Défi mortel : des ascensions au sommet du monde, sans oxygène

Janice Rot et Nicolás Horta dédient leur vie à la montagne. Alors qu'il est plus facile aujourd'hui d'escalader des montagnes qu'il y a cent ans, les deux jeunes gens se sont donnés pour objectif d’escalader les plus hauts sommets sans oxygène.

De Amandine Venot
Publication 25 déc. 2024, 14:03 CET
Par une belle journée ensoleillée, le Manaslu semble transpercer les nuages. Cette montagne située au Népal, ...

Par une belle journée ensoleillée, le Manaslu semble transpercer les nuages. Cette montagne située au Népal, dans la chaîne de l'Himalaya, culmine à 8 163 mètres.

PHOTOGRAPHIE DE Denys Bilytskyi / Alamy Banque d'Images

Janice Rot, vingt-sept ans, et Nicolás Horta, vingt-trois ans, repoussent tous les jours les limites du possible dans un monde où chaque souffle est un trésor. De nos jours, si l'alpinisme reste un sport extrême, escalader des sommets n’a jamais été aussi facile. Pourtant, Janice et Nicolás, eux, tentent l’impossible : escalader des montagnes sans bouteilles d’oxygène et sans le soutien de guides sherpas, des individus qui connaissent suffisamment bien le lieu pour montrer le chemin le plus simple à suivre dans la montagne. Avec pour ambition de dépasser leurs limites, le duo a aussi à cœur de montrer que ses objectifs peuvent être atteints, par les hommes comme par les femmes. 

Pour Nicolás, escalader des sommets sans oxygène est un « hommage aux personnes ayant escaladé les plus hautes montagnes, à l’époque où les équipements n’existaient pas encore. [...] Aujourd’hui, nous avons des téléphones, de la connexion, et des équipements modernes, alors qu’à l’époque, ce n’était pas le cas. Pourtant, ces personnes réussissaient tout de même à grimper. »

Nicolás Horta prend pour exemple Jerzy Kukuczka, un alpiniste et himalayiste polonais, célèbre pour avoir été en 1987 le deuxième homme à gravir les quatorze sommets terrestres de plus de 8 000 mètres et pour avoir été le plus rapide à accomplir ce challenge, en seulement huit ans. 

Janice Rot, elle, se dit fascinée par l’idée de faire l'expérience de la montagne dans son état le plus pur, en se reposant uniquement sur sa propre force et ses propres capacités : « grimper sans oxygène me permet de me connecter plus profondément avec l’environnement et avec moi-même. » Cette passion pour l’escalade en haute altitude remonte à son enfance. Un jour, alors qu’elle raconte à sa mère avoir rêvé d’avoir escaladé un pic de 8000 mètres, sa mère lui aurait répondu « tu es prête », débutant ainsi sa quête pour réaliser ce rêve prémonitoire.

Depuis, Janice et Nicolás ont déjà accompli des exploits extraordinaires en escaladant les montagnes du Chili et du Pérou. Ils se sont familiarisés avec des pics comme le Cordillera Blanca au Pérou atteignant une altitude de 6 768 mètres, ainsi que l’Alpamayo culminant à 5 947 mètres au-dessus du niveau de la mer. 

Pour atteindre ces résultats, ils travaillent sans relâche, suivant un entraînement très strict. Janice Rot témoigne : « mon entraînement combine l’endurance cardiovasculaire et le renforcement musculaire, complété par des simulations de haute altitude. Trois fois par semaine, je m’entraîne en utilisant un masque hypoxie qui permet de simuler la sensation à 6 600 mètres au-dessus du niveau de la mer. Je cours aussi à des altitudes plus basses en portant le sac à dos contenant tout mon équipement pour travailler ma force et mon endurance ». 

Cet entraînement demande une attention extrême et un dévouement sans faille. Nicolás admet que cela peut le priver « de moments en famille ou encore de jours de repos ». Mais le jeu en vaut toujours la chandelle pour les deux grimpeurs.

Pour Janice Rot, la plus grande motivation qui la pousse à continuer est de découvrir jusqu’où le corps humain peut aller, pas que physiquement, mais aussi mentalement. « Je souhaite inspirer les autres, spécialement les femmes, à poursuivre leur rêve ». 

Dans l’histoire, « l’escalade a été un domaine dominé par les hommes, or je souhaite prouver que les femmes peuvent aussi atteindre voire dépasser toutes les limites jusqu’alors posées. Être jeune dans ce sport revient parfois à ne pas être pris au sérieux. Il est important de remettre en cause ces stéréotypes. Mon objectif est de briser ces barrières et d'ouvrir la voie pour les prochaines générations ». 

 

LA ZONE DE LA MORT

La montagne n’est pourtant pas un milieu facile. Entre des températures extrêmement basses et une fatigue extrême, « la prise de décisions dans des situations difficiles sont nos plus grands challenges », révèle Janice Rot. 

Il existe une ligne imaginaire appelée zone de la mort ou dead zone en anglais, commençant à une altitude d’environ 8 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. À cette altitude, la pression atmosphérique est si basse que la quantité d’oxygène disponible équivaut à un tiers de ce qu’elle est au niveau la mer. Le sang peine à transporter suffisamment d’oxygène vers les organes vitaux et les tissus, un phénomène appelé hypoxie. 

Nicolás Horta raconte qu'« une fois que cette ligne est atteinte, c’est une course de vitesse pour atteindre le sommet et revenir suffisamment vite pour ne pas mourir ». C’est à ce moment-là que l’on comprend que le défi d’escalader des montagnes sans oxygène est très risqué. C'est un défi pouvant être mortel. 

Janice Rot a déjà fait face à des pertes et à des drames, qui l'ont beaucoup marquée. Nicolás Horta, lui, a été très sévèrement exposé au froid lors de sa dernière expédition. « Janice a tout arrêté en comprenant à quel point c'était sévère, même si nous étions à quelques pas de notre objectif », raconte-t-il. « À partir d’un certain moment, même en considérant tout l’argent et le temps investis dans le projet, la vie reste plus importante que la montagne ».

Pour Nicolás Horta et Janice Rot, le plus important est donc de trouver le juste milieu entre repousser leurs limites et rester en vie. Le duo garde en tête que tout ce travail et cette prise de risques en valent la peine. « Même dans ces circonstances, la montagne reste notre maison » confient-ils.

« Sur l’Alpamayo, au Pérou, la dernière ligne droite pour atteindre le sommet revenait à escalader 500 mètres de glace à l’aide de piolets. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais vraiment passer le reste de ma vie en montagne », tente de décrire Nicolás Horta. 

« L'Alpamayo a vraiment été une expérience unique. Je n’ai jamais grimpé sur la glace à cette altitude et avec autant de murs verticaux », renchérit Janice Rot. « Cela a toujours été l’un de mes rêves, et j’ai été capable de l’accomplir grâce à Nicolás ».

C’est avec le même esprit d’entraide que Janice et Nicolas se préparent pour escalader de nouvelles montagnes. La prochaine étape est le pic Manaslu, situé au Népal dans la chaîne de l’Himalaya. Cette dernière culmine à 8 163 mètres au-dessus du niveau la mer. « Pour la première fois, nous allons escalader une montagne atteignant les 8 000 mètres », s’enthousiasme Janice Rot. Cette fois-ci, une équipe de tournage se rendra avec eux sur place, dans le cadre d'un documentaire.

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