique des personnes qui y sont confrontées.
Le concept de « food noise », que l’on peut traduire par « bruit alimentaire », n’est pas nouveau, mais a récemment gagné en popularité avec l’essor important de l’Ozempic et du Wegovy, des médicaments analogues du GLP-1 utilisés pour soigner le diabète de type 2 et l’obésité, et qui auraient pour effet secondaire de soulager ces pensées envahissantes liées à l’alimentation. Selon les experts, certaines personnes passeraient 80 à 90 % de leurs journées à penser à la nourriture.
Le terme « food noise », que l’on peut traduire par « bruit alimentaire » ou « appel de la nourriture », est de plus en plus utilisé pour décrire des pensées intrusives, indésirables et envahissantes liées à la nourriture. Le concept n’est pas nouveau et ne correspond à aucun diagnostic médical, mais a récemment gagné en popularité parallèlement à l’essor important de l’Ozempic et du Wegovy, des médicaments analogues du GLP-1 (ou aGLP-1) utilisés pour lutter contre le diabète de type 2 et l’obésité, et qui auraient comme effet secondaire de limiter, voire d’éliminer ces pensées intrusives.
« Les patients qui prennent ces médicaments aGLP-1 reviennent nous dire qu’ils ont permis de soulager leur esprit, qui était auparavant parasité par des pensées liées à la nourriture », témoigne Robert Kushner, spécialiste en médecine de l’obésité et professeur au département de médecine et de formation médicale de la Feinberg School of Medicine de l’Université Northwestern, à Chicago. « C’est ce qui m’a fait découvrir le concept de "food noise". »
« Le "food noise" est fréquent de nos jours du fait de l’omniprésence de la culture des régimes alimentaires et des messages que nous recevons constamment sur ce qu’il est ou non acceptable de manger », explique Rachel Goldman, psychologue spécialisée dans le comportement alimentaire et professeure adjointe de psychiatrie à la faculté de médecine Grossman de l’Université de New York. « De nombreuses personnes ne se rendent pas compte de l’espace que ces pensées occupent dans leur cerveau jusqu’à ce qu’elles commencent à disparaître. »
DES RÉPERCUSSIONS SUR LA SANTÉ
Le concept de « bruit alimentaire » se distingue de la simple sensation de faim et de l’insécurité alimentaire, clarifie Lawrence Cheskin, professeur de nutrition et d’études alimentaires à l’Université George Mason et professeur adjoint de médecine à la faculté de médecine de l’Université Johns-Hopkins.
Dans un article publié en 2023 dans la revue Nutrients, des chercheurs ont défini ce concept comme « des ruminations et une préoccupation obsessionnelle à l’égard de la nourriture » qui peuvent être déclenchées par des signaux internes, comme un estomac qui gargouille ou le fait de penser à manger, ou par des signaux externes, comme lorsque l’on voit ou sent des aliments que l’on aime.
L’intensité et les effets de ces pensées varient en fonction des individus. Pour certains, elles peuvent prendre la forme d’un brouhaha mental incessant sur le contenu de leur prochain repas, le moment où ils le prendront, la quantité qu’ils mangeront, etc. Ils peuvent parfois même penser à leur prochain repas alors qu’ils sont encore en train de manger.
« Imaginez un graphique circulaire, puis réfléchissez au pourcentage de temps que vous passez à penser à la nourriture dans une journée », illustre Susan Albers, psychologue clinicienne à la Cleveland Clinic et autrice de l’ouvrage Manger mieux... en pleine conscience - Savourer une relation équilibrée avec la nourriture. « Les individus confrontés à beaucoup de "bruit alimentaire" peuvent passer 80 à 90 % d’une journée à penser à la nourriture. »
« Cela peut avoir des répercussions sur le sommeil [des personnes concernées], mais aussi mener à un sentiment de culpabilité ou de honte par rapport à l’alimentation, ainsi qu’à des pensées anxieuses », décrit Goldman. Ces pensées « peuvent empêcher une personne de fonctionner au mieux de ses capacités. »
De leur côté, les individus qui ne sont confrontés qu’à une quantité modérée de « bruit alimentaire » peuvent à peine remarquent leur présence, comme s’il s’agissait d’un léger bourdonnement en arrière-plan.
QUI EST CONCERNÉ ?
Tout le monde peut être concerné, mais les personnes en situation de surpoids ou d’obésité en font généralement plus souvent état que les autres, ce qui peut rendre la perte de poids d’autant plus difficile.
« Si vous êtes confronté à un niveau excessif de [pensées intrusives liées à l’alimentation], vous êtes plus susceptible d’agir pour essayer d’y remédier, et donc de manger », reprend Cheskin.
Selon une étude publiée dans la revue Obesity Reviews, une réactivité accrue aux signaux de faim peut en effet entraîner des fringales et déteindre sur le comportement alimentaire, facilitant ainsi la prise de poids. En outre, un rapport publié en 2024 par Weight Watchers et la STOP Obesity Alliance montre que « plus de la moitié des personnes souffrant de surpoids ou d’obésité sont confrontées à du "bruit alimentaire" », ce qui rendrait plus difficile de maintenir des habitudes alimentaires saines ou un programme d’exercice physique dans le temps.
Les personnes souffrant d’un trouble du comportement alimentaire ou d’une alimentation désordonnée sont particulièrement sensibles à ce phénomène. « Si vous restreignez votre alimentation ou sautez des repas, vous risquez d’être confronté à davantage de "bruit alimentaire", car votre corps vous envoie des signaux pour vous pousser à manger plus », explique Goldman.
Dans cette même idée, les personnes qui se fixent de nombreuses règles en matière d’alimentation ou qui ont l’habitude de s’adonner à des régimes restrictifs seront davantage confrontées à ces pensées. Par exemple, une étude publiée en 2024 dans la revue Appetite a révélé que le « bruit alimentaire » était très répandu chez les personnes souffrant d’orthorexie, un trouble alimentaire caractérisé par une volonté obsessionnelle de consommer des aliments sains, par la mise en place de règles alimentaires strictes et par des préoccupations excessives quant à la pureté des aliments.
« Le "bruit alimentaire" suscite beaucoup de honte et de jugement », affirme Albers, « ce qui peut avoir une incidence sur la relation aux autres, et ainsi conduire à un retrait social, mais aussi réduire l’implication des personnes concernées dans d’autres domaines de leur vie. »
LES EFFETS DES MÉDICAMENTS aGLP-1
Comment mentionné précédemment, les personnes qui prennent un médicament analogue du GLP-1, tel que l’Ozempic ou le Wegovy, font souvent état d’une réduction du « bruit alimentaire ».
Selon Cheskin, ces médicaments « agissent sur les récepteurs du cerveau et du système digestif liés à la faim et à l’appétit. Ils affectent certains des éléments qui déclenchent l’envie de manger ».
Il est également possible qu’ils aient une influence le système de récompense du cerveau d’une manière qui vient enrayer les pensées alimentaires intrusives. GLP-1 est l’abréviation de « glucagon-like peptide-1 », une hormone naturelle de l’organisme qui joue un rôle dans la régulation du taux de glucose dans le sang, de l’appétit et de la digestion. « Nous avons des récepteurs du GLP-1 dans tout le cerveau, y compris dans l’hypothalamus et le circuit de la récompense », décrit Kushner. « Ces médicaments vont toucher plusieurs récepteurs, ce qui diminue la libération continue de ces signaux [alimentaires indésirables] qui supplantent les autres pensées et émotions. »
En d’autres termes, « en perturbant les systèmes de récompense qui libèrent de la dopamine dans le cerveau, ces médicaments perturbent également les mécanismes de pensée désordonnés liés à la nourriture », explique W. Scott Butsch, directeur de la médecine de l’obésité au Bariatric and Metabolic Institute de la Cleveland Clinic.
Ce processus n’est pas surprenant car, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Addiction, les médicaments aGLP-1 seraient également efficaces pour aider les personnes souffrant de problèmes d’addiction. Cette étude a en effet démontré que, dans le cas de l’alcoolodépendance, le risque de consommation d’alcool jusqu’à l’ivresse diminuait de 50 % chez les individus qui prenaient ce médicament. De même, le taux d’overdose chez les personnes souffrant d’une addiction aux opioïdes diminuait de 40 % lorsqu’elles prenaient un aGLP-1.
« Certaines personnes ne se rendent compte qu’elles sont confrontées à du "bruit alimentaire" que quand elles commencent à prendre ce médicament et remarquent qu’elles parviennent à penser plus clairement et qu’elles ont davantage d’espace mental qu’avant », explique Butsch. « Nous ne savons pas si cela affecte leur poids, mais cette libération d’espace mental peut permettre une meilleure qualité de vie. »
SOULAGER CES PENSÉES INTRUSIVES SANS MÉDICAMENT
Les aGLP-1 et autres médicaments pour maigrir ne sont pas les seuls moyens de soulager ces pensées intrusives. Pour commencer, les experts recommandent d’examiner votre hygiène de vie, notamment vos habitudes liées au sommeil, à l’alimentation, à l’hydratation, à l’activité physique et à la gestion du stress. « Il est plus difficile de lutter contre ces pensées intrusives lorsque l’on est fatigué ou stressé », explique Goldman.
Il peut également être utile de tenir un journal pour identifier les comportements et situations qui conduisent à ces pensées. Une fois que vous avez identifié ces déclencheurs, « prenez des mesures pour les réduire. Si le "bruit alimentaire" est très intense lorsque vous passez cinq heures sans manger, essayez de passer à trois ou quatre heures », recommande Goldman.
Dans le même temps, efforcez-vous de manger régulièrement et de choisir des repas qui sont satisfaisants pour vous, aussi bien physiquement que psychologiquement. « Se donner la permission de manger ce que l’on veut peut avoir un effet étonnant sur la réduction du "bruit alimentaire" », révèle Albers. « Les restrictions et les sentiments de privation encouragent la survenue de ces pensées intrusives. »
Lorsque vous mangez, prenez votre temps et « mangez en pleine conscience. Prêtez attention aux propriétés sensorielles des aliments ». Cela vous aidera à apprécier au maximum ce que vous êtes en train de manger. En outre, selon la psychologue, faire de l’exercice ou s’adonner à des activités agréables qui stimulent la libération de dopamine, telles que la lecture ou la musique, peut également être d’une grande aide.
Gardez toutefois à l’esprit que ces pensées intrusives liées à l’alimentation sont bien plus courantes qu’on ne le croit, alors ne culpabilisez pas. Faites preuve de compassion envers vous-même, suggère Goldman. « La manière dont nous nous adressons à nous-mêmes a une importance, alors faites attention à ce que vous vous dites lorsque vous vous retrouvez confronté à du "food noise". »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.