Comment les sites du patrimoine mondial de l'UNESCO sont-ils choisis ?

Et une fois cette sélection faite, comment ces sites sont-ils protégés, entretenus, promus, et par qui ? À l'occasion du 50e anniversaire de la Convention du patrimoine mondial, rencontre avec son directeur, Lazare Eloundou Assomo.

De Romy Roynard
Publication 1 sept. 2022, 11:00 CEST
Portrait de Lazare Eloundou Assomo, directeur du patrimoine mondial de l'UNESCO.

Portrait de Lazare Eloundou Assomo, directeur du patrimoine mondial de l'UNESCO.

PHOTOGRAPHIE DE ©UNESCO/Christelle Alix

Lazare Eloundou Assomo est avenant, posé, pédagogue, passionné. Ce Camerounais de cinquante-quatre ans est devenu en décembre 2021 le premier Africain à prendre la direction du patrimoine mondial de l'UNESCO, sur décision d’Audrey Azoulay, la Directrice générale de l’UNESCO. Diplômé d’architecture et d’urbanisme, et spécialiste de la conservation du patrimoine, il a à cœur, depuis qu’il a rejoint l’UNESCO en 2003, de défendre ces sites à « valeur universelle exceptionnelle ».

Au sein de l’Unité Afrique du Centre du patrimoine mondial d’abord, il a contribué à la création du Fonds pour le patrimoine mondial africain et au développement du Programme du patrimoine mondial pour l'architecture de terre (WHEAP). De 2008 à 2013, il est Chef de l’Unité Afrique du Centre du patrimoine mondial. En 2013, il rejoint le bureau de l’UNESCO à Bamako, dont il prend la direction en 2014. Il devient alors le chef de file de l’UNESCO au Mali pour la reconstruction des mausolées des saints détruits à Tombouctou. 

« Les cinquante ans de la Convention du patrimoine mondial, qui seront célébrés en novembre 2022, seront l’occasion d’une grande rétrospective mais aussi d’une réflexion collective sur les meilleures façons de faire prospérer notre démarche pour les cinquante ans à venir » a-t-il déclaré au moment de son investiture en tant que Directeur du patrimoine mondial de l’UNESCO.

C’est à l’occasion de cet anniversaire que nous avons rencontré Lazare Eloundou Assomo, pour tenter de mieux comprendre ce qui fait la valeur universelle exceptionnelle des sites inscrits au patrimoine mondial. Comment sont-ils choisis, protégés, entretenus, et enfin transmis aux générations futures ?

 

Tout d’abord, une question très générique mais que beaucoup se posent : comment sont choisis les sites culturels et naturels du patrimoine mondial ?

La sélection des sites qui vont rejoindre la liste du Patrimoine mondial est de la responsabilité d’un comité composé de 21 représentants d’états membres élus tous les deux ans pour des mandats de quatre ans. Tous les ans, le  comité du Patrimoine mondial  se réunit pour examiner les dossiers de candidatures qui lui sont soumis par les Etats membres de la Convention. Le Comité examine ces dossiers sur la base d’une recommandation technique et scientifique qui leur est fournie par deux organisations consultatives, l’ICOMOS et l’IUCN. La préparation de ces dossiers de candidatures doit respecter un format qui permet de fournir toutes les informations attendues. Les dossiers doivent notamment expliquer où se trouvent les sites au moyen de cartes très précises, ce qui permet de localiser et de délimiter précisément tous les sites proposés au Patrimoine mondial. Ils doivent aussi apporter la justification que les sites proposés remplissent au moins l’un des dix critères (quatre critères pour les sites naturels, six pour les sites culturels) qui permettent à un site de rejoindre la liste. Il peut s’agir de démontrer par exemple que les sites proposés représentent un chef-d'œuvre du génie créateur humain, témoignent d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée sur le développement de l'architecture ou de la planification des villes, ou encore contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique. C’est donc sur cette base que le Comité décide si un site possède ce que l’on appelle une « valeur universelle exceptionnelle » et mérite de figurer sur la liste.

 

Quel rôle peut jouer l’Unesco en temps de conflits pour protéger les sites du patrimoine mondial ? Quels sont les moyens à la fois diplomatiques, financiers, voire d’intervention, qu’a à sa disposition l’UNESCO ?

Une fois que la « valeur universelle exceptionnelle » d’un site est reconnue et qu’il est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial, il est de la responsabilité du ou des pays dans lesquels se trouve ce site d’en assurer la protection quotidienne. Tout cela est donc d’abord la responsabilité du pays. L’UNESCO agit d’abord comme témoin et garant de l’engagement que prend un état, devant le monde entier, à protéger son patrimoine, non seulement pour lui-même, mais au nom de toute l’humanité.

L’UNESCO coopère avec lesdits pays, et ce de plusieurs façons. Parfois cela peut prendre la forme d’une aide financière, à travers le fonds du patrimoine mondial, dont l’UNESCO dispose pour aider les pays, notamment les moins développés. Cela peut aussi prendre la forme de soutien technique, de formations, d’appui logistique, pour aider et former des professionnels bien outillés et spécialisés pour assurer la conservation, la gestion et la protection de ces sites au quotidien. La Convention est un accélérateur de coopération, qui permet à plusieurs états de se retrouver autour d’un patrimoine commun et de travailler ensemble à sa protection.

Il y a un autre cas de figure, très particulier : celui des sites « en péril ». Le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, en cas de conflit armé par exemple, peut décider d’inscrire les sites concernés sur la Liste du patrimoine mondial en péril afin d’attirer l’attention et de mobiliser la communauté internationale. En parallèle, l’UNESCO a mis en place une stratégie  de renforcement de nos actions qui consistent d’une part, à accompagner les pays à prévenir, atténuer et surmonter les destructions de patrimoine culturels du fait de conflits  armés, et d’autre part de faire un plaidoyer afin qu’il n’y ait pas de destruction intentionnelle pendant le conflit, et d’appeler les belligérants à ne pas les cibler, du fait de leur statut de patrimoine mondial et qu’ils sont des références culturelles identitaires historiques très importantes, pour aider à la réconciliation.

 

Ce sont donc des armes diplomatiques qui sont principalement utilisées. Le fonds du patrimoine mondial est donc surtout utilisé une fois le conflit terminé ?

Pas seulement, il permet aussi de mettre en place des actions d’urgence, et ce même pendant le conflit. Par exemple, cela peut permettre le financement de professionnels qui sont sur le terrain dans des situations très complexes et qui ont besoin de fonds immédiats pour protéger les sites en question. Soit pour acquérir des équipements de premières nécessités pour stabiliser les monuments affectés, soit pour déplacer des objets culturels conservés dans des sites du Patrimoine mondial. Ça c’est la partie qui se joue pendant les conflits, comme nous le faisons aujourd’hui en Ukraine. Ensuite, une fois les conflits terminés, les fonds sont mobilisés pour d’une part assurer la restauration ou la reconstruction des sites, et d’autre part aider les communautés qui vivent autour des sites de se relever de ce traumatisme.

 

Il arrive cependant que l’UNESCO et l’ensemble des institutions reposant principalement sur la diplomatie soient pris de court. Quand l’État Islamique a ciblé des sites du patrimoine mondial justement pour effacer la mémoire et la culture, on n’a pu que constater l’étendue des dégâts.

Avec nos outils et les mécanismes que nous avons en place, nous essayons d’anticiper au maximum ces attaques contre le patrimoine. Avant le début d’un conflit que l’on pressent, nous pouvons par exemple nous assurer que les pays qui ont des sites sur la Liste du patrimoine mondial ont aussi ratifié les autres conventions de l’UNESCO, comme la Convention de La Haye de 1954 qui permet la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé ou la Convention de 1970 qui permet la lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Cela permet par exemple de recueillir les coordonnées géographiques de tous les sites et les inventaires correspondants d’objets culturels, pour pouvoir agir beaucoup plus efficacement lorsque le conflit survient. Si des sites archéologiques sur la Liste du patrimoine mondial font par exemple l’objet de trafic illicite comme on a pu le voir en Syrie, en Irak et au Mali, cela permet de faire en sorte que les objets culturels issus de ces sites ne puissent pas se retrouver sur le marché de l’art de manière illicite. Ce travail qui est fait en amont par l’UNESCO en faveur des sites du patrimoine mondial et des autres sites, permet de limiter les dégâts.

À l'occasion du 50e anniversaire du patrimoine mondial, accompagnez-nous dans un tour du monde virtuel des ...

À l'occasion du 50e anniversaire du patrimoine mondial, accompagnez-nous dans un tour du monde virtuel des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.

PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny ©Al Safar

Le patrimoine constitue une source d'identité et de cohésion pour des communautés perturbées par l’accélération des changements et l'instabilité économique. Comment faire pour mettre en valeur ces sites tout en les protégeant du tourisme de masse ?

Sont considérés comme partenaires du patrimoine mondial pas simplement les gouvernements ou les experts mais aussi les communautés alentour qui en tirent un bénéfice. Il faut que l’action qui est menée en faveur des sites du patrimoine mondial soit aussi à l’avantage des communautés. Sur la question du tourisme, nous avons un programme pour la promotion du tourisme durable dans les sites du patrimoine mondial. Comme vous le savez, ce programme permet surtout faciliter la gestion et le développement d'un tourisme durable sur les sites du patrimoine mondial, et de mettre en place un certain nombre d’outils pour s’assurer que les retombées du tourisme bénéficient directement aux communautés, sans quoi celles-ci ne verraient pas forcément l’intérêt de protéger ces sites.

Pour des sites plus connus, notamment européens, à Venise, à Dubrovnik, se pose effectivement la question du surtourisme. Dans ces cas-là on travaille plutôt avec les gouvernements concernés pour tenter de trouver des réponses à ces questions. À Venise, on a œuvré pour limiter l’arrivée des paquebots. Idem à Dubrovnik où il était impossible de marcher dans la vieille ville.

 

On peut avoir l’impression que l’inscription de sites au patrimoine mondial les sacralise. Comment dès lors faire en sorte que la jeunesse se les approprie pour continuer de les faire siens ?

Vous avez raison de poser cette question, mais en réalité, il s’agit de révéler leur exceptionnalité au monde, et d’appeler à leur protection et leur transmission aux générations futures. Les jeunes qui sont des acteurs importants de nos communautés et qui sont l’avenir de la du patrimoine mondial, ont donc un rôle primordial à jouer dans cette protection et transmission. C’est la raison pour laquelle nous avons créé le programme d’éducation des jeunes au patrimoine mondial, qui permet à travers des campagnes de volontariat, de mobiliser des jeunes de tous les pays et renforcer leurs compétences en matière de protection du patrimoine mondial et leur donner envie de mener des actions en faveur de celui-ci. Grâce à ce programme, les jeunes sont devenus des acteurs très impliqués et sont souvent les premiers à relever les problèmes constatés sur les sites.

 

Le Fonds du patrimoine mondial s'élève à 5,9 millions de dollars pour l'exercice biennal 2022-2023, soit une augmentation de 400 000 dollars pour l'assistance d'urgence. Qu’est-ce qui a justifié cette augmentation ? Les risques climatiques ou de conflits armés qui gagnent en importance sont-ils des éléments d’explication ?

Premièrement, on a une Liste du patrimoine mondial de plus en plus importante. On compte cent-soixante-sept pays aujourd’hui qui possèdent au moins un site inscrit au patrimoine mondial. L’ensemble des 1154 sites doivent faire l’objet d’un suivi régulier de leur état de conservation. Par ailleurs, c’est vrai, les défis actuels tels que les risques climatiques et les conflits armés n’avaient pas tous été imaginés ou anticipés par le passé, et ceux-ci nécessitent de mobiliser des fonds dont une partie qui soit utilisée en cas d’urgence. D’autres facteurs clefs tels que l’exploitation minière, les projets d’infrastructures inadaptés, touchent aussi les sites du patrimoine mondial, et et nous amènent régulièrement à réajuster les financements d’urgence pour pouvoir mener des actions immédiates, notamment en faveur des sites des pays en développement.

 

Sites naturels et culturels sont aujourd’hui soumis à une forte pression climatique. Réchauffement, tempêtes et même tsunamis menacent directement des sites du patrimoine mondial. Nous sommes entrés dans une ère où tous les scénarios catastrophes doivent être envisagés pour pouvoir au mieux protéger ce patrimoine à valeur universelle exceptionnelle…

Vous évoquez à raison la question des tsunamis qui vont affecter les sites mais aussi la vie culturelle des communautés. La question même du réchauffement climatique, son effet sur les coraux, les feux de brousse, l’érosion des littoraux, peut conduire à la disparition de certains sites. Pour faire face, nous soutenons la recherche scientifique pour que nos actions soient menées sur des bases scientifiques solides, et nous élaborons des mécanismes au profit du patrimoine mondial.

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