Cet homme a réalisé son rêve en visitant tous les pays du monde

Parmi les enseignements d’un voyage à travers 196 pays : le goût de la viande de chameau et un système de classification du papier toilette.

De Simon Worrall
Picture of Albert Podell's co-leader on a camel in Giza
Harold Stephens et Albert Podell’s, co-détenteurs du record du monde du plus long voyage en voiture ininterrompu, posant à côté d'un chameau à Gizeh, en Égypte, en juin 1965.
Photo Gracieusement Offerte Par Albert Podell

Albert Podell, ancien rédacteur du magazine Playboy, a fait ce dont nous rêvons tous mais que très peu réalisent : aller dans tous les pays du monde, le tout en 50 ans. Parmi ses aventures on peut nommer une poursuite par un buffle d’eau, plusieurs fractures et la dégustation de mets étranges. Il s’est fait arrêter, voler et presque lyncher mais a survécu pour tout nous raconter dans un nouvel ouvrage intitulé Around the World in Fifty Years: My Adventure to Every Country on Earth.

Depuis son domicile à New York, il nous livre ses réflexions sur la question épineuse de ce que constitue un pays, indique le meilleur endroit pour manger des souris grillées, explique pourquoi les smartphones rendent les jeunes moins aventureux et pourquoi son pays favori reste les États-Unis. 

Photo Gracieusement Offerte Par Thomas Dunne Books

Frank Zappa affirmait : « Un pays n’existe pas s’il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne ». Ce n’est pas aussi simple, n’est-ce pas ?

Frank Zappa ajoutait également que la possession d’une arme nucléaire aidait mais que la bière restait le plus important. (Rires)

Mais alors qu’est-ce qu’un pays ? La Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des États fait une liste des cinq critères qui définissent un pays. Tout le monde est d’accord pour dire que tous les membres des Nations Unies, 193 en tout, sont des pays.

La plupart des gens savent également que Taïwan est un pays mais malheureusement, il n’est pas membre des Nations Unies car son adhésion est bloquée par la Chine. Le Kosovo est également un pays non membre des Nations Unies car il est bloqué par la Russie. La Cité du Vatican est, malgré sa taille et sa population, un pays reconnu. Néanmoins, le Saint-Siège a décidé que son intervention sur le plan diplomatique était plus efficace s’il maintenait un statut d’observateur aux Nations Unies et non pas de membre à part entière. C’est pourquoi nous parlons de 196 pays.

 

Êtes-vous la seule personne assez folle à avoir parcouru tous ces pays ou existe-t-il un club des 196 ?

C’est une bonne question. Il n’existe pas de club. Quelques personnes qui se font appeler le groupe des personnes ayant le plus voyagé au monde (« World’s Most Traveled People »). Habituellement, il s’agit d’un groupe d’hommes riches en yachts qui parcourent l’archipel des Philippines ou l’Indonésie où l’on trouve plus de 10 000 îles et à chaque arrêt sur une île, ils rajoutent un point sur leur carte.

Il y a également des personnes qui comptent tous les territoires qui ont été un pays dans le passé. Dans mon cas, je ne compte que les pays existant en tant que tels aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai retiré l’U.R.S.S., l’Allemagne de l’Est et le Vietnam du Sud de ma liste.

Il n’existe pas d’entité internationale pour l’organiser. C’est pourquoi il est difficile de dire qui a visité tous les pays. J’ai essayé de trouver un compagnon, une âme-sœur pendant des années. Mon ami, Tony Wheeler, fondateur de Lonely Planet, affirme qu’il a trouvé trois personnes qui disent avoir visité dans tous les pays du monde. J’ai vérifié l’information de deux autres personnes déclarant la même chose. Je ne veux pas utiliser le mot « tricher » mais ils ont été rusés. Ils ne sont pas allés en Somalie mais à Hargeisa, la capitale du Somaliland bien que le Somaliland ne soit pas reconnu comme un pays.

 

Vous venez d’une famille de Brooklyn qui n’avait jamais voyagé plus loin que Boston. Qu’est-ce qui a cloché?

(Rires) J’ai simplement senti qu’il y avait une façon plus intéressante de vivre sa vie en voyageant. J’ai commencé à faire collection de timbres à l’âge de six ans. J’étais fasciné par ces petits bouts de papier et très vite j'ai décidé que j’en voulais un de chaque pays. J’étais captivé par l’origine de ces artefacts, les différents animaux et cultures qu’ils représentaient.

Ensuite, vers l’âge de huit ans, j’ai commencé à lire et devinez ce que je lisais ? National Geographic. C’est là que ma passion pour l’étranger a débuté. Je me suis dit : « Je dois visiter tous ces endroits ».

les plus populaires

    voir plus
    En 1987, Albert Podell a loué un canoë-cargo et voyagé sur le fleuve Amazone. Il s'est arrêté à un village situé sur les affluents du fleuve à environ 160 km d'Iquitos, Pérou.
    Photo de Albert Podell

    Votre aventure a commencé avec un record mondial. Parlez-nous de votre voyage marathon en voiture.

    J’ai été éditeur en chef d’un magazine d’aventure, chasse et pêche, appelé Argosy. J’envoyais les reporters sur toutes sortes de missions : en chiens de traîneau au Groenland, en vélo pour une course du Caire au Cap.

    Après trois ou quatre ans, je me suis dit que j’en avais assez d’un travail par procuration. J’ai eu besoin de sortir et d’aller sur le terrain moi-même. Je me suis donc associé à un de nos reporters. Nous avons recruté trois autres personnes pour former ce que j’ai nommé l’Expédition trans-mondiale record. Notre idée était de battre le record du plus long voyage ininterrompu en voiture à travers le monde.

    D’autres expéditions, dans sa majorité Britanniques, étaient parties de Paris à Pékin mais le relief au niveau de l’Équateur étant plus gonflé, nous pensions qu’en conduisant plus près de l’Équateur nous pourrions battre un nouveau record de distance.

    Nous avons commencé l’expédition à Cherbourg, en France, pour ensuite nous diriger vers le sud du Maroc et traverser en voiture l’Afrique du Nord. Nous sommes allés aussi près de l’Équateur que possible malgré les guerres et les nombreux incidents sur la route.

    Cela nous a pris plus de temps que je ne l’avais imaginé. Selon mon estimation, nous devions voyager entre six et huit mois mais l’expédition a duré 581 jours et seuls deux d’entre nous avons pu terminer, mon collègue Steve et moi. Un gars a été tué par les Viêt-Congs au Cambodge et deux autres ont succombé à des maladies tropicales et ont abandonné l’expédition.

     

    J’ai visité 72 pays mais ma femme dit que je triche car je compte les pays où j’ai simplement fait escale. Quel est le critère qui vous fait affirmer que vous avez « visité » un pays ?

    Je suis désolé de vous annoncer cela mais selon moi vous avez triché. Voici mes critères :

    1. Le pays doit être reconnu comme tel au moment où vous le visitez ;

    2. Vous devez entrer sur le territoire de manière légale ;

    3. Vous devez faire tamponner votre passeport.

    4. et 5. Ces deux critères peuvent être flexibles mais vous devriez au moins connaître la capitale, y rester 24 heures et si possible traverser le pays vers une même direction.

    Vous avez besoin de faire une réelle visite. Quand vous changez d’avion, vous ne passez généralement pas par la douane donc je pense que votre femme a raison. (Rires)

    Dans un temple en Inde en 2004, Podell pose avec un groupe de singes, un d'entre eux tente de lui voler son chapeau.
    Photo Gracieusement Offerte Par Albert Podell

    Quel a été le moment le plus terrifiant durant vos voyages ?

    Sans hésitation : quand j'ai failli être pendu au Pakistan oriental. Mon expédition avait traversé le Pakistan oriental plusieurs heures avant que la guerre avec l’Inde ne commence en 1965. Nous sommes arrivés à Dhaka, la capitale de ce qui était alors le Pakistan oriental (l’actuel Bangladesh) et nous avons été informés d’une marche organisée contre la CIA qui avait fourni une grande quantité d’équipement militaire à l’Inde.

    Je voulais prendre quelques photos. Il y avait ce magnifique bâtiment situé en diagonale de la rue avec de larges balcons et une balustrade où je pouvais me cacher pour prendre des photos. J’ai donc foncé de l’autre côté de la rue, monté les quatre étages jusqu’au balcon. J’allais commencer à prendre des photos quand deux soldats m’ont attrapé. Ce bâtiment était en fait le ministère de la Défense du Pakistan. (Rires)

    Ils m’ont emmené dans une pièce où se trouvaient environ 40 travailleurs de la protection civile qui criaient « Espion indien ! Pendez-le ! Pendez-le ! » Puis le gardien est sorti pour revenir avec une grosse corde qu’il balança par-dessus une poutre puis fit un nœud coulant et le serra autour de mon cou. J’ai vraiment cru que c’était la fin.

     

    Vous avez un système unique de classification des pays. Parlez-nous du PPPR.

    Le PPPR (Podell Potty Paper Rating System) est le système de classification du papier toilette. Vous pouvez passer des heures à lire les études publiées par la Banque mondiale ou le FMI mais j’ai trouvé le moyen le plus efficace de savoir quel est le niveau économique et social d’un pays en visitant ses toilettes publiques et vérifiant la qualité du papier toilette.

    Il y a sept catégories placées sur une échelle de 1 à 7. En haut du classement se trouve le papier blanc et doux puis on passe au papier blanc et dur au papier marron et dur, avant le papier violet, vert et dans d’autres couleurs. Ensuite, on trouve les bouts de journaux puis l’absence de papier pour finir avec un simple seau d’eau.

    La catégorie la plus basse, 7 sur l’échelle, correspond aux endroits où il n’y a pas de toilettes publiques. Le seul endroit que j’ai osé noter d’un 7 est ma ville natale, New York (Rires). Je ne connais que trois toilettes publiques dans toute la ville.

    Un enfant pile du manioc - principale denrée alimentaire de base en Afrique Subsaharienne. La photo date de 2012.
    Photo D'albert Podell

    Vous avez mangé des aliments vraiment étranges durant vos voyages. Allez-y, faites-moi peur.

    J’ai mangé de tout, à l’exception d’espèces en danger. J’ai goûté le cerveau d’un singe à Hong Kong et de la vieille viande de chameau qui glisse dans votre bouche en la recouvrant d’une couche de graisse.

    Un de mes deux plus grands défis a été de manger une souris. Au Malawi, les souris se mangent mais personne ne me disait où en trouver car les Malawiens considèrent cela comme un vestige de l’ère coloniale quand la population était si pauvre qu’elle devait creuser dans la terre et les manger.

    Finalement, durant mon dernier jour au Malawi, j’ai trouvé un homme âgé qui, pour 10 dollars américains, a bien voulu m’emmener à un barbecue à la campagne où l’on servait des souris entières mais la personne qui s’occupait du barbecue était déjà en train de nettoyer. « Je ne connais pas les habitudes alimentaires des Américains mais au Malawi, nous ne mangeons des souris qu’au déjeuner et nous sommes fermés maintenant, » m’a-t-il dit sur un ton de réprimande. (Rires aux éclats)

     

    La génération de mon fils de 28 ans n’est pas attirée par l’aventure comme nous l’étions. Pourquoi, d’après-vous ? Qu’est-ce qu’ils leur manquent ?

    Très bonne question. Premièrement, ils sont habitués à avoir littéralement le monde au bout de leurs doigts grâce à Internet. S’ils veulent voir à quoi ressemble Paris, ils peuvent avoir accès aux 20 ou 30 webcams qu’il y a dans Paris.

    Je pense qu’une autre raison pour laquelle ils ne sont pas aussi aventureux est qu’il y a beaucoup de conflits dans le monde. Je ne suis pas sociologue mais je pense qu’il serait intéressant d’étudier pourquoi ils sont si prudents. C’est caractéristique chez les Américains principalement. Les jeunes voyageurs que j’ai croisés étaient Néo-Zélandais, Australiens, Allemands, Français, Canadiens ou Britanniques. Les Américains deviennent nerveux quand il s’agit de s’aventurer à parcourir le monde.

    Podell a pris ces portraits lors de ses voyages à travers le monde. Ils représentent (chronologiquement à partir d'en haut à gauche) l'Azerbaïdjan, la Nouvelle-Guinée, le Timor oriental, la Géorgie, le Yémen, le Ghana et le Myanmar (Birmanie).
    PHOTOGRAPHIE DE Photos D'albert Podell

    Quels sont les plus grands changements que vous ayez pu observer pendant ces 50 années de voyage ?

    Le plus grand changement que j’ai observé réside dans le fait qu’il est de plus en plus difficile de voyager ainsi. Lorsque nous avons fait notre tour du monde entre 1965 et 1966, notre expédition avait été plus difficile que l’expédition de Marco Polo vers la Chine malgré l’amélioration des routes et le fait que nous roulions en 4x4.

    Tout au long des cinquante années suivantes, la situation a vraiment empiré. Imaginons que vous vouliez suivre mes pas. Je ne suis pas sûr que vous surviviez en Syrie ou en Irak aujourd’hui à cause de Daesh. Je ne pense pas non plus que vous puissiez traverser l’Afghanistan. Oubliez le Yémen, les Houthis ont pris le pays. Le Sud Soudan, le plus récent pays dans le monde à être devenu indépendant et pour lequel j’avais de grands espoirs, est en train de sombrer en enfer. La Somalie vit encore une situation très précaire. C'est une zone dangereuse.

    Un chef de Papouasie-Nouvelle-Guinée est assis avec sa femme et ses enfants. Selon l'usage, les hommes utilisent les cochons comme monnaie afin d'acheter leurs femmes. Photo prise en 2007.
    PHOTOGRAPHIE DE Photos D'albert Podell

    L’autre changement considérable que j’ai remarqué est l’attitude des étrangers par rapport aux États-Unis. La première fois que je suis allé à l’étranger dans les années 1960, on ressentait une pure adulation. Ils appréciaient vraiment que nous ayons aidé à reconstruire l’Europe et d’autres pays affectés par la deuxième guerre mondiale et que nous étions le rempart de la démocratie, face à la terrible Union soviétique. Aujourd’hui, après la chute de l’empire maléfique et la naissance d’une multitude de petits démons, nous sommes le petit nouveau et beaucoup de pays ont du ressentiment envers nous.

    J’ai remarqué une évolution considérable en Afrique où l’on ressent encore l’excitation provoquée par l’élection du Président Obama. La population est fascinée par le fait que les riches et puissants Américains aient choisi un homme noir à la tête de leur pays. Pour eux, cela signifie que s’ils émigraient aux États-Unis et avaient des enfants, ceux-ci pourraient devenir Président. Cela montre également que nous croyons réellement en la démocratie.

     

    Voici une question que tout le monde doit vous poser : quel est votre pays préféré ?

    Si vous insistez vraiment, je dirai que mon pays favori reste les États-Unis. Nous avons quelques-uns des paysages les plus majestueux du monde : les séquoias, le Glacier National Park, le Mont Rainier et le feuillage de la Nouvelle Angleterre. Nous sommes une société hétérogène. À New York, vous pouvez voir des personnes de tous les credo et couleurs en communion, mais si je devais choisir des pays, je choisirais le Népal et la Suisse pour leurs paysages.

    Des moines retournent dans leur demeure après une cérémonie au Bhoutan en 2010.
    PHOTOGRAPHIE DE Photos D'albert Podell

    Pour ce qui est de la gastronomie, je choisirais le Vietnam, la Thaïlande et la France et pour la culture, plutôt la France, l’Angleterre, l’Espagne et l’Égypte.

     

    Simon Worrall est responsable de la section Book Talk. Suivez-le sur Twitter ou sur simonworrallauthor.com.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.