Expérience inoubliable : une nuit en paroi à 60 mètres du sol
Suspendu par des mousquetons à 60 mètres au-dessus du précipice, Vincent Gourbière accroche une plateforme en aluminium à flanc de falaise. Les gestes ont été répétés des centaines de fois, mais il reste concentré et minutieux. C’est sur cette couchette d’un mètre sur deux surplombant le vide que je passerai la nuit.
Il est bientôt 19 heures en cette fin de mois d’août, et le soleil brille encore de toutes ses forces sur le parc naturel régional des Grands Causses, dans l’Aveyron. Dans ce décor calcaire à couper le souffle, les gorges de la Dourbie serpentent jusqu’à Millau et son célèbre viaduc. Après quelques heures de route à travers les paysages verts de la région, je m'apprête à ajouter mon nom à la longue liste de touristes venus de toute la France, et même d’Europe, pour vivre une aventure hors du commun et riche en sensations fortes.
Pour les besoins de ce reportage, le photographe National Geographic Thomas Nicolon a traversé les plus beaux paysages des Pyrénées.
Titulaire d’un Diplôme d’État (DE) d'escalade en milieu naturel, Vincent, natif de Roanne, dans la Loire, s’est installé dans la région des Grands Causses il y a dix ans. Il a d’abord travaillé dans un club d’escalade, avant de monter son auto-entreprise. Escalade, via ferrata (itinéraires rocheux équipés de câbles, d'échelons, ou encore de passerelles) canyon, spéléologie, kayak et vélo tout-terrain (VTT) : les activités proposées par Vincent sont nombreuses. Il y a six ans, il a ajouté à cette liste la nuit en paroi. « Très rapidement j’ai mis en place un projet que j’avais en tête depuis longtemps : rendre une pratique (dormir en tente de paroi) jusqu'alors élitiste et réservée à des professionnels, accessible au plus grand nombre, et ce dans ce magnifique décor des Causses. »
L'appellation Grands Causses désigne un ensemble de hauts plateaux calcaires situés dans le sud du Massif Central. Au nombre de quatre, ils s’étalent sur les départements de l'Aveyron, de la Lozère, de l'Hérault et du Gard, et sont parsemés de vallées et de gorges qui rappellent certains paysages grandioses d’Amérique du sud. C’est dans le Causse dit « noir », qui s’étend sur 200 km², que je passerai la nuit.
Alors qu’il finit d’accrocher mon « lit » sur la falaise, je photographie Vincent. Je me repose sur mon baudrier et me stabilise, les pieds posés sur la paroi rocheuse. Le soleil descend enfin, et une douce lumière dorée enveloppe le paysage autour de nous. Je comprends pourquoi Vincent a choisi cet endroit pour les nuits en paroi : l’environnement est sauvage et naturel, et la vue sur la ville de Millau, surplombée par son viaduc, est imprenable. Le meilleur des deux mondes.
Pour les besoins de ce reportage, le photographe National Geographic Thomas Nicolon a traversé les plus beaux paysages des Pyrénées au volant d'un nouveau Dacia Duster hybride.
J’ai rencontré Vincent deux heures avant. Nous nous étions donné rendez-vous à l’entrée du parc régional naturel. Après une courte présentation des prochaines étapes et des règles de sécurité, nous commençons un parcours à pied dans le parc naturel. Alors que j’admire la vue, il m’indique la présence d’un couple de vautours percnoptères sur une falaise au loin. Menacé, ce rapace connu pour utiliser des cailloux comme outils ne visite le sud de la France que pour se reproduire. Il repart ensuite vers le Sahara pour y passer l’hiver. Il n’y aurait qu’entre 3 000 et 4 500 couples de vautours percnoptères dans l’Europe entière.
Quelques mètres plus loin, en contrebas, un vol de craves à bec rouge assombrit le paysage. Cet oiseau de la famille des corvidés, rare en France, bénéficie de mesures de protection, et plusieurs campagnes de recensement ont eu lieu dans les Grands Causses pour suivre l'évolution de la population.
Après une heure de marche, nous retournons à la voiture de Vincent afin d’enfiler baudrier, casque et mousquetons pour la deuxième partie du programme, qui nous mènera jusqu’au lieu du bivouac. L’attirail de sécurité, a priori encombrant et intimidant, est en réalité plutôt confortable. Nous descendons un agréable sentier pendant quelques minutes avant de commencer la partie ludique du parcours.
Certaines passerelles peuvent donner le vertige, mais rassurez-vous, les visiteurs sont toujours attachés à une ligne de vie via deux mousquetons.
Vincent Gourbière traverse une passerelle en bois dans le parc naturel régional des Grands Causses. Grimpeur professionnel, il crée des aventures touristiques pour petits et grands dans l’Aveyron.
D'abord, c’est une passerelle en bois qu’il faut traverser. Sous nos pieds, le précipice pourrait donner le vertige à plus d’un, mais nous sommes attachés par une double ligne de vie, un câble en fer, qui réduit considérablement le risque d'accidents. Je passe en premier pour pouvoir photographier Vincent de face. Tout le long du chemin, nous accrochons nos mousquetons à un câble à chaque fois que la marche devient trop technique ou que le précipice se rapproche. Nous franchissons plusieurs obstacles et marquons une pause. L’activité est amusante et gratifiante, mais l'étape la plus impressionnante nous attend quelques mètres plus loin.
Au détour d’un virage serré entre la paroi et les branches d’un énorme pin Sylvestre, nous nous retrouvons sur une terrasse rocheuse naturelle. Le chemin s’arrête ici, et le paysage me prend par surprise : sous mes yeux, les gorges sont vertigineuses. Quelques rapaces planent. Vincent pointe du doigt le milieu de la falaise sur notre gauche : « C’est là-bas que je vais installer la tente de paroi ».
Débute alors la via ferrata. Accroché à ma ligne de vie, je fais un premier pas dans le vide pour poser mon pied sur un barreau métallique fixé à la paroi. Je progresse lentement, en faisant passer mes mousquetons d’un câble à un autre. Vincent est devant, il a commencé à installer la plateforme. Je prends des pauses pour les photos tous les deux mètres. Mon appareil se cogne parfois à la roche. Peu importe, je prends un plaisir enfantin à avancer dos au vide.
À 60 mètres du sol, Vincent Gourbière, diplômé d’état d’escalade en milieu naturel, accroche une tente de paroi à flanc de falaise. C’est sur cette plateforme d’un mètre sur deux qu’il propose aux touristes de passer une nuit inoubliable.
Une fois le lit installé, Vincent m’invite à le tester. Je m’assois doucement sur le rebord, toujours attaché. Mes pieds se balancent au-dessus de 60 mètres de vide, le soleil se couche devant moi. Des sensations uniques comme seule la nature peut en offrir.
Nous repartons prudemment vers la terrasse naturelle pour déguster un dîner composé de spécialités locales, notamment une quiche magret de canard et cèpes. Alors que la nuit s’installe, les étoiles brillent au-dessus de nos têtes. « Les gens sont toujours heureux de cette expérience » confie Vincent, « Parfois je les laisse vivre leur expérience en me mettant à part, mais je me suis aussi retrouvé à refaire le monde toute la nuit avec des gens que je ne connaissais pas quelques heures avant. C’est ce côté humain qui me porte. »
Le repas terminé, j’effectue de nouveau le trajet vers mon lit. Lampe frontale obligatoire cette fois-ci. Le sac de couchage sera presque inutile car la nuit est véritablement estivale. Je mets longtemps à m’endormir : l’endroit est trop unique, le moment trop précieux.
Le soleil se lève sur le parc naturel régional des Grands Causses. Créé en 1995 il s’étend sur 327 935 ha. C'est le troisième plus grand parc de France.
Au petit matin, la lumière, cette-fois venue de l’est, offre de nouvelles opportunités photographiques. J’y passe de longues minutes avant d’effectuer le chemin vertical une dernière fois. Le chemin du retour se fait sous un soleil matinal déjà brûlant, mais j’ai encore la tête dans les étoiles.