Yann Joseph, l’aventurier qui nettoie les rivières
Inspiré par un reportage paru dans le magazine National Geographic, Yann Joseph a réalisé un défi fou, celui de descendre en rafting les 10 plus belles rivières du monde, tout en les dépolluant.
Yann Joseph descend en rafting la rivière Ahansal, située dans le Haut-Atlas marocain.
C’est l’histoire d’un homme presque comme tout le monde. Yann Joseph, cinquante-cinq ans, est marié et salarié dans une banque dans le Nord de la France. Il aime pratiquer rafting et kayak dans son club de toujours, le Canoé Club Kayak d’Armentières (CCKA), et participe à des collectes de déchets dans les rivières sur lesquelles il glisse. En 2015, il a un déclic en lisant un reportage dans le magazine National Geographic listant les dix plus belles rivières à descendre en rafting ou kayak à travers le monde. Il souhaite dès lors non seulement faire de cette liste la sienne, mais aussi ce faisant participer à leur dépollution.
Comment est né votre projet ?
Nous sommes en septembre 2015. Je lis un article du magazine National Geographic intitulé : « Les dix plus belles rivières du monde à descendre en rafting ou en kayak ». Dans mon fauteuil, je me dis : « C’est ça que je vais faire, je vais descendre les dix plus belles rivières du monde ». Ma femme est dubitative. Mes trois filles sont séduites par l’idée. Mais l’une d’entre elles me questionne : « C’est super ton idée papa, mais que vas-tu faire pour le climat ? Tu vas beaucoup prendre l’avion et tu auras un bilan carbone lourd ». J’ai me dis alors que je vais faire exactement ce que je faisais chez moi dans le Nord, mais cette fois-ci à travers le monde : nettoyer les rivières des déchets plastiques.
Passage étroit de la rivière Futaleufú, dans les Andes chiliennes.
Comment avez-vous trouvé le temps et les fonds pour réaliser cet ambitieux projet ?
L’entreprise dans laquelle je travaille me permet d’utiliser assez souplement « mon compte épargne temps ». Ainsi, au fils des années, j’ai pu mettre mes jours RTT de côté jusqu’à atteindre 11 mois, afin de poser une année sabbatique entière en 2020. Cela devait me permettre de descendre toutes les rivières, mais l'épidémie de Covid-19 m'a poussé à étaler mon projet dans le temps. J'ai finalement profité de mes vacances en 2022, pour parcourir les dernières rivières.
En parallèle, j’ai créé ma propre association Along Clean Rivers en 2017. J’avais déjà descendu trois rivières avant de chercher des sponsors, afin de leur prouver que mon projet était bien sérieux. Ceux-ci m'ont surtout permis de financer les opérations de nettoyage. Le tiers des fonds collectés était reversé à Surfrider, une ONG en charge de la protection des Océans et des littoraux. J'ai financé toute la partie aventure et amusement avec mes propres fonds.
Quelles sont ces fameuses dix plus belles rivières que vous avez descendues ?
La toute première était la Salmon river aux Etats-Unis, en juin 2017. Ensuite, je suis parti en janvier 2018 dans l’Himalaya en Inde, pour parcourir la rivière Chadar. Celle-ci a la particularité d’être complètement gelée, j’ai donc décidé de la remonter à pied et non de la descendre en rafting comme je le faisais d’habitude.
En fin 2019, j’ai descendu la rivière Magpie au Canada, en kayak gonflable. J’ai ensuite décidé de prendre mon année sabbatique en 2020, pour me consacrer à 100 % à la descente et dépollution des rivières. En janvier, j’ai descendu la rivière Futaleufú au Chili. J’ai enchaîné avec la Franklin river en Tasmanie. Mais en mars 2020, je me suis retrouvé bloqué au Maroc et n’ai pas pu descendre la rivière Ahansal. J’étais alors contraint de rentrer chez moi. J’ai repoussé mon année de césure et mis mon projet en pause. Je pensais pouvoir terminer mon objectif des dix rivières en 2020. Je ne me suis pas découragé et me suis dit que cela serait simplement un peu plus long que ce que j’avais prévu. J’ai pu reprendre mon voyage en mars 2022, et ai terminé la rivière Ahansal au Maroc. En mai, j’ai fait la Cotohuasi river au Pérou. Je me suis envolé ensuite vers la Zambie pour descendre le fleuve Zambèze. En novembre, je me suis rendu à la rivière Sun Koshi au Népal. Finalement, j’ai clôturé mon aventure en janvier 2023 avec la dernière rivière, le Nil Blanc en Ouganda.
En ce qui concerne les opérations de nettoyage, comment vous y prenez-vous sur place ?
Je n’étais jamais seul sur les rivières. Que ce soit pour l’aspect sportif ou pour la dépollution, je m’appuyais toujours sur des équipes locales qui connaissaient le terrain. Je prenais contact bien en amont avec elles, pour leur expliquer mon projet. En général, les opérations de nettoyage duraient deux jours. Souvent, ceux qui m’accompagnaient pour descendre les rivières venaient ensuite avec moi pour les nettoyer. Il est devenu de plus en plus facile pour moi de convaincre les habitants de me suivre dans mon projet après mes premières expériences, car je pouvais montrer ce que j’avais déjà fait avant. Parfois, lorsque les opérations de nettoyage des rivières étaient trop compliquées, notamment à cause du débit de la rivière, je cherchais un autre endroit à nettoyer ou bien je donnais des conférences dans des écoles pour sensibiliser à l’impact des déchets plastiques.
Opération de nettoyage avec le club de rafting « White Nile Rafting », sur le Nil Blanc en Ouganda.
Yann Joseph s'est allié avec l'association des femmes « éco-solidaires » pour dépolluer la rivière Cotahuasi au Pérou.
Est-ce que ce projet vous a changé ?
Je me suis rendu compte, durant mon voyage, que le changement climatique était prégnant partout. Par exemple, la rivière Chadar en Inde devait être complètement gelée en hiver, pourtant elle ne l’était pas malgré les -25 °C. Nous n’avons donc pas pu la remonter jusqu’au bout. Autre exemple probant, mon avion a été détourné en janvier 2020 à cause des feux de forêts, alors que je me rendais en Australie.
Aujourd’hui, je suis encore plus sensible à la préservation de l’eau. En 2015, je pensais que le plastique allait être le prochain problème du monde, mais dorénavant, je pense que c’est la sécheresse. Par exemple, à Futaleufu au Chili, j’ai découvert qu’il y a des régions où les habitants n’ont plus d’eau depuis dix ans. Ils doivent se faire livrer par camions-citernes depuis Santiago pour survivre.
Ce que j’en tire aussi, c’est qu’il faut croire en ses rêves. J’ai mis huit ans à réaliser de bout en bout mon objectif, et j’en suis fier aujourd’hui.
Vous avez atteint votre objectif et clôturé le chapitre « Along Clean Rivers ». Savez-vous quel sera votre prochain défi ?
Je suis devenu animateur pour l’Association La fresque du climat, car je pense que c’est le grand défi actuel. J’y suis d’autant plus sensible que je viens du Nord-Pas-de-Calais, et que nous avons subi de grosses inondations ces derniers temps. En ce qui concerne Along Clean Rivers, je n’ai pas l’envie de repartir pour des projets d’une telle envergure. Toutefois, je continue à donner des conférences et j’utilise les fonds récoltés pour financer des opérations de nettoyage des rivières, chez moi dans le Nord.
La rivière Chadar en Inde a la particularité d’être complètement gelée en hiver. Il est donc possible de la remonter à pied.