Inde : à la recherche de l’ancienne dynastie des Chola
Dans le sud de l’Inde, un des empires les plus extraordinaires et les moins connus que notre monde ait vu naître revient à la vie grâce à de nouveaux circuits qui mettent en valeur son héritage.
Construit au 11e siècle, le temple de Gangaikondacholisvaram, dans l’État indien du Tamil Nadu, est l’un des tout derniers édifices témoignant de la puissance de la dynastie chola.
Un temple au milieu de rizières, voilà tout ce qui subsiste de l’ancienne grande cité de Gangaikondacholapuram, dans l’actuel État du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde. Au Moyen Âge, celle-ci fut l’un des principaux centres de l’Asie du Sud-Est ainsi que la capitale d’une dynastie parmi les plus anciennes et les plus pérennes du monde.
Pendant près de cinq siècles, la dynastie des Chola (qui exista de 300 avant notre ère à 1279) connut une apogée et influença religion, culture et architecture grâce à une maille commerciale maritime sophistiquée qui partait de l’Inde et irriguait l’Asie du Sud-Est jusqu’à la Chine.
Pourtant, malgré leur vaste réseau de routes commerciales et malgré la portée de leur influence, les Chola restèrent enveloppés de mystère durant des siècles, tandis que des envahisseurs plus tardifs comme les Moghols et les Britanniques se faisaient une place de premier plan dans le vaste tableau de l’histoire académique et culturelle de l’Inde.
Des fouilles réalisées à grands renforts de technologie, des circuits personnalisés ayant pour thème l’héritage des Chola et un film indien qui bat tous les records ont ravivé l’intérêt pour cette dynastie et offrent aujourd’hui aux voyageurs l’occasion de résoudre l’un des plus grands mystères de l’Histoire : qu’est-il arrivé à cet empire ?
L’ÂGE D’OR
Au Moyen Âge, les Chola comptèrent parmi les trois royaumes tamouls les plus puissants du sud de l’Inde. À l’apogée de l’empire, les rois chola investirent dans l’art, la littérature, l’éducation et l’architecture. Ils édifièrent ambitieusement des temples de pierre colossaux ornés de sculptures ouvragées et de peintures riches en détails qui faisaient office de pôles culturels et sociaux, et ils construisirent des lacs artificiels pour pallier aux sécheresses et pour s’approvisionner en eau potable.
Le temple de Brihadisvara, site religieux de Thanjavur révéré par les Indiens, a été construit sur ordre du souverain Rajaraja Chola Ier en l’an 1010 de notre ère. Avec son imposante pyramide de pierre aux airs de flèche qui culmine à plus de 65 mètres de hauteur, ce temple de l’État du Tamil Nadu est selon l’avis général une des plus exquises merveilles architecturales de l’Inde.
Mais rien ou presque ne subsiste de leur capitale, Gangaikondacholapuram (qui signifie « Ville des Chola ayant conquis Ganga »). Les seules traces de son héritage sont le Gangaikondacholisvaram (ou temple de Brihadisvara), site inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, et le lac Cholagangam (aujourd’hui lac Ponneri), qui s’étend sur trois kilomètres.
Selon K. Sridharan, archéologue ayant fait partie de la première équipe à avoir fouillé la cité dans les années 1980, des archéologues ont pour la première fois découvert en 2021 des traces physiques dignes de ce nom révélant la présence d’un grand palais dans l’ancienne capitale.
« Seules des assiettes en cuivre, quelques œuvres littéraires tamoules et des épigraphes inscrites sur les murs des temples érigés par les Chola, dont ceux de Gangaikondacholisvaram, font mention de Gangaikondacholapuram. », déplore K. Sridharan. Selon lui, les détails qui pourraient nous renseigner sur l’agencement de la ville et sur la vie de ses habitants continuent de nous échapper. « La moindre trace physique que l’on découvre suscite l’enthousiasme. »
Si les historiens essaient encore de débrouiller le mystère de la disparition de la ville et de ses habitants au 13e siècle, beaucoup pensent que celle-ci est en partie due à une invasion menée par un royaume rival entre 1250 et 1300.
« Jatavarman Sundara Pandya de la dynastie Pandya avait envahi des contrées voisines de Gangaikondacholapuram. Il a probablement rasé la ville en épargnant seulement le temple », indique Chitra Madhavan, autrice et historienne. Elle ajoute qu’il n’était pas rare que les rois indiens épargnent les édifices religieux lorsqu’ils menaient une guerre. « Alors que les derniers Chola réinstallaient leur capitale à Thanjavur, les habitants se sont très vraisemblablement exilés vers des horizons plus prospères », explique-t-elle.
OÙ DÉCOUVRIR L’HISTOIRE DES CHOLA
Bien qu’il ne reste presque rien de la capitale des Chola, divers endroits de par le Tamil Nadu permettent aux voyageurs de découvrir cette dynastie. Plusieurs sites mettent en avant l’influence qu’ont eue les Chola sur le coulage du bronze, sur l’architecture ou encore sur la musique. Comme le rappelle Jayakumar Baradwaj, historien spécialiste des voyages thématiques sur l’héritage des chola, de nouveaux circuits patrimoniaux ont vu le jour grâce au succès national du film Ponniyin Selvan-1.
De nombreuses sculptures finement ciselées représentant des déités indiennes ornent les murs du temple de Gangaikondacholisvaram.
« Gangaikondacholapuram est peut-être un petit village de nos jours, mais c’est d’ici que les Chola régnaient autrefois sur la quasi-totalité de l’Asie du Sud-Est », fait-il observer.
Le film a également inspiré la création d’un sentier « Ponniyin Selvan ». Ce circuit de trois jours, mis au point par la Corporation pour le développement du tourisme dans le Tamil Nadu, emmène les visiteurs de Chennai, la capitale du Tamil Nadu, vers divers hauts lieux de l’histoire chola comme le temple de Brihadisvara, à Thanjavur, ou le lac Veeranam.
Les voyageurs qui tiennent à tracer leur propre chemin peuvent faire une heure de route vers le sud-ouest au départ de Gangaikondacholapuram pour se rendre dans le village reculé de Swamimalai. Là, des fonderies de bronze millénaires ayant appartenu aux Chola leur permettront de se faire une idée de la façon dont on fabrique les utsava murtis en bronze (des idoles portatives) grâce à la technique de la cire perdue, procédé affiné et popularisé par les Chola.
« Vous tomberez inévitablement sur au moins un ou deux de ces bronzes chola dans des musées internationaux célèbres comme le Metropolitan Museum of Art de New York et l’Ashmolean Museum d’Oxford », affirme S. Vijay Kumar qui, dans le cadre de l’India Pride Project, est à la tête d’une équipe de détectives du net dont le but est de rapatrier des artefacts volés.
Kudavayil Balasubramanian, ancien conservateur de la bibliothèque Saraswathi Mahal, l’une des plus anciennes bibliothèques d’Asie, située à l’intérieur du palais Maratha de Thanjavur, ajoute qu’une importante collection de sculptures chola en bronze et en pierre, produites du 9e au 13e siècle, est visible dans la galerie d’art du palais.
Riches de leurs peintures murales raffinées représentant des récits épiques, de leurs sculptures en granite délicatement ciselées ou encore de leurs tours et de leurs flèches s’élevant dans les cieux (certaines comptent encore à ce jour parmi les plus hautes d’Inde), les temples des 11e et 12e siècles qu’on a regroupés sous le nom de « Grands Temples Vivants chola » offrent une perspective unique sur l’évolution de l’art et de l’architecture chola au fil des siècles.
Inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987, le gigantesque temple de Brihadisvara, à Thanjavur, le temple d’Airavatesvara, à Dharasuram, et le Gangaikondacholisvaram, à Gangaikondacholapuram, demeurent des lieux de culte actifs où l’on s’adonne aux mêmes rituels depuis des millénaires.
À quelques pas du temple de Brihadisvara, à Thanjavur, les voyageurs peuvent visiter l’atelier où est fabriqué l’instrument national de l’Inde, la vina de Sarasvati, qui tire son nom de la déesse de l’érudition, de l’art et de la sagesse et qui descend du yazh, un ancien instrument ressemblant à une harpe et inventé pendant la dynastie chola.
Pour Vijay Kumar, ces expériences ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
« L’habileté navale des Chola est un domaine d’étude étonnamment délaissé, alors qu’il est indéniable que les Indiens du sud, et en particulier les Tamouls, ont été des pionniers de la navigation pendant une période encore plus longue, constate-t-il. Des fouilles en Malaisie, en Indonésie et même en Birmanie nous réservent peut-être de nombreuses autres surprises. »
Meenakshi J est journaliste indépendant et vit à Shillong, en Inde.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.