Noiva do Cordeiro, le village de l'harmonie où règnent les femmes

La lutte des femmes pour leurs droits a façonné ce village brésilien.

De Paula Ramón
Photographies de Luisa Dörr
Publication 25 juin 2023, 15:04 CEST
Bruna Oliveira Fernandes est l’une des quelque 350 personnes vivant à Noiva do Cordeiro, un village ...

Bruna Oliveira Fernandes est l’une des quelque 350 personnes vivant à Noiva do Cordeiro, un village des montagnes du sud-est du Brésil fondé à la fin du XIXe siècle. Elle aime jouer avec des poules, auxquelles elle donne souvent des petits noms.

PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

Retrouvez l'intégralité de cet article dans le numéro 285 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Le nom de Noiva do Cordeiro vous dit quelque chose, il vous évoque peut-être un village entièrement dominé par les femmes, toutes jeunes et belles, qui contraignent régulièrement leurs hommes à l’exil, puis invitent des célibataires à découvrir... Voilà pour la version fictive d’un lieu bien réel. 

Car rien de tout cela ne correspond à ce qu’est Noiva do Cordeiro, une communauté rurale isolée du sud-est du Brésil. Mais de séduisants récits circulent à son sujet depuis une dizaine d’années au moins, quand des articles provocateurs ont été publiés, puis relayés par les médias du monde entier et sur Internet. 

En réalité, il y a à peu près autant d’hommes que de femmes à Noiva, qui compte environ 350 habitants. La plupart des hommes sont absents la semaine, travaillant dans une ville voisine. La majorité des femmes, elles, travaillent dans le village, géré de manière communautaire. 

De tous âges, elles prennent avec le sourire les rumeurs flatteuses et sont fières de la vraie histoire des femmes de Noiva, en particulier d’une de ses familles. À la fin des années 1800, en effet, une jeune femme a défié l’Église et la société en fondant cette communauté non conventionnelle. Aujourd’hui florissante et en constante évolution, celle-ci est dirigée par sa petite-fille, qui est âgée de 78 ans.

Des mères de famille du village se sont réunies à l’ombre d’un arbre avec leurs enfants. ...

Des mères de famille du village se sont réunies à l’ombre d’un arbre avec leurs enfants. Venir en aide les uns aux autres pour élever les enfants fait partie de la culture de la communauté de Noiva do Cordeiro.

PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

María Senhorinha de Lima a grandi dans le Brésil du XIXe siècle, un pays imprégné du machisme des colonisateurs portugais et des dogmes du catholicisme romain. Après trois mois de mariage forcé, elle s’est enfuie avec l’homme qu’elle aimait, Chico Fernandes. En guise de châtiment, l’Église l’a excommuniée, ainsi que sa descendance sur quatre générations. María et Chico se sont installés dans l’État du Minas Gerais. D’autres les ont rejoints, dont des femmes elles aussi mises au ban de la société par l’Église. Une communauté s’est ainsi développée, façonnée par l’égalité des sexes et la liberté religieuse.

Pourtant, l’excommunication a hanté les familles de la colonie. Les femmes considérées comme des « pécheresses » ne pouvaient pas quitter le village en toute sécurité. Lorsque leurs enfants tentaient d’aller à l’école dans les villes voisines, ils étaient traités de « filles de prostituées » et rejetés. Malgré tout, le village est resté pendant des décennies un avant-poste de la tolérance, accueillant les non-conformistes, les impénitents et les parias.

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    Cette photo ancienne montre les premiers habitants du village fondé par María Senhorinha de Lima (au premier plan, troisième en partant de la droite).

    PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

    L'arrivée d'Anisio Pereira, dans le courant des années 1940, a changé la donne. Cet évangéliste protestant basait sa version du christianisme sur une lecture littérale des Écritures. Il a fondé une Église et offert le salut aux anciens catholiques qui lui obéissaient. Il a limité la consommation d’alcool et la musique et ordonné que les femmes soient subordonnées aux hommes en toutes choses. Dans les années 1960, le prédicateur, âgé de 45 ans, prit pour épouse une jeune fille de 16 ans : Delina Fernandes, une petite-fille de María. 

    « Nous, les femmes, nous n’avions pas notre mot à dire, se souvient María Doraci de Almeida, 75 ans aujourd’hui. Nous ne pouvions pas prendre de contraceptifs ni bénéficier d’une césarienne. Delina a eu ses quinze enfants à la maison, sans sage-femme. Une fois, elle a accouché de sa fille à cinq heures du matin et, deux heures plus tard, elle était déjà en train de nettoyer un cochon à l’abattoir. »

    Anisio Pereira a utilisé une tendre métaphore religieuse pour son Église, qu’il a nommée Noiva do Cordeiro (« la fiancée de l’Agneau »). À sa mort, en 1995, l’église a été fermée et démolie, mais le village a gardé ce nom. Pour sceller ce change ment de mode de vie, un des fils de Pereira a ouvert un bar de l’autre côté de la rue. Delina a pris la tête de la communauté et son approche a permis aux femmes du village de s’émanciper, sans visiblement contrarier les hommes.

    Delina Fernandes, 78 ans, est ici prise en photo avec certains de ses quinze enfants. Petite-fille ...

    Delina Fernandes, 78 ans, est ici prise en photo avec certains de ses quinze enfants. Petite-fille de María Senhorinha, elle dirige la communauté de Noiva depuis 1995.

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    «Ici, les femmes travaillent dur. Elles sont fortes, ce sont des exemples à suivre, déclare Marcos Fernandes, qui, avec son frère Eduardo, s’occupe des poulets du village. Senhora Delina, par exemple, est notre plus grande source d’inspiration. Je ne peux pas imaginer la vie sans elle. Sa présence est si forte que je la sens sans la voir. »

    Delina est largement reconnue comme celle qui a permis à Noiva de redevenir une communauté inclusive. Face à la pauvreté croissante, à la fin des années 1990, elle a proposé de partager tout ce qui se trouvait dans le village, dont le travail nécessaire aux récoltes. « Nous n’avions rien, que pouvions-nous faire d’autre ? », dit-elle.

    Les habitants ont acheté une grande parcelle de terre près de Noiva, sur laquelle ils font pousser 3 500 mandariniers et des caféiers à perte de vue – les principales cultures commerciales de la communauté. Ils disposent aussi d’un potager et d’animaux de ferme. De nombreux propriétaires ont leur propre potager, avec lequel ils participent à l’approvisionnement du village. Enfin, chacun se voit attribuer des tâches, telles que la collecte du bois de chauffage, la couture et le nettoyage des espaces communs.

    « Cela a fonctionné, déclare fièrement Delina. Nous n’avons ni richesse ni argent, mais nous avons l’abondance. » Aujourd’hui, elle passe la majeure partie de son temps dans la Casa Madre, au centre du village. Assise dans la cuisine, elle sirote du café et coupe des légumes pour nourrir les poules. Mais elle reçoit aussi les habitants qui viennent lui parler de leurs problèmes et leur prodigue des conseils.

    Les habitants récoltent les cultures, qui offrent nourriture et revenus au village. Ils cueillent ici du ...

    Les habitants récoltent les cultures, qui offrent nourriture et revenus au village. Ils cueillent ici du chou fourrager, qui alimente aussi le bétail. Les travaux des champs font partie des tâches partagées qui profitent à tous.

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    Il y a quelques années, Erick Araújo Vieira est retourné à Noiva. Il en était parti à 18 ans pour aller à l’université dans la capitale de l’État, Belo Horizonte. À son retour, il est allé voir Delina et lui a annoncé son homo-sexualité. À l’époque, il n’y avait pas d’hommes ouvertement gay à Noiva. Il craignait d’être rejeté, dit-elle. « Il est venu en pleurant me dire qu’il savait que c’était un péché, qu’il n’irait pas au paradis. Je lui ai dit de se sortir ça de la tête. »

    Delina a proposé à ses filles Keila et Marcia de monter une pièce de théâtre abordant les questions de l’identité et de l’orientation sexuelles. La pièce a contribué à susciter la discussion et à favoriser l’acceptation au sein de la communauté. Si Erick a d’abord été repoussé par ses parents, leur relation s’est ensuite améliorée, grâce à l’ouverture d’esprit d’autres habitants. « Quand il est venu avec un petit ami, les anciens ont compris, explique Marcia. Il a ouvert la voie à d’autres qui, comme mon fils, ont fait leur coming out par la suite. » Des spectacles communautaires sont désormais organisés tous les samedis. Ils vont de comédies et de shows basés sur l’actualité à une performance inspirée de la chanteuse Lady Gaga qui a attiré l’attention au-delà du village, et qui a été donnée à Sao Paulo et à Rio de Janeiro.

    Noiva semble être un refuge contre la toxicité de la vie, où la coopération est préférée à la compétition et où la discorde fait place à l’harmonie. La plupart des villageois semblent si satisfaits qu’ils ne manifestent aucune envie d’en partir.

    Keila Fernandes (devant) présente un spectacle inspiré de Lady Gaga. Il a attiré l’attention au-delà du ...

    Keila Fernandes (devant) présente un spectacle inspiré de Lady Gaga. Il a attiré l’attention au-delà du village et été joué à Sao Paulo et Rio de Janeiro. « Monter sur scène et voir les visages remplis d’amour et d’admiration me procure un immense bonheur », dit-elle.

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    De nombreux habitants ont décidé de jouer le jeu lorsque des journalistes de passage ont écrit que Noiva était un village où vivaient peu d’hommes, gouverné par des sortes d’Amazones, et où coulaient le lait et le miel. Ces articles ont attiré des célibataires du monde entier, et des équipes de tournage ont cherché à recruter des femmes de Noiva pour des émissions de télé-réalité.

    « Quand les journalistes venaient, je renvoyais les hommes » pour entretenir le mythe d’un lieu uniquement habité par les femmes, s’amuse Delina, la matriarche. Sa fille Marcia rit et ajoute : «Avec cette histoire de gringos qui venaient chercher des épouses, les hommes d’ici se sont sentis menacés et ils se sont tous mariés. Même ceux qui traînaient les pieds. »

    Rosalee, une des filles de Delina, comprend ce battage médiatique. Aux yeux de l’extérieur, les femmes de Noiva peuvent sembler dominer les hommes. Mais, en réalité, « ce qui se passe, c’est qu’il existe ici une vraie égalité. Dans le reste du monde, ce n’est pas le cas », assure-t- elle. « Ici, nous sommes des êtres humains. C’est si simple qu’il est difficile de l’expliquer. »

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