Mexique : ces expositions de momies attisent la curiosité… et la controverse
Ces momies, préservées naturellement sans bandage ni embaumement, attirent de nombreux visiteurs dans la ville mexicaine de Guanajuato, mais font également l'objet de controverses liées à l'utilisation de corps humains à visée purement touristique.
Ce petit garçon momifié, exposé au Museo de las Momias à Guanajuato, au Mexique, est habillé en saint, une pratique courante pour les enterrements de nourrissons en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Le corps compte parmi la centaine de momies des 19e et 20e siècles conservées naturellement et exposées dans ce musée populaire.
Note de la rédaction : certaines images peuvent heurter la sensibilité des lecteurs ou des lectrices.
Son architecture coloniale espagnole, son histoire de centre mondial d’extraction de l’argent et ses sites liés à la révolution mexicaine ont permis à la ville de Guanajuato, au Mexique, de rentrer dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1988. Ses églises baroques, ses petites rues pavées et ses maisons colorées sont si belles qu’elles pourraient sortir tout droit d’une carte postale ; cependant, la plus grande attraction touristique de cette ville du centre du Mexique est bien plus sombre et lugubre. Il s’agit d’un musée souterrain abritant une centaine de momies.
Depuis plus d’un siècle, ces corps momifiés attirent de nombreux voyageurs curieux. Au début, les visiteurs pouvaient payer quelques pesos pour les observer dans une crypte souterraine, mais depuis 1969, elles sont exposées au Museo de las Momias.
La plupart des corps exposés au Museo de las Momias de Guanajuato ont été placés de manière à être debout, ce qui, selon certains spécialistes, nuirait à leur conservation.
Ces cadavres conservés naturellement, sans bandage ni embaumement, datent des 19e et 20e siècles et représentent une source de revenus et de fierté pour cette ville située à une heure de route de San Miguel de Allende. « Les momies de Guanajuato apportent, après l’impôt foncier, le plus gros revenu économique de la municipalité », explique l’anthropologue mexicain Juan Manuel Argüelles San Millán. « Il est difficile d’exprimer à quel point elles sont importantes. »
En revanche, ces momies font également l’objet de controverses. Il est difficile pour les voyageurs d’autres cultures de comprendre pourquoi l’une des plus belles villes du Mexique exposerait des restes humains aussi macabres, et ces derniers seraient par ailleurs mal conservés et mal étiquetés, selon certains spécialistes. Il y a quelques mois, le projet de construction d’un nouveau musée de momies a été abandonné quand des spécialistes et des représentants de l’UNESCO se sont opposés à son nouvel emplacement, prévu au-dessus d’un centre commercial du centre-ville.
Tout cela a suscité un regain d’attention pour ces restes fragiles. L’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) vient de lancer une étude, dirigée par San Millán, pour déterminer l’identité de ces corps qui, pour la plupart, sont encore anonymes. Une exposition de photographies de ces momies, réalisées par l’artiste Michael James Wright, sera présentée au prestigieux Festival Internacional Cervantino de Guanajuato, du 13 au 30 octobre, avant de partir en tournée dans le reste du Mexique et à l’étranger. « Ces projets permettent de donner de la dignité aux morts et d’en faire des objets d’éducation plutôt que d’attraction », explique le photographe.
L’ORIGINE DES MOMIES
Malgré le spectaculaire centre historique de Guanajuato, le musée des momies situé à la périphérie de la ville est souvent la première destination des touristes. Les visiteurs font la queue pendant des heures pour entrer dans le musée, et sont entourés de vendeurs proposant des charamuscas, des friandises régionales à la cannelle et au sucre en forme de… momies, bien sûr.
Cette photographie de 1911 montre les momies de Guanajuato dans leur lieu d'exposition d'origine, une crypte située sous le cimetière de la ville. Les corps, conservés naturellement, ont été déterrés lorsque leurs familles n'ont plus pu payer la taxe sur les tombes.
De manière générale, les touristes mexicains ont tendance à observer les corps exposés avec un mélange d’intérêt et de respect, mais pas de dégoût : après tout, le pays est le berceau du Días de los Muertos. « Mais pour les voyageurs étrangers, je dois vraiment replacer le musée dans son contexte », explique Dante Rodriguez Zavala, qui est guide pour Mexico Street Food Tours, et originaire de Guanajuato. « Pour les Mexicains, ça ne paraît pas bizarre ou étrange. La mort ne nous met pas mal à l’aise, nous apportons de la nourriture à nos proches décédés pour le jour des Morts, et invitons les mariachis [à jouer] dans le cimetière. »
Dans les alentours de Guanajuato, on entend des histoires tragiques sur l’origine des momias : certaines auraient été enterrées vivantes, d’autres seraient mortes lors d’une épidémie de choléra, toutes auraient été préservées grâce à un sol riche en minéraux, etc. « De plus, pour donner envie de voir les momies, des employés du cimetière ont commencé à raconter des histoires de pendaisons, de desperados et de sorcières », explique Gerald Conlogue, professeur émérite d’imagerie diagnostique à l’université de Quinnipac, qui a longuement étudié ces momies.
La vérité est bien plus simple et illustre la vision très pragmatique qu’ont les Mexicains de la mort. Comme de nombreux cimetières publics, la politique du Pantéon Santa Paula, inauguré vers 1861, était de faire payer une taxe d’enterrement annuelle aux familles pour que les restes de leurs proches soient enterrés dans ces tombes ou ces niches au-dessus du sol, comparables à des étagères en pierre. En 1865, les ouvriers du cimetière ont commencé à retirer les corps des défunts dont les proches n’avaient plus les moyens de payer la taxe, ou qui n’étaient simplement eux-mêmes plus de ce monde.
En ouvrant les tombes, les ouvriers s’attendaient à trouver des ossements poussiéreux. Au lieu de cela, ils ont trouvé de nombreux corps remarquablement intacts, qui avaient conservé leur peau, leurs cheveux et même leur langue. L’environnement chaud et sec s’était avéré idéal pour la conservation des restes humains. « Si le soleil frappe les niches toute la journée, comme c’est le cas à Santa Paula, les corps se déshydratent rapidement », explique Maria del Carmen Lerma Gómez, une anthropologue légiste qui travaille sur l’étude de l’INAH.
UNE ATTRACTION TOURISTIQUE LUGUBRE
La nouvelle de ces momies miraculeuses, que les fossoyeurs ont placées le long des murs d’un ossuaire souterrain, n’a pas tardé à se répandre. Certaines portaient encore les vêtements avec lesquels elles avaient été inhumées, des chaussures à boutons hauts ou des étiquettes indiquant leur nom et leur date de décès. Les momies ont rapidement suscité la curiosité et sont devenues une source de revenus pour les employés du cimetière.
Ce corps conservé naturellement et exposé au musée des momies de Guanajuato semble crier, en raison du relâchement des muscles de sa mâchoire après la mort.
« Pour une somme modique, le gardien fait entrer le visiteur dans la "chambre des horreurs" », expliquait un article Voyage du magazine National Geographic en juillet 1916. « Un escalier en colimaçon mène à la crypte, où d’affreuses dépouilles momifiées sont disposées en une rangée sinistre, souriant avec rancœur aux visiteurs curieux. »
Au fil du temps, les étiquettes des momies ont été volées par des touristes, désireux de garder un souvenir de leur expérience, et privant ainsi la plupart des corps de leur identité. Les guides du musée et les habitants de la région ont comblé le vide avec de nouveaux noms et des récits fantastiques : par exemple, un corps féminin déformé par une scoliose sévère a été surnommé La Bruja (la sorcière), et une autre dépouille est connue sous le nom de El Ahogado (le noyé).
Une nouvelle étude sur les momies de Guanajuato vise à identifier ces dernières, qui datent des 19e et 20e siècles, et à déterminer une meilleure méthode pour les conserver.
Les momies sont devenues des ambassadrices culturelles de la ville, et ont servi aussi bien d’attractions dans la vraie vie que d’inspirations pour des récits de fiction. Les momias ont par exemple affronté des luchadores (lutteurs mexicains) masqués et capés dans deux films d’horreur des années 1970, et ont hanté un couple d’Américains dans la nouvelle The Next in Line de Ray Bradbury, publiée en 1955. Une nouvelle série, Pinches Momias (Ces satanées momies), devrait sortir au Mexique l’année prochaine.
TRAITER CES CORPS AVEC LE RESPECT QU’ILS MÉRITENT
L’étude de l’INAH a été lancée en février, à la suite de plaintes concernant le projet de nouveau musée et les accusations de mauvais traitements infligés aux momies. Les critiques reprochent à la municipalité d’avoir transporté les dépouilles fragiles lors de congrès en dehors de la ville, et de les avoir exposées dans l’un des tunnels souterrains de Guanajuato lors d’un rallye automobile.
Dans le cadre du projet de l’INAH, l’équipe de San Millán tente d’identifier les momies en parcourant les certificats de décès, documents religieux et journaux des 19e et 20e siècles. Les méthodes d’analyses médico-légales (radiographies, analyses ADN des cheveux, des dents ou de la peau) pourraient même permettre de relier les corps à des habitants actuels de Guanajuato.
« Ils devraient être traités comme des corps humains », affirme San Millán. Ainsi, si une momie inconnue jusqu’alors s’avère être l’arrière-arrière-grand-père de quelqu’un et que cette personne désapprouve son exposition, elle devra être réinhumée « immédiatement et sans aucune opposition », poursuit l’anthropologue.
Les experts et chercheurs de l’INAH espèrent que cette nouvelle étude permettra d’améliorer la manière dont les momies sont présentées au public, et de les reconnaître comme de vrais artefacts culturels. La modernisation du système de climatisation du musée et le stockage des corps à l’horizontale plutôt qu’à la verticale pourraient également contribuer à leur préservation.
« Ce sont des gens ordinaires qui détiennent des informations sur l’époque dans laquelle ils ont vécu », explique Conlogue. « Ils marchaient dans ces rues, ils allaient au vieux marché. Ils ne devraient pas être traités comme des monstres de foire. »
Rédactrice en chef de National Geographic Travel, Jennifer Barger a écrit son tout premier article sur les momies lorsqu’elle n’était encore qu’à l’école primaire. Retrouvez-la sur Instagram. | Des recherches de Susannah Rigg ont été utilisées lors de la rédaction de cet article.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.