Voyage : les générations Y et Z ont remis les croisières au goût du jour
Entre activités dynamiques et spectacles osés, l’industrie des croisières élargit son offre. Et ça marche : la génération Z et les milléniaux représentaient près de la moitié des passagers des bateaux de croisière l’année dernière.
La génération Z et les milléniaux représentaient près de la moitié des passagers des bateaux de croisière l’année dernière.
Il est 2 heures du matin et le DJ enchaîne les tubes des années 2000. Sur la piste de danse, les vingtenaires et les trentenaires (majoritaires) sont dans leur élément. À l’entrée du club, dans un tunnel en miroirs pensé pour les photos Instagram, un groupe de filles se prend en selfie dans leurs plus belles tenues. Nous ne sommes ni dans une soirée branchée à Londres, à Paris ou à Berlin, mais bien sur le nouveau navire de Virgin Voyages, Scarlet Lady, à l’occasion d’une soirée inaugurale organisée à l’époque des tests Covid en 2021. Soutenue par le groupe Virgin de Richard Branson, la nouvelle compagnie avait pour mission de prouver que les croisières n’étaient plus l’apanage d’une vieille élite.
Cette mission, maintenant partagée par toutes les compagnies de croisières du secteur, s’articule autour de différentes stratégies : supprimer toute notion de repas fixes et de divertissements statiques pour, ce faisant, séduire de nouveaux passagers, plus jeunes. Après tout, s’il y a bien une chose sur laquelle les patrons de croisière s’accordent, c’est sur le fait que la santé du secteur repose non seulement sur la satisfaction des habitués de la mer, mais aussi sur celle de ceux qui n’auraient jamais envisagé de partir un jour en croisière.
COMMENT ATTIRER LES JEUNES ?
Au début de l’année, Royal Caribbean a révélé que près de la moitié de ses clients de ces dernières années appartenait à la génération des milléniaux ou à la génération Z. De manière générale, le rapport annuel 2023 de la Cruise Lines International Association (CLIA) a montré que les milléniaux (génération Y) représentaient 22 % de tous les passagers cette année-là, tandis que la génération Z en représentait 14 %. Par ailleurs, la CLIA a constaté que parmi les milléniaux qui étaient déjà partis en croisière, 81 % d’entre eux prévoyaient de réitérer l’expérience. Lydia Tempest-Mitchell, dix-neuf ans, appartient à une génération de jeunes ayant grandi en partant en croisière avec leurs parents. Elle a déjà participé à une vingtaine de voyages avec environ six compagnies différentes, dont Celebrity, MSC, Royal Caribbean, Carnival et Virgin Voyages. « J’ai fait des croisières un peu partout : en Amérique du Sud, aux quatre coins de l’Europe, en Espagne et aux Baléares », raconte-t-elle.
L’un des principaux attraits cités par les jeunes croisiéristes comme Lydia est que, comme les road trips, les croisières offrent aux voyageurs la possibilité d’explorer de multiples destinations, tout en profitant de divertissements, d’expériences gastronomiques et de temps en mer. L’année dernière, Lydia a fait le tour des îles grecques avec un groupe d’amis qui partait en croisière pour la première fois. « Ce fut l’un des meilleurs voyages de ma vie. Ils ne savaient pas à quoi s’attendre, mais maintenant l’un de mes amis essaie de convaincre les siens de partir en croisière. »
À bien des égards, Lydia est exactement le type de jeunes que les compagnies de croisières cherchent à séduire : quelqu’un étant déjà parti en croisière dans son enfance et qui essaie maintenant d’initier ses amis à cette manière de voyager. « Il y a dix, vingt ans, notre défi en tant qu’industrie était d’inciter les gens à partir en croisière pour la toute première fois », explique Andy Harmer, directeur général de la CLIA. « Car nous savons qu’une fois qu’ils y avaient gouté, il y avait de fortes chances pour qu’ils retentent l’expérience et en parlent à leurs amis et à leur famille. Ce qui est intéressant avec la nouvelle génération de croisiéristes, c’est qu’ils ont souvent grandi en partant en croisière avec leurs parents. Les barrières ont sauté, car ils savent déjà de quoi il retourne. »
Le secteur est également soutenu par le nombre croissant de voyages multigénérationnels, c’est-à-dire des groupes composés de trois générations (enfants, parents et grands-parents) voyageant ensemble. Les données de la CLIA montrent qu’environ 28 % des croisiéristes en 2023 faisaient partie d’un groupe multigénérationnel. Cette croissance est en grande partie due à la diversification de l’offre à bord des navires, mais aussi aux itinéraires de croisière eux-mêmes. « De nos jours, ce ne sont pas seulement les destinations qui comptent, mais aussi les activités proposées, qu’il s’agisse de randonnées, d’excursions à vélo ou en kayak, ou encore de visites culturelles et de dégustations de vins. Nous savons que les jeunes veulent essayer quelque chose de nouveau », explique M. Hammer.
L’ATTRAIT DES « MINI-CROISIÈRES »
Des décennies d’études de marché ont révélé que l’une des préoccupations majeures des personnes qui partaient en croisière pour la première fois était de se sentir « piégé » à bord du navire. Ce sentiment, associé à la croyance répandue selon laquelle les milléniaux et la génération Z auraient une durée d’attention plus courte que leurs parents à cause des médias sociaux, a conduit à une offre croissante de « mini-croisières », dont beaucoup visent presque exclusivement les jeunes. « Ces deux dernières années, nous nous sommes efforcés de réduire la durée moyenne de nos croisières », explique Aaron Langford, directeur principal des ventes chez Royal Caribbean au Royaume-Uni. « Et nous avons constaté que cette formule fonctionnait pour deux raisons. D’une part, elle permet de divertir les nouveaux adeptes des croisières — majoritairement des jeunes —, et d’autre part, elle semble attirer un plus large public de vacanciers. »
Virgin Voyages propose une sélection de vingt restaurants, des food trucks et des pop-ups, ainsi qu’un atelier de préparation de cocktails qui vous apprend à réaliser et photographier vos créations.
Royal Caribbean propose de courtes croisières de deux et trois nuits le week-end pour visiter Bruges en Belgique, ainsi que des voyages de cinq nuits vers Hambourg et Rotterdam, au départ de Southampton. Au départ de Barcelone, des itinéraires de cinq nuits permettent de découvrir la Méditerranée espagnole, française et italienne. P&O Cruises propose également des croisières plus courtes au départ de Southampton, comme un voyage de trois nuits à Guernesey et des croisières de quatre nuits à Amsterdam, ainsi qu’une croisière en France et en Belgique comprenant des escales à Cherbourg et Bruges.
Adam Coulter, qui dirige le site d’information Cruise Critic, estime que cette tendance des mini-croisières est apparue en Amérique du Nord, où des compagnies comme Royal Caribbean ont investi dans des îles privées afin d’attirer des passagers plus jeunes. À Perfect Day at CocoCay, l’île privée de l’opérateur aux Bahamas, vous pouvez plonger dans le plus haut toboggan aquatique d’Amérique du Nord, barboter dans la plus grande piscine à vagues des Caraïbes, vous élever à 130 mètres d’altitude à bord d’un ballon à gaz, ou simplement vous détendre sur la plage. « Avant, c’était toujours un voyage aller-retour de sept nuits », explique M. Coulter. « Aujourd’hui, on peut partir trois ou quatre jours, ou simplement se rendre sur une île privée. Cela attire les jeunes, parce qu’ils peuvent essayer et voir si ça leur plait. Et si ça ne leur plait pas, ce n’est pas grave : ils ne se retrouvent pas coincés pendant sept ou dix jours. »
UNE EXPÉRIENCE GASTRONOMIQUE… ET ÉROTIQUE
Selon M. Coulter, la génération Instagram est également séduite par un éventail de plus en plus large d’options de restauration, et l’abandon de la notion de repas à heures fixes. Pour Virgin Voyages, la cuisine est cruciale, étant donné la réputation de la génération des milléniaux d’être une génération de gastronomes. En plus d’une vingtaine de restaurants, de food trucks et de pop-ups, les trois navires de la compagnie proposent un cours de cocktails où l’on apprend à prendre de superbes photos des boissons que l’on prépare. « Nous sommes connus pour avoir la meilleure cuisine du secteur des croisières », affirme Nirmal Saverimuttu, directeur général de Virgin Voyages. « Les gens montent à bord, goutent à notre cuisine et la comparent à celle d’un dîner à Londres ou à New York. »
Pour attirer les jeunes passagers, les navires de croisière proposent des forfaits boissons spéciaux et des voyages plus courts le week-end.
Sa pièce de résistance s’appelle The Test Kitchen, un restaurant gastronomique doublé d’un laboratoire culinaire où le personnel porte des blouses blanches. Il a été salué pour son menu dégustation de six plats en constante évolution, chaque plat étant centré sur un ingrédient clé. D’autres marques ont également renforcé leurs références en matière de restauration. Lancé en 2022, le navire Arvia de P&O Cruises (le plus grand jamais construit spécifiquement pour le marché britannique) dispose de dix-sept points de restauration distincts.
P&O Cruises a également noué des partenariats avec des chanteuses comme Nicole Scherzinger, ainsi qu’avec les célèbres chefs cuisiniers Marco Pierre-White et Shivi Ramoutar, ce qui, selon le président de la compagnie, Paul Ludlow, contribuent à faire souffler un vent de jeunesse sur ses navires et à augmenter l'attractivité de sa marque. « Le fait de travailler avec ces personnalités nous aide à casser les idées reçues sur les croisières. Tout le monde connaît Marco, trois étoiles Michelin. Et quand les gens voient que nous collaborons avec lui, ça leur donne une idée de ce qui les attend. Tout comme lorsqu’ils se rendent compte que Gary Barlow est notre directeur musical. »
Convaincre les voyageurs soucieux de l’environnement risque en revanche de ne pas être une mince affaire. Les statistiques du gouvernement britannique montrent que les jeunes sont davantage préoccupés par l'environnement que leurs parents. Selon l’Office des statistiques nationales, 86,6 % des personnes âgées de vingt-cinq à trente-quatre ans ont « modifié en partie ou en grande partie leur mode de vie pour lutter contre les problèmes environnementaux », et bien que le secteur travaille dur pour améliorer son image, les croisières et le développement durable sont encore loin de faire bon ménage. De ce fait, de nombreuses compagnies ont adopté des technologies plus écologiques, comme des navires fonctionnant au gaz naturel liquéfié, beaucoup plus propre que le carburant conventionnel. Des ports du monde entier se dotent également de nouvelles infrastructures d’alimentation électrique à quai, permettant aux navires de se brancher sur le réseau et d’éteindre leurs moteurs lorsqu’ils ne sont pas en mer.
Les marques apprennent également des erreurs qu’elles ont pu commettre en cherchant à séduire un nouveau public. Dans le cas des croisières pour adultes de Virgin Voyages, deux grands changements ont été opérés. Le premier, explique M. Saverimuttu, a consisté à rendre les cabines moins minimalistes et à y ajouter un peu de chaleur, ainsi qu’à retirer les boîtes de jouets sexuels à 25€ placées dans chaque cabine. La deuxième a consisté à changer certains aspects de leurs divertissements. « Nous avions un spectacle pour adultes qui s’est avéré un peu trop osé. Nous avons eu beaucoup de retours sur le fait qu’il était un peu trop clivant. Nous avons commis des erreurs en cours de route et nous devons pouvoir admettre sans gêne que nous nous sommes trompés », explique-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.