L'Australie rend le contrôle de nombreuses terres à ses peuples natifs

Afin de favoriser la conservation tout en prenant en compte l'héritage colonial du pays, le gouvernement australien a rendu des milliers de kilomètres carrés de terres aux peuples natifs qui en avaient pris soin pendant 60 000 ans.

De Ronan O’Connell
Publication 17 oct. 2022, 17:39 CEST
Buccaneer Archipelago

Talbot Bay est l'une des 1 000 îles qui composent l'archipel des Boucaniers, en Australie occidentale, où les populations natives vont cogérer trois nouveaux parcs marins.

PHOTOGRAPHIE DE Auscape International Pty Ltd., Alamy Stock Photos

Pendant 60 000 ans, les peuples natifs d’Australie ont préservé les régions les plus spectaculaires de leur pays, qui abritent des récifs géants, des forêts tropicales vierges et d’impressionnantes vallées, entre autres merveilles. Aujourd’hui, plus de 220 ans après avoir été chassées de force par les colonisateurs britanniques, ces communautés retrouvent le contrôle de leurs terres ancestrales.

Cet été, deux États d’Australie ont restitué plus de 9 500 kilomètres carrés de terres aux peuples autochtones. Pour la première fois dans l’État d’Australie occidentale, le gouvernement a créé trois nouveaux parcs marins en collaboration avec ces communautés, représentant un total d’environ 6 000 kilomètres carrés, soit la superficie du département du Var. Dans le nord-est du pays, l’État du Queensland a également restitué 3 620 kilomètres carrés de terres, dont la plupart sont des parcs nationaux.

Ces initiatives découlent d’un effort majeur visant à créer et à préserver davantage de parcs nationaux, mais aussi à se réconcilier avec le passé colonial du pays. Les dirigeants natifs estiment que ce contrôle accru de la nature sauvage représente un progrès fondamental.

Situés dans l’archipel reculé des Boucaniers, à 1 900 kilomètres au nord de Perth, les nouveaux parcs marins, Mayala, Maiyalam et Bardi Jawi Gaarra, seront cogérés avec l’État, en utilisant à la fois le savoir aborigène traditionnel et les pratiques environnementales modernes. Les gardes forestiers natifs formés à la lutte contre les incendies, à la surveillance de la biodiversité, à la protection des sites culturels aborigènes, à l’enseignement des compétences natives en matière de gestion des terres et à la sensibilisation des touristes au patrimoine aborigène, qui sont à la tête de cet effort.

« La création de ces parcs marins est une étape importante pour l’Australie, car elle montre qu’il est possible de réaliser un véritable projet collaboratif entre le gouvernement et les propriétaires traditionnels », affirme Tyronne Gartsone, directeur général du Kimberley Land Council, l’organe aborigène suprême de la région de Kimberley, en Australie occidentale.

Havre de paix pour les dauphins à aileron retroussé, les baleines à bosse, les raies mantas et plusieurs espèces de tortues menacées, la région côtière est profondément liée à la tradition aborigène australienne. Beaucoup pratiquent encore d’anciennes coutumes liées à la mer, telles que la pêche au rivage, la chasse aux dugongs et aux tortues, et la collecte de coquilles à perles Pinctada qui, depuis 20 000 ans, sont taillées pour devenir des œuvres scintillantes utilisées lors de cérémonies.

Ces coutumes et phénomènes naturels comptent parmi les éléments que les communautés natives et le Département de la biodiversité, de la conservation et des attractions d’Australie occidentale espèrent mettre en avant dans le but de développer un tourisme durable, aussi bien sur le plan culturel qu’environnemental.

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    Horizontal Falls

    Les Horizontal Falls, des chutes horizontales de l'archipel des Boucaniers, doivent leur nom aux marées montantes qui créent un effet de cascade entre les interstices des falaises.

    PHOTOGRAPHIE DE Genevieve Vallee, Alamy Stock Photos

    Le parc marin de Maiyalam, par exemple, est connu pour ses Horizontal Falls, un phénomène naturel qui se produit lorsqu’une forte marée pousse l’eau à travers deux falaises étroites de la chaîne McLarty, provoquant une cascade d’eau pouvant atteindre les 4 mètres de haut.

    Aujourd’hui, de puissants bateaux de tourisme traversent ces ouvertures, mais les peuples natifs naviguaient autrefois dans les eaux dangereuses de cette région à bord de leurs radeaux gaalwa en bois. Cela nécessitait une expertise dans la prévision des marées, un savoir qui a été transmis de génération en génération, en partie grâce à la coutume des chants et des danses Ilma.

    Les nouveaux parcs marins peuvent permettre de protéger ces traditions, selon Kevin George, président de la Bardi Jawi Niimidiman Aboriginal Corporation, qui représente deux des peuples natifs de la région. « Ça nous aide, en tant que propriétaires traditionnels, à poursuivre notre vie selon nos coutumes, et à prendre soin des ressources et de l’environnement qui ont pris soin de nous. »

     

    DÉCOUVRIR L'HISTOIRE NATIVE DU CAP YORK

    Dans le nord du Queensland, d’autres communautés natives célèbrent le retour du contrôle de ces terres dont elles avaient longtemps été les gardiennes. Immense étendue de nature sauvage, la péninsule du cap York est recouverte de forêt tropicale, de pics, de vallées et de magnifiques plages.

    Depuis des millénaires, la région abrite les peuples natifs d’Australie : aussi bien les Aborigènes que les habitants des îles du détroit de Torrès, un archipel situé au nord du cap York. Il s’agit du seul endroit du pays où ces groupes vivent côte à côte.

    Près de 430 kilomètres carrés du cap York leur ont été restitués en pleine propriété ; les peuples natifs de la région en sont donc propriétaires à 100 %. En outre, 3 188 kilomètres carrés de terres composent désormais le parc national d’Apudthama et le parc national des îles Yamarrinh Wachangan, tous deux cogérés par les populations natives et l’État. Tous les parcs nationaux du cap York sont désormais sous contrôle conjoint, 42 998 kilomètres carrés de la péninsule ayant été rendus à leurs propriétaires traditionnels au cours des trente dernières années.

    Selon Reginald Williams, un ancien de la tribu Yadhaigana de la région, les cinq peuples natifs du cap York en bénéficient grandement. Ce contrôle accru de la péninsule réduit le risque de dégâts environnementaux dus à l’augmentation de l’exploitation minière, permet aux communautés de clôturer les zones sacrées et de pratiquer d’anciennes méthodes de protection des espèces menacées. De même, les populations natives peuvent y pratiquer leurs traditions culturelles, telles que les cérémonies d’initiation et l’apprentissage de la chasse, de la cueillette et de la cuisine aux plus jeunes.

    Outre la mise en valeur de la biodiversité et des animaux sauvages rares qui vivent dans les parcs, tels que le marsupial couscous, la tortue à ventre rouge et le casoar à casque, les groupes natifs prévoient désormais de nouvelles visites du cap York qui permettront de faire découvrir certaines de leurs coutumes. « Nous pensons que les touristes devraient visiter le cap York pour témoigner directement de la singularité de notre situation, dans laquelle deux peuples culturels différents [les aborigènes et les insulaires du détroit de Torrès] vivent ensemble dans une même région », affirme Williams.

    Motivée par ces avancées, la société de voyage native Strait Experience lancera bientôt The Strait in a Day, un circuit qui conduira les voyageurs et voyageuses de Cairns aux îles du détroit de Torrès. « La plupart des touristes qui se rendent dans le nord du Queensland se contentent de visiter la Grande Barrière de Corail et la forêt tropicale de Daintree et ne s’intéressent pas à la culture native de cette région, et nous voulons changer cela », explique Fraser Nai, cofondateur de l’entreprise.

    « Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que nous, les propriétaires traditionnels, ayons le sentiment de récupérer pleinement nos terres », poursuit Williams. « Mais nous nous rapprochons de plus en plus, et ça fait plaisir. »

    Ronan O’Connell est un journaliste et photographe australien établi entre l’Irlande, la Thaïlande et l’Australie-occidentale.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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