De Miss Marple au talentueux Mr Ripley : quand la littérature invite au voyage
Les romans policiers d'Agatha Christie ou de Patricia Highsmith pourraient vous donner les clés pour organiser votre prochain voyage et découvrir votre destination sous un autre angle.
Les décors symboliques, comme ce petit village anglais, font partie des raisons pour lesquelles les romans policiers mystérieux écrits par des auteurs comme Agatha Christie incitent au voyage.
Alors que les frontières commencent tout juste à ouvrir, l’une des meilleures alternatives aux voyages reste de se plonger dans un livre qui vous transporte. Les romans policiers, tout particulièrement, permettent de restituer un tout autre monde. Des landes du Yorkshire aux souks de Marrakech, leurs décors deviennent souvent aussi importants qu’un personnage principal, capables de rivaliser avec n’importe quel protagoniste.
Ces romans vous font voyager au-delà de votre fauteuil. Les meilleurs d’entre eux peuvent même vous servir de guide de voyage pour préparer votre première excursion post-pandémie. Ils offrent des conseils sur les meilleurs lieux où se rendre et les plus beaux sites à visiter.
AGATHA CHRISTIE, AGENT DE VOYAGE PERSONNEL
Agatha Christie, la plus célèbre des auteures de romans policiers, a contribué à définir cette forme d’écriture. Ses écrits sont à la fois des romans policiers magistraux et des guides touristiques de l’Angleterre.
Miss Marple, la détective hors pair figurant dans douze de ses romans, est totalement rattachée à sa maison fictive à St. Mary Mead, un village anglais des plus simples. On y trouve une église, un pub, une rangée de cottages et un manoir majestueux. Ce village est si bien décrit qu’il est facile à cartographier. En ce sens, Agatha Christie offre une représentation plutôt claire de la rue principale de ce hameau dans le premier roman mettant en scène Jane Marple, L’Affaire Protheroe. Il est question ici d’un village anglais, essentiellement rustique et très franchement kitsch, mais suffisamment vif pour séduire tout anglophile en quête d’une escapade typique en Grande-Bretagne.
Visit England, une agence de voyages britannique, a décidé de profiter de la poésie bucolique d’Agatha Christie pour proposer un itinéraire en autonomie à travers le sud du Devon jusqu’à la Riviera anglaise. Sur le chemin se trouvent vingt lieux iconiques des romans policiers de la célèbre auteure, notamment les routes de campagne qui lui ont inspiré l’image de St. Mary Mead.
Ses romans n’offrent toutefois pas seulement des conseils touristiques pour visiter la campagne anglaise. À l’hôtel Bertram est l’un de ces romans policiers où l’environnement est le plus urbanisé. Miss Marple descend dans un imposant hôtel à Londres en proposant une visite de la capitale que les touristes peuvent tout à fait reproduire.
L’ITALIE DU TALENTUEUX MR RIPLEY
Pour de nombreux écrivains de romans policiers, le décor ne constitue pas uniquement une représentation de la couleur locale. Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, le premier roman présentant Tom Ripley, offre une excursion des plus classiques en Italie, de Naples à Rome en passant par Venise. Pourtant, il incarne plus qu’un simple portrait évocateur de la dolce vita fellinienne des années 1950.
Le Talentueux Mr Ripley, l’adaptation cinématographique du roman de Patricia Highsmith, a été tourné sur la côte amalfitaine de l’Italie. Cette région est réputée pour son littoral à couper le souffle et son architecture traditionnelle.
À mesure de M. Ripley, un sociopathe, adopte l’identité chic et aisée de l’homme qu’il a assassiné, son Italie se fait de plus en plus luxuriante et élégante. C’est lorsqu’il atteint sa dernière destination que le point culminant du roman est atteint : un palais vieux de 200 ans, certes magnifique mais qui s’effrite lentement. Il est accessible uniquement par gondole, adossé à un jardin en ruines et tenu par deux serviteurs. Le style de vie de plus en plus grandiose, la virée italienne un peu louche et le palais en décrépitude reflètent les ambitions tordues de M. Ripley dans son ascension sociale et traduisent la perdition de son esprit. Tous constituent de tristes sosies, unis par l’abus l’alcool.
LES DÉCORS GOTHIQUES, DU MEXIQUE À L’ÉCOSSE
Dernière récolte, le roman d’Attica Locke prenant place en 2009, se sert également des décors pour refléter le caractère de ses protagonistes tout en donnant un véritable cours d’histoire. La plantation de Belle Vie, en Louisiane, datée d’avant la guerre de Sécession, constitue le décor principal de son roman. Elle a été transformée en attraction touristique après que ses propriétaires ont ouvert les portes de son manoir et des quartiers des esclaves d’origine au public. Seulement, lorsque le corps d’un travailleur immigré est découvert sur le terrain et que les esprits des anciens esclaves viennent hanter le lieu, Belle Vie se prête à la réflexion sur l’oppression des années précédant la guerre civile américaine. Le roman permet de méditer sur les crimes historiques que le temps ne peut effacer.
Certains romans policiers, quant à eux, utilisent leur décor d’une manière un peu plus simple, pour imprégner un sentiment d’horreur à leur intrigue. Il n’y a que peu d’auteurs capables de créer des environnements plus sinistres que Gillian Flynn. La ville maussade du Midwest qui sert de point d’ancrage au roman Sur ma Peau paraît tout droit sortie de vos pires cauchemars.
High Place, le manoir menaçant du roman Mexican Gothic de Silvia Moreno-Garcia, est peut-être fictif mais les touristes peuvent toutefois admirer une architecture similaire à l’Hotel de la Soledad à Morelia, au Mexique.
Dans Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia met également en scène un décor tout à fait menaçant. L’héroïne du roman se retrouve coincée entre les murs de High Place, un manoir perdu dans la campagne mexicaine. En plus de devoir échapper à son mari ayant vraisemblablement commis un meurtre, elle doit également se sauver de la maison hantée elle-même. Le résultat : un homologue latin du roman Rebecca de Daphne du Maurier. High Place est ici une nouvelle version de la prison macabre du manoir de Manderley.
Plus au nord, personne ne maîtrise aussi bien le genre nordic noir que Camilla Läckberg. Ses polars s’articulent autour du port isolé et saumâtre de Fjällbacka, situé sur la côte ouest de la Suède. Le village a attiré tellement de lecteurs que la ville propose désormais des visites guidées autour des meurtres mystérieux de Camilla Läckberg.
Malgré tout, les romans policiers construits autour de décors envoûtants favorisant l’intrigue offrent parfois les meilleurs voyages par procuration. The Hunting Party de Lucy Foley entraîne le lecteur dans un voyage photographique à travers les Highlands écossais. Toutefois, la beauté du décor sert également de trame à l’intrigue en elle-même.
« L’idée de placer ces personnages, des Londoniens habitués à leur confort matériel, dans un environnement qui les sort de leur zone de confort, me plaisait énormément. On se trouve dans la nature pure et dure, [une situation] essentielle à l’intrigue puisque les actions des personnages sont guidées par le sentiment d’isolement et la claustrophobie », déclare l’auteure.
Le cadre raffiné que forment les Alpes françaises dans One by One de Ruth Ware s’établit comme un élément central similaire dans l’intrigue du roman. Bloqués par une avalanche dans leur station de ski alpin, aucun des personnages ne peut échapper au psychopathe qui les abat, comme le titre l’indique, un par un.
Il peut s’avérer déroutant d’essayer de résoudre les casse-têtes que forment ces polars. Somme toute, il est plus simple d’organiser un voyage dans les Alpes françaises ou les Highlands écossais à partir des décors présentés dans ces romans. Et surtout, votre visite en autonomie comportera très probablement un avantage non négligeable par rapport au voyage littéraire dans lequel vous transporte ces romans : vous ne tomberez sûrement pas sur des cadavres au hasard.
Raphael Kadushin est un journaliste primé, spécialisé en gastronomie et en voyage. Il est également l’éditeur de trois anthologies de voyage. Ses travaux ont notamment été publiés dans l’anthologie Best Food Writing.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.