À Oman, l’oasis de Bisya livre ses secrets
Une équipe National Geographic explore cette vaste oasis au centre du pays. Dès 2500 avant notre ère, les habitants des marges du désert se sont adaptés au climat aride.
Le site archéologique d’al-Dhabi 2, oasis de Bisya : sur la colline, les ruines d’une tour en pierre de 40 m de diamètre sont l’une des plus imposantes constructions des premières sociétés d’oasis. À l’arrière-plan, les monticules visibles en haut des collines sont autant de tombes millénaires.
Comment pouvait-on vivre dans les marges arides et inospitalières du désert voilà 4500 ans ? Animée par cette question, l'archéologue et exploratrice National Geographic Mathilde Jean est allée fouiller les sols du sultanat d’Oman sous un soleil de plomb. Armée de son pinceau et de sa truelle, et entourée d’une équipe de spécialistes, elle mène depuis près deux ans une grande étude sur l’oasis de Bisya, l’une des zones archéologiques les plus denses de l’âge du Bronze dans ce pays.
Aux alentours de 2500 avant notre ère, le climat devient plus aride, l’agriculture d’oasis se développe pour la première fois et une partie de la population se sédentarise. Bisya regorge des vestiges de cette époque : des maisons en pierre et en terre organisées en villages, des cultures de palmiers dattiers, des tours monumentales de 20 à 40 mètres de diamètre et des milliers de tombes....
Pour vivre avec peu d’eau et beaucoup de soleil, ces communautés rivalisent alors d’ingéniosité. Leurs techniques de subsistance pourraient bien revenir au goût du jour, des millénaires plus tard, face aux défis du changement climatique. Tour d’horizon de la vie de l’âge du Bronze Ancien, installée dans les marges du désert, avec Mathilde Jean.
L’archéologue Mathilde Jean, Exploratrice National Geographic.
Pourquoi avez-vous décidé d’étudier cette oasis ?
À Oman, c’est l’une des zones archéologiques les plus denses pour la période de l’âge du Bronze. Dès les années 1970, les premières prospections archéologiques ont révélé de nombreux vestiges à Bisya. Aujourd’hui, les recherches de terrain et les nouvelles technologies ont confirmé cette profusion de traces du passé. Grâce aux images satellites, nous pouvons cartographier ces structures depuis le ciel, avant de les enregistrer sur le terrain. Nous savons donc qu’il reste beaucoup à comprendre et à étudier dans cette oasis.
Pourquoi les populations de l’âge du Bronze se sont-elles sédentarisées ici ?
Au début de l’âge du Bronze, entre 3000 et 2000 avant notre ère environ, les populations font face à une aridification du climat, autrefois plus humide. Elles doivent désormais développer des solutions durables pour s’approvisionner en eau dans les zones arides. Les communautés s’installent à proximité des wadis, ces cours d’eau temporaires qui sont uniquement actifs lors d’épisodes pluvieux. Bisya, située à la confluence de deux wadis, dispose donc d’un avantage majeur. Ici, un village dynamique se développe. Les habitants, organisés au sein d’une communauté solidaire, construisent des structures qui dépassent largement le cadre familial. Des tours de 20 à 40 mètres de diamètre, dont on ne connaît pas encore l’usage, témoignent d’un travail de groupe d’ampleur, organisé et appuyé sur des connaissances techniques élaborées. Ces populations déposent aussi leurs défunts dans des tombes collectives qui contiennent parfois des centaines de corps. Et l’agriculture d’oasis se développe.
A Bisya, l’équipe de fouille regroupe des archéologues français, omanais et bengalis pour dévoiler les vestiges d’un village de l’âge du Bronze Ancien, vieux de 4 500 ans.
Comment les habitants de Bisya ont-ils pu devenir agriculteurs dans un tel climat ?
Dans le cadre de ce projet National Geographic, nous avons récolté des indices montrant qu’étaient cultivés là-bas, à cette période, des palmiers dattiers. Nous avons retrouvé des noyaux de dattes, mais aussi des racines de palmier dattier et des fragments de bois carbonisés dans des habitations de l’âge du Bronze Ancien.
Ces arbres supportent très bien la chaleur. On sait que dans les oasis traditionnelles, ils créent un couvert arboré en dessous duquel il fait plus frais : là, on peut cultiver des arbres fruitiers, et encore en dessous, des céréales. C’est le « principe d’étagement », typique de l’agriculture d’oasis, que l’on essaye de mettre en évidence à Bisya. Cette année, nous avons d’ailleurs retrouvé des graines de céréales carbonisées dans un foyer – des études archéobotaniques sont en cours pour déterminer si elles étaient cultivées sur place.
De plus, les habitants maîtrisaient déjà des stratégies de gestion des ressources en eau. Autour de certaines tours monumentales de l’oasis, de grands fossés permettaient de capter l’eau dans les wadis, et, sans doute, de la redistribuer vers les zones habitées et/ou cultivées.
Dégageant les couches de terre accumulées au cours du temps, les archéologues mettent au jour les bâtiments de l’âge du Bronze et étudient leur structure.
Quels sont les autres indices du développement de l’agriculture ?
Ils sont indirects. Nous avons retrouvé des meules dans les maisons : les habitants de Bisya transformaient sûrement les céréales en farine. Autre signe du développement des cultures : l’état des dentitions ! Ces nouveaux sédentaires avaient bien plus de caries et d’abcès. En cause : la consommation des fruits du palmier dattier. Les dattes, très nourrissantes, sont aussi très riches en sucres. Elles ont laissé des traces... Nous allons maintenant procéder à l’étude des ossements humains retrouvés dans les tombes et des restes alimentaires piégés dans le tartre des dents pour en savoir plus sur ce nouveau régime.
Les habitants de l’oasis auraient eu, dès l’an 2500 avant notre ère, des contacts avec d’autres peuples... Quelles en sont les preuves ?
Nous avons découvert de multiples preuves d’échanges de longue distance, par voie terrestre et maritime. Nous avons identifié des coquillages dans les maisons et les tombes, sur ce site pourtant éloigné de 200 km de la mer ! Nous avons également retrouvé des céramiques importées typiques de la civilisation de l’Indus (Pakistan), du Balochistan, d’Iran et de Mésopotamie dans les tombes et les habitations. Elles sont très distinctes de celles produites localement. La prochaine étape de notre étude consistera à retracer précisément ces réseaux et à essayer de déterminer le contenu de ces céramiques échangées.
Chaque fragment de poterie est collecté précieusement : leur analyse permettra de dater l’occupation du site et de reconstituer les artisanats, les modes de vie et les réseaux d’échanges.
Il semble qu’aucune autorité visible ne gouvernait l’oasis. En quoi est-ce particulier ?
Dans les régions voisines comme la Mésopotamie, des traces écrites témoignent d’un pouvoir central, royal et administratif, qui régissait la vie à l’âge du Bronze. Au contraire, à Oman, aucun indice ne permet d’affirmer l’existence d’une autorité marquée. Dans l’oasis de Bisya, toutes les tombes sont collectives. Aucune maison ne semble plus prestigieuse qu’une autre, à ce stade de nos recherches. Comment l’interpréter ? L’hypothèse de sociétés égalitaires a d’abord été avancée par les pionniers de l’archéologie d’Oman. Nous nuançons aujourd’hui cette idée. Nous soupçonnons l’existence d’une forme de hiérarchie subtile, peut-être à l’échelle du groupe plutôt que d’un individu, au sein d’un système de type tribal. Mais nous devons poursuivre les recherches pour mieux comprendre l’organisation sociale de cette oasis et de la région.
Le site n’est pas isolé : il s’intègre dans un paysage archéologique à l’échelle de l’oasis. Ici, depuis les ruines de la tour, on aperçoit une tombe du site voisin de Salut.
Comment ces habitants des marges du désert peuvent-ils nous inspirer, à l’heure du changement climatique ?
La vie oasienne repose sur un équilibre durable entre activités humaines et ressources naturelles. La première chose remarquable concerne la gestion de l’eau. Il y a 4500 ans, les habitants de l’oasis de Bisya savaient déjà optimiser l’eau, irriguer en captant les wadis. Plus tardivement, à Oman, les aflaj ont permis l’agriculture en milieu aride dans de nombreux endroits dès l’âge du Fer (vers 1300 avant notre ère). Ces canaux souterrains captent l’eau directement dans les nappes phréatiques et, grâce à leur inclinaison en pente douce, l’acheminent jusqu’aux cultures. Pas besoin d’énergie extérieure : la circulation se fait simplement grâce à la gravité. Ce système parfaitement durable ne fonctionne qu’avec une consommation raisonnée : si l’on prélève trop, alors les niveaux d’eau deviennent trop bas pour que les canaux puissent fonctionner.
Un autre enseignement dans le domaine architectural : l’isolation des bâtiments. Les maisons en terre crue protègent bien plus efficacement de la chaleur que les constructions modernes en béton. De plus, dans les oasis traditionnelles, la proximité des villages et des palmeraies permet de maintenir une fraîcheur acceptable. Ces techniques étaient probablement utilisées dès l’âge du Bronze. C’est dire que les solutions pour s’adapter au réchauffement existent !
L’oasis d’Adam aujourd’hui : le village traditionnel, abandonné récemment, offrait la fraîcheur d’une architecture en terre intégrée dans la palmeraie. Les zones agricoles sont toujours exploitées, tandis que la ville moderne s’étend tout autour, ne bénéficiant plus de l’irrigation ni de la végétation.