Voyagez autrement en participant à une expédition botanique

Explorateurs scientifiques expérimentés, Agathe et Thomas Haevermans ont emmené quatre non-scientifiques avec eux en expédition à Madagascar. Conversation avec ces naturalistes globe-trotters.

De Julie Lacaze
Publication 9 oct. 2019, 14:15 CEST
CRÉATION ARTISTIQUE : CANDICE MEISSONNIER À PARTIR DE PHOTOS DE AGATHE HAEVERMANS (THOMAS HAEVERMANS) ET THOMAS HAEVERMANS ...
CRÉATION ARTISTIQUE : CANDICE MEISSONNIER À PARTIR DE PHOTOS DE AGATHE HAEVERMANS (THOMAS HAEVERMANS) ET THOMAS HAEVERMANS (AGATHE HAEVERMANS)

Elle est illustratrice scientifique, lui botaniste. Les naturalistes du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Agathe et Thomas Haevermans, conjuguent leurs talents pour explorer la flore du bout du monde. En partenariat avec Nomade Aventure, ils proposent au grand public de les accompagner dans leurs périples. Retour sur la première expédition de ce type qu’ils ont réalisée dans le nord de Madagascar, en novembre dernier.

 

Qu’avez-vous découvert lors de votre voyage dans le nord de Madagascar, en novembre 2018 ?

T.H. : Nous avons récolté une plante encore jamais identifiée officiellement. C’était d’ailleurs l’objectif scientifique de notre expédition. Nous sommes tombés dessus dès le premier jour, en arrivant à Antsiranana, également connue sous le nom de Diego-Suarez, une ville portuaire dans le nord de Madagascar. Elle était plantée juste devant notre hôtel. Je ne peux pas encore vous la décrire précisément : il faut attendre qu’elle fasse l’objet d’une publication scientifique, sinon quelqu’un d’autre pourrait s’approprier cette découverte.

A.H. : Il s’agit d’une énorme plante, presque un arbre, avec des fruits de plusieurs kilos. Elle est utilisée par la population locale pour la construction et l’alimentation. Je suis très émue d’avoir participé à sa découverte, qui portera probablement mon nom : agatheae.

 

Vous avez partagé pour la première fois une expédition avec des non-scientifiques, comment l’avez-vous vécu ?

T.H. : C’est très différent de nos missions habituelles. Il y a un programme à suivre, le rythme est plus soutenu. Les attentes des participants ne sont pas les mêmes que celles des scientifiques : ils souhaitent découvrir un maximum de choses en un minimum de temps.

A.H. : Ce type de projet est très intéressant. Les voyageurs se sont inscrits pour découvrir Madagascar, mais aussi le travail d’un botaniste et d’une illustratrice. Ils étaient donc ravis de voir Thomas constituer l’herbier destiné à collecter notre nouvelle découverte. Le groupe s’est étonné qu’une plante très courante pour la population locale puisse être méconnue des scientifiques. Ils ont ainsi retenu un grand principe de botanique : tant que les choses ne sont pas nommées, elles n’existent pas.

 

Pourquoi avoir choisi Madagascar pour ce premier voyage organisé ?

A.H. : Les paysages y sont uniques et étonnants. Pour ce premier circuit, nous avons parcouru le nord, à la découverte de régions très sèches. Notre objectif était les tsingy gris et les tsingy rouges, d’impressionnantes forêts de roches ayant pour origine des coraux qui se sont minéralisés quand la mer s’est retirée, il y a des millions d’années.

T.H. : Dans ce paysage aride, des plantes grasses de la famille des euphorbes se sont adaptées à vivre sur des cailloux. Elles mettent des siècles à pousser et peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres. Très prisées des collectionneurs, elles sont vendues sur tous les marchés du pays. Mais ces euphorbes survivent rarement à leur mise en culture. La flore de Madagascar est endémique à 85 %, ces plantes ne se trouvent nulle part ailleurs. Certaines poussent uniquement sur une montagne ou un groupe de rochers particuliers. Elles ont évolué dans un milieu isolé, une situation rare qu’on retrouve par exemple en Australie, en Afrique du Sud ou en Nouvelle-Calédonie.

Musa haekkinenii (banane sauvage du nord du Viêtnam) croquée par Agathe Haevermans.
PHOTOGRAPHIE DE © AGATHE HAEVERMANS/ISYEB/MNHN

Quelles principales menaces pèsent sur cette végétation si particulière ?

T.H. : Celle de l’homme essentiellement. En cause, l’agriculture traditionnelle, semi-nomade et sur brûlis, le prélèvement de bois précieux (le palissandre et l’ébène) et le braconnage. Le changement climatique s’ajoute à tout cela. Dans l’un des parcs que nous avons visités, deux baobabs millénaires venaient d’être détruits par un cyclone.

A.H. : Ces arbres sont aussi fragilisés par les populations locales, persuadées des bienfaits médicinaux de leur écorce. Ils sont ainsi blessés et, malheureusement, pas replantés. À l’inverse, certaines espèces étrangères, utilisées pour le charbon, le bois et l’agriculture, comme l’eucalyptus d’Australie, le pin du Mexique et des graminées d’Afrique, deviennent envahissantes.

 

Qu’est-ce qui vous a poussés à partager votre expérience avec le grand public ?

T.H. : C’était l’occasion de faire apprécier mon travail de botaniste, largement méconnu. Les questions qu’on me pose souvent – « Comment soigner mon ficus qui perd ses feuilles ? » – sont bien loin des réalités du métier.

A.H. : Nous aimons transmettre notre passion. Je dessine depuis quinze ans et donne des cours d’illustration scientifique. J’ai aussi créé la Société française d’illustration botanique.

 

Quels étaient les profils des participants au voyage ?

T.H. : Nous étions sept. Il y avait un cinéaste, des amateurs de dessin ou de plantes… et même notre fils, âgé de 11 ans, habitué à nous suivre dans nos expéditions.

A.H. : Les membres exerçaient des professions qui n’avaient souvent rien à voir avec la botanique et ils ne pratiquaient pas tous le dessin. Mais tout le monde s’y est mis ! Notre voyage était conçu pour s’adapter aux moins sportifs. Notre plus longue marche a consisté en une traversée de la forêt pendant six heures pour atteindre les tsingy. Le soir, nous dormions à l’hôtel. Nous n’avons passé qu’une seule nuit sous la tente, un moment très apprécié, à l’écoute du chant des oiseaux.

 

Quel sera votre prochain voyage de groupe et sur quelle thématique ?

A.H. : Nous nous rendrons à nouveau à Madagascar, et sur la même thématique illustration et botanique, mais en reliant cette fois le nord à l’est du pays.

T.H. : On pourrait élargir à des destinations dont je connais bien la flore : l’Indonésie, sur les petites îles de la Sonde, mais aussi l’Asie du Sud-Est, au Vietnam, au Laos ou au Cambodge.

 

Avez-vous des conseils pour les voyageurs qui souhaiteraient se lancer seuls dans une expédition botanique ?

T.H. : On n’a besoin de personne pour observer la nature. Mais pour récolter des plantes, il faut être détenteurs de permis spéciaux, qui ne sont délivrés qu’aux scientifiques. Les obtenir peut prendre plusieurs années.

A.H. : Pour le dessin, mieux vaut se munir d’un sac léger, multipoches, et y mettre un appareil photo, un carnet à couverture rigide, pour s’y appuyer lorsqu’il n’y a pas d’autre support, des crayons à papier, quelques stylos et feutres. Pour la couleur, on peut prendre des aquarelles et une petite bouteille d’eau.

 

Êtes-vous des passionnés de voyage en dehors de vos expéditions scientifiques ?

T.H. : Heureusement que j’aime voyager, je pars en mission dix fois par an ! Mais en dehors de celles-ci, je prends du temps pour entretenir notre petit jardin familial.

A.H. : De mon côté, j’apprécie la rencontre avec des personnes et des cultures différentes. Et manger des choses improbables ! Cela m’aide à redéfinir le sens de la normalité et du quotidien. Lors de nos vacances en famille, nous ne faisons ni botanique ni dessin. Au contraire, nous cherchons la déconnexion. Dans le sud-ouest de la France, il reste des zones de nature isolées, sans réseau téléphonique, où nous aimons nous retrouver.

 

Cet article a été publié dans le magazine National Geographic Traveler n° 15, daté de juillet-août-septembre 2019.

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