Au Bhoutan, l'éveil spirituel au milieu des temples
Au détour des somptueuses montagnes bhoutanaises et des traditions bouddhistes, notre journaliste a redécouvert l'espoir.
Ces drapeaux de prières aux tons colorés apparaissent fréquemment dans le paysage du Bhoutan, un pays situé entre la Chine et l'Inde sur les versants de l'Himalaya.
J'ai fait une fausse couche tardive il y a trois ans. Je venais tout juste de rentrer d'une mission en Iran et j'étais en train de préparer un thé dans ma cuisine. Les contractions m'ont fait lâcher le sachet de thé. Une flamme venait de s'éteindre. « C'est plutôt courant, » m'avait dit le médecin, pour me conforter, des mots bien incapables de soulager la sensation de vide qui m'envahissait. Je suis retournée travailler.
Quelques mois plus tard, j'étais dépêchée au Bhoutan. Coincé entre les deux géants que sont l'Inde et la Chine, ce pays est le seul au monde à donner la priorité au Bonheur national brut (BNB) sur le Produit intérieur brut (PIB), ce qui peut ne pas surprendre d'un pays où la religion dominante est le Bouddhisme. Le nom donné par les locaux à leur pays est Druk-yul, ou « pays du Dragon-Tonnerre. »
Mon guide, Sonam Pelden, avait le même âge que moi. En visitant Thimphou, la capitale, nous avons rapidement développé une relation fraternelle. Après m'avoir parlé de ses enfants, il m'a demandé si j'en avais moi aussi, à quoi j'ai discrètement répondu « Non ». Sentant mon repli, il a insisté puis m'a écouté lui relater ma troublante histoire. « Monte dans la voiture, » m'a-t-il dit aussitôt. Puis, nous avons roulé jusqu'au monastère Pangri Zampa, un édifice bâti au 16e siècle qui accueille aujourd'hui le Royal College of Astrology, pour savoir si les enfants feraient partie de ma destinée.
Mélange de traditions indiennes et chinoises, l'astrologie tibétaine est profondément ancrée dans la culture bhoutanaise et guide les grandes décisions et les événements majeurs du pays. Le soir, après les informations locales, des conseils sont prodigués sur la période la plus propice aux déménagements ou à la plantation des cultures. Habituellement, Pangri Zampa n'ouvre ses portes aux voyageurs que sur requête spéciale, mais Pelden étant allé à l'école avec le directeur, il a droit à une faveur.
Un groupe de femmes passe devant les drapeaux de prière aux tons colorés de Thimphou, la capitale du Bhoutan.
À notre arrivée, des chiens dormaient dans la cour en pierre. Nous avons franchi une porte décorée de dragons à la mâchoire féroce et de cerfs dociles peints à la main. Elle était surmontée d'une inscription en Dzongkha, la langue sino-tibétaine officielle du Bhoutan : « Notre sagesse et notre savoir doivent croître comme la lune. » Pelden me présente et je m'assois par terre, les jambes croisées, face à un moine en robe, prête à entendre ses prédictions, entourée par les tentures de soie et l'odeur de l'encens.
Dans un coin de la salle, un vieil ordinateur prenait la poussière. Là, les élèves étudiaient les planètes et les étoiles pendant neuf ans, mais je redoutais en secret que les paroles du moine ne soient que des platitudes. Au bout de deux minutes, il m'a dit : « Votre énergie spirituelle est basse à l'heure actuelle, il y a donc un grand risque de fausse couche. » Il venait de capter mon attention. « Votre fécondité n'est pas très élevée, mais c'est toujours possible si vous le souhaitez. »
Datant du 16e siècle, le monastère Pangri Zampa abrite aujourd'hui le Royal College of Astrology.
Pelden attendra la fin de mon séjour au Bhoutan pour mentionner à nouveau mon deuil. « J'aimerais t'emmener quelque part, » m'a-t-il dit.
Nous avons emprunté un chemin de graviers bordé de drapeaux de prières multicolores soufflés par le vent jusqu'au sommet d'une colline où se trouvait un petit temple carré, Chimi Lhakhang, installé au creux d'une vallée surplombée par le col de Dochula dans l'ouest du Bhoutan. C'est un temple traditionnel bouddhiste associé à la fertilité.
Il est dédié à Drukpa Kunley, un célèbre moine tibétain du 15e siècle très populaire au Bhoutan. Les locaux l'appellent le « fou divin », un surnom qu'il doit à son attitude transgressive dans son rapport à l'alcool et aux femmes ainsi qu'à diverses légendes sexuellement explicites. Il serait en ces lieux sorti victorieux d'une bataille contre un chien démoniaque en le frappant de son « éclair flamboyant de sagesse », référence à son phallus surdimensionné, pour finalement l'enterrer sous une colline aux courbes rappelant les seins d'une femme.
Le temple accueille des femmes en provenance du monde entier qui rencontrent des difficultés dans la conception d'un enfant. Elles y viennent avec l'espoir d'améliorer leur sort ou simplement pour y trouver le prénom de leur nouveau-né. Au Bhoutan, les moines de haut rang choisissent parfois le nom des enfants.
Le pays tout entier donne effectivement l'impression de baigner dans une atmosphère de fécondité grâce à une coutume populaire qui consiste à décorer de pénis rose vif les encadrements des portes, les façades des maisons et même les plaques d'immatriculation des camions dans le but de chasser les mauvais esprits.
En arrivant au temple, nous enlevons nos chaussures et franchissons le pas de porte. Des lampes à beurre illuminent la pièce plongée dans l'obscurité et une dizaine de moines en robe brune sont assis au pied d'une statue représentant le fou divin ; ils chantent d'une voix grave et vibrante.
Le moine supérieur s'est approché de moi, les mains pressées l'une contre l'autre en signe de bienvenue et les dents teintées du rouge des noix d'arec. Sonam Pelden lui a murmuré quelque chose à l'oreille et l'homme a acquiescé d'un air entendu. Il a passé sa main dans une niche sombre sous l'autel et en a ressorti un phallus en bois d'un mètre de long pour le déposer dans mes bras, l'air de rien, comme s'il s'agissait d'un chat. « Faites trois fois le tour du temple pieds nus, » m'a-t-il demandé.
Les embouteillages à travers Thimphou, la capitale du Bhoutan.
Voilà comment je me suis retrouvée dehors après avoir enfilé ma kira, la jupe traditionnelle, marchant sur les pierres qui réchauffaient doucement la plante de mes pieds. Au début, je me suis sentie ridicule. Les autres visiteurs restaient bouche bée en me voyant passer, un pénis géant posé contre ma joue. J'essayais moi-même d'étouffer un rire lorsque je croisais deux chiens qui, comme par hasard, copulaient dans la cour du temple. Mais pas à pas, les regards disparaissaient et je ressentais soudain comme un dénouement intérieur, le nœud d'anxiété qui occupait ma poitrine se dissipait légèrement.
Après trois tours, j'ai regagné le hall central où le moine supérieur troquais le pénis contre une paire de dés vieux de 300 ans qu'il a laissé tomber dans mes mains ouvertes. « Jetez-les, » me dit Pelden. « Ils vont prédire si vous êtes bénie ou non. » Je les ai fait rouler devant l'autel. Pelden et le moine ont retenu leur souffle. « Un treize. C'est de très bon augure. C'est le chiffre du fou divin, » m'explique Pelden.
Puis, le moine s'est avancé vers moi avec une petite liasse de papiers jaunis par le temps. Sur chaque feuille était inscrit un nom dans une élégante calligraphie noire et à chaque extrémité était attaché un fil de soie. « Choisis, » m'encourage Pelden. J'ai pointé du doigt le fil qui m'attirait le plus.
Le col de Dochula relie Thimphou à Punakha, le sentier est bordé par 108 chörtens ou stupas commémoratifs.
Le moine a pincé le fil entre son index et son pouce puis ouvert un livre à la page correspondante. « Vous aurez un garçon et son nom sera Kinley Namgyal, » m'annonça-t-il. « Cela signifie "personne charmante qui triomphera de la négativité", » m'explique Pelden. J'ai chuchoté le nom, « Kin-ley », laissant glisser sur ma langue chaque consonne.
Pour achever le wang, c'est le nom donné à cette bénédiction, le moine a versé de l'eau bénite dans le creux de mes mains. Je les ai levées pour y tremper mes lèvres et verser le reste sur mon visage. Je me suis inclinée en signe de remerciement et j'ai glissé une donation dans le plateau à prières. En quittant les lieux, Pelden a posé délicatement sa main sur mon épaule.
Pour moi, ce rituel résume l'essence même du Bhoutan. Les paysages y sont tout bonnement renversants et la nourriture généreusement saupoudrée de piment réveille les papilles mais ce qui m'aura le plus désarmé, c'est bien la foi et la profonde spiritualité des habitants du pays. Ici, là où un maître bouddhiste peut terrasser un démon en l'assommant de toute sa virilité, il m'a semblé que tout était possible. Pelden et le moine étaient tous deux convaincus que le rituel porterait ses fruits et, poussée par cet esprit, je ressentais à nouveau l'espoir s'animer au plus profond de moi.
Emma Thomson est une journaliste de voyage primée écrivant pour National Geographic Traveller, The Telegraph, The Times et bien d'autres rédactions. Retrouvez-la sur Instagram et sur Twitter.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.