LGBTQ+ : voyager signifie-t-il avoir à renier qui l'on est ?

Lorsqu’elles préparent un voyage, les personnes LGBTQ+ ne peuvent pas se contenter d'un décor de carte postale. Leur sécurité, la législation et l'existence de quartiers LGBTQ+ dans les pays visités sont autant de critères essentiels pour faire leur choix

De Sarah Prager
Photographies de Michael George
Publication 13 oct. 2020, 14:57 CEST
Si voyager est universel, cela peut s’avérer un peu plus compliqué pour les personnes LGBTQ+. Michael George, photographe, ...

Si voyager est universel, cela peut s’avérer un peu plus compliqué pour les personnes LGBTQ+. Michael George, photographe, a documenté ce à quoi ressemblent les voyages entrepris en tant qu’homme homosexuel. « C’était notre dernier voyage ensemble avant qu’il ne s’engage dans la Navy et déménage », explique le photographe au sujet de son ancien colocataire, Jackson, ici photographié lors d’une soirée d’été passée au bord d’un lac à Meredith, dans le New Hampshire.

PHOTOGRAPHIE DE Michael George

Depuis 30 ans, la Journée internationale du coming out est célébrée le 11 octobre. L’occasion pour les personnes LGBTQ+ de revendiquer publiquement leur identité.

Mais faire son coming out peut être un acte récurrent : vous ne sortez pas du placard un beau jour pour faire votre annonce au monde entier, une bonne fois pour toutes. Chaque nouvelle entreprise, chaque nouvelle relation amicale ou chaque destination de voyage nous oblige à sortir d’un placard de suppositions sociétales, dans ce qui devient un processus permanent.

Révéler son homosexualité se fait souvent de manière subtile, comme dire le prénom (ou pronom) de son ou sa partenaire, choisir un type particulier de vêtements ou opter pour des marques d'affection en public. Chaque fois que l'on décide de ne pas le faire, c'est un douloureux déni de soi, qui peut avoir des expressions tangibles, telles que la dépression et l’anxiété.

Chaque été, Brian et Shawn participent au « Camp » de RuPaul, une retraite estivale destinée aux adultes LGBTQ+, qui a lieu dans le sud du Maine. « Pour chaque pays ou destination que nous visitons, nous intégrons souvent un « ressenti » légèrement différent de comment est perçue notre identité sexuelle, avec une prise de conscience de la sensibilité culturelle et de notre niveau de confort », explique Brian. « Nous essayons toujours de le faire rapidement, exactement comme lorsque nous tissons un lien ».

PHOTOGRAPHIE DE Michael George

Voyager permet de découvrir de nouvelles cultures et d’échanger de nouveaux points de vue, mais les menaces de violences ou la crainte de gêner empêchent des millions de voyageurs LGBTQ+ de partir à l'aventure. La création d’environnements sûrs où les voyageurs LGBTQ+ se sentent suffisamment en sécurité pour vivre comme ils l’entendent a pour partie facilité les expériences de voyages pour tous.

 

CACHER SON IDENTITÉ SEXUELLE

Cela fait 20 ans que j’ai révélé mon homosexualité, à l’âge de 14 ans. Mais, comme beaucoup d’autres personnes de ma communauté, je l’ai cachée lors de certains voyages. Ça a été le cas la majeure partie de mon année d’université passée à l’étranger dans la petite ville de Burgos, située dans le nord de l’Espagne. Je ne voulais pas être jugée pour le simple fait que j’étais lesbienne ; je craignais aussi les réactions que cela pourrait susciter dans cette ville conservatrice.

Cette année-là, j’ai secrètement appris qu’une autre étudiante étrangère était homosexuelle. Les week-ends, nous nous échappions de Burgos en prenant un bus qui nous emmenait à Madrid au terme de trois heures de route. Là-bas, nous explorions l’animé quartier gay de Chueca, orné d’arcs-en-ciel. Nous cessions joyeusement de nous cacher, pour passer des heures à danser, faire du shopping et regarder les gens vivre, avant de courir attraper le dernier bus pour Burgos tard dans la soirée.

Chueca est l’un des nombreux lieux où j’ai voyagé et où je me suis immédiatement sentie chez moi, réconfortée par mon drapeau et les liens qui me rattachent à ma communauté. Lorsque les voyageurs LGBTQ+ sont les bienvenus dans un lieu, cela permet aussi de mettre en exergue la manière dont sont acceptés les LGBTQ+ locaux.

À la fin de mon année à l’étranger, j’ai réalisé qu’être homosexuelle était une partie indéniable de moi-même. J’ai révélé mon homosexualité à bon nombre de mes amis de Burgos, car je les connaissais suffisamment bien pour être moi-même en leur présence. J’ai même gagné suffisamment en confiance pour passer l’été suivant à Sofia, en Bulgarie, sans jamais cacher mon identité sexuelle. J'y travaillais comme stagiaire dans ce qui était alors la seule organisation de défense des droits LGBTQ+ du pays.

Mais pour de nombreuses personnes dont les voyages ne durent pas des mois, le temps plus court passé sur place ne permet pas de créer ces liens de confiance.

 

UN CALCUL PERMANENT

Avant la pandémie, les personnes LGBTQ+ américaines partaient en voyage en moyenne 6,8 fois par an et dépensaient 63,1 milliards de dollars chaque année en voyages. Les Américains LGBTQ+ sont de fait deux fois plus susceptibles de posséder un passeport valide que leurs compatriotes non LGBTQ+.

Les amoureux de voyages LGBTQ+ que j’ai interrogés m’ont confié que leur sécurité physique était l’élément déterminant pour choisir de révéler ou non leur identité sexuelle en voyage. Nous devons nous demander si nous sommes dans le quartier gay d’une ville, si nous sommes seuls dans un taxi ou même si nous sommes dans un pays où l’homosexualité est légale.

« Il s’agit malheureusement d’un calcul que nous devons faire », m’explique Scott Gatz, qui vit à San Francisco. S’il se sent en sécurité physiquement, il se pose alors la question suivante : « Qui sera gêné ? La personne en face de moi ou moi-même ? ». Par exemple, si une personne remarque son alliance à la réception d’un hôtel et lui demande où se trouve sa femme, doit-il éviter de répondre ou prendre le risque de gêner son interlocuteur en lui disant qu’il est en fait marié à un homme ?

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    Elise et Carmen profitent du bord de mer à Brooklyn, New York, pendant le mois des fiertés en 2018. « Nous faisons beaucoup de recherches sur les lieux où nous allons pour trouver des coins où les personnes LGBTQ+ sont les bienvenues », confie Elise. « Nous nous retrouvons souvent à voyager sans montrer ouvertement que nous sommes en couple. C’est malheureusement une mesure de sécurité pour nous. Nous sommes sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la manière dont nous gérons ces situations ».

    PHOTOGRAPHIE DE Michael George

    Appartenir à la communauté LGBTQ+ est loin d’être une expérience singulière. Le genre, l’origine ethnique et d’autres identités qui se croisent et s'entrecroisent jouent beaucoup dans la décision de dévoiler sa réelle identité sexuelle, tout comme le fait de voyager seul, avec son partenaire ou ses enfants. L’identité des voyageurs transgenres est par exemple révélée dès le début de leur voyage, lorsqu’ils montrent un passeport avec une photo datant d’il y a plusieurs années ou en se soumettant au scanner corporel ou à la fouille. À partir du moment où ils montrent une pièce d’identité avec leur nom de naissance, ce qui est plus fréquent dans le cadre de voyages que dans la vie quotidienne, le risque d’une interaction tendue augmente.

    Vincent Jones, propriétaire de Citizen Jones Travel, relève la manière dont les entreprises et les locaux des hauts lieux du tourisme gay, comme Mykonos, Ibiza et Puerto Vallarta, accueillent les hommes gay blancs, quand les touristes gay noirs, comme lui, ne reçoivent pas le même traitement. Lors d’un récent séjour à Las Vegas, Vincent Jones a eu une altercation avec l’hôte d’un restaurant chic, qui semblait trouver improbable qu’il veuille s’installer dans le restaurant plutôt qu’au bar. « C’était sa façon de me dire qu’il ne pensait pas que je pouvais m'offrir un repas dans ce restaurant ».

    Jessica Drucker, auteure du livre How To Move Abroad: And Why It's The Best Thing You'll Do (Déménager à l’étranger : la meilleure décision que vous pouvez prendre), m'explique que lorsqu’elle voyage avec sa partenaire, elle envisage parfois d’aller dans le sens du personnel de l’hôtel, qui pense qu’elles ont réservé une chambre avec un lit à deux places par erreur et qu’elles voulaient en réalité une chambre avec deux lits. « Vous ne dites rien et défaites les deux lits pour donner l’impression que vous avez chacune dormi dans l’un d’eux », explique-t-elle. « Je pense que toutes les personnes gays sont familières avec ce passage gênant à la réception ».

     

    DES RESSOURCES DESTINÉES À LA COMMUNAUTÉ LGBTQ+

    En 2007, Scott Gatz cherchait des maisons d'hôtes sur Internet pour un voyage imminent à Boston lorsqu’il tomba sur une publication sur TripAdvisor, dans laquelle la propriétaire disait qu’il y avait « beaucoup d’hommes » dans le quartier de South End. Sachant exactement ce qu’elle voulait dire, il réserva le logement. L’année suivante, il créa l’entreprise à l’origine de GayCities.com, qu’il surnomme le « TripAdvisor gay », pour trouver les quartiers queers des villes du monde entier. Le site, qui recense plus de 230 villes, est désormais un incontournable des voyages LGBTQ+. D’autres sites Internet, à l’instar de celui de l’International LGBTQ+ Travel Association, offrent également des ressources pour les voyageurs LGBTQ+.

    Selon une enquête datant de 2019, lorsqu'elles se lancent dans l'organisation d'un voyage, le facteur principal pour les personnes LGBTQ+ est d’échapper à toute forme de stress. Si, pour les voyageurs hétérosexuels, cela signifie une retraite à la campagne ou sur une plage de sable chaud, le choix des voyageurs LGBTQ+ a plutôt tendance à se porter sur les grandes villes. Le fait que les personnes LGBTQ+ soient les bienvenues constitue leur priorité absolue. Il est de fait logique qu’un voyage sera plus relaxant si vous vous trouvez dans un lieu où vous pouvez presque toujours être vous-même.

    Jessica Drucker, qui a vécu dans plusieurs pays, sait que les signes susceptibles de dévoiler l’identité sexuelle, comme les cheveux courts pour les lesbiennes, seront interprétés d’une manière complètement différente dans un autre pays. Par exemple, dans beaucoup de cultures, le fait que deux personnes du même sexe se tiennent la main n’est pas considéré comme un acte romantique. « Dans la majorité des cas, je me sens plus en sécurité à l’étranger qu’aux États-Unis », déclare-t-elle. « Au Cambodge, on va peut-être me regarder de travers, mais j’ai plus de chances d’être tabassée dans certains coins des États-Unis. »

    J’aime le fait qu’il existe une communauté LGBTQ+ presque partout où je voyage. Je peux ainsi m’arrêter dans un centre communautaire ou un café en particulier pour trouver ma famille élargie où que j’aille. Mais personne ne devrait uniquement chercher des lieux spécifiques pour se sentir en sécurité. Si de plus en plus de destinations sont ouvertes aux visiteurs LGBTQ+, comme le montrent les milliers d’entreprises de 80 pays qui sont membres de l’International LGBTQ+ Travel Association, les voyageurs doivent toujours se demander s’ils peuvent être eux-mêmes ou non.

    Jessica Drucker considère que, pour passer un bon voyage, il est essentiel d’être à l’aise avec son identité sexuelle. « Vous ressentez un certain niveau d’intégrité lorsque vous passez devant la réception de cet hôtel après avoir dit “Oui, nous sommes en couple” », souligne-t-elle.

     
    Sarah Prager est auteure de deux livres sur l’histoire LGBTQ+ et a notamment écrit pour le New York Times, The Atlantic, HuffPost, Fodor’s Travel, JSTOR Daily et Business Insider. Retrouvez-la sur Facebook, Twitter et Instagram.
    Michael George est un écrivain et photographe basé à New York, qui s’efforce de raconter des histoires sur notre humanité commune. Découvrez son travail sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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