Italie : à la découverte de la "Florence du sud"

Avec ses nombreuses basiliques aux teintes de miel et ses cathédrales baroques somptueusement décorées, la ville de Lecce, dans le sud de l’Italie, est souvent considérée comme la « Florence du Sud ».

De Angela Locatelli
Photographies de Francesco Lastrucci
Publication 11 oct. 2024, 10:48 CEST
Italy Lecce Basilica facade

La construction de la Basilica di Santa Croce et de son impressionnante façade a duré plus de 140 ans.

PHOTOGRAPHIE DE Francesco Lastrucci

Il n'est pas chose aisée de porter une basilique sur les épaules, pourtant, malgré la chaleur estivale, ces hommes ne bronchent pas. Sculptés dans la façade couleur miel de la Basilica di Santa Croce, les personnages de pierre agenouillés en ligne le long du mur semblent soutenir la façade supérieure à mains nues. Au-dessus d’eux, l’édifice et ses somptueux ornements semblent comme animés : des chérubins tournoient en spirale devant des guirlandes de grenades et de feuilles d’acanthe qui s'élèvent vers le ciel et culminent en harmonie autour de la rosace centrale. « La construction a commencé en 1549 », m’explique la guide locale Anita Maggiulli. « Mais il a fallu plus de 140 ans pour l’achever. Le jeu en valait apparemment la chandelle, puisque l’église est devenue le symbole de la ville. »

Je me trouve à Lecce, le plus grand centre urbain du Salento, la pointe du talon de la botte de la péninsule italienne. Entre ses hameaux blanchis à la chaux, ses longues plages de sable et les eaux cristallines de la mer Ionienne et de la mer Adriatique, la région résume à elle seule ce qui fait la réputation des Pouilles. Mais la ville de Lecce, située dans l’arrière-pays, se distingue par son architecture grandiose, sculptée de main de maître, et qui lui a valu le surnom de « Florence du Sud ».

Gauche: Supérieur:

La cathédrale de Lecce, située sur la Piazza del Duomo, arbore de nombreuses peintures baroques.

Droite: Fond:

De nombreuses boutiques du centre-ville de Lecce vendent des spécialités locales.

Photographies de Francesco Lastrucci

Selon Anita, si le surnom de la ville est souvent imputé à l’historien allemand Ferdinand Gregorovius, il a été imaginé pour la première fois par George Berkeley, un évêque irlandais ayant traversé les Pouilles au 18e siècle. À une époque où le sud de l’Italie était considéré comme dangereux et anarchique, l’évêque s’est aventuré jusqu’à l’extrémité de la région et a découvert une ville dotée de remparts défensifs, de près de 140 églises et, surtout, de magnifiques façades. « La ville l’a troublé », raconte Anita, mimant un mélange de surprise et de confusion. « Il l’a décrite comme un lieu qui n’avait rien à envier à Rome ou à Venise, et qui ressemblait même à une petite Florence. »

Si la capitale toscane a été le berceau de la Renaissance, Lecce est devenue l’exemple même de l’ère baroque. Cette forme d’art opulent a vu le jour à Rome au 17e siècle, alors que le Vatican luttait contre la menace du protestantisme à l’aide de son arme de prédilection : une démonstration ostentatoire de son pouvoir. À mesure que le style baroque s’est répandu vers le sud, il s’est paré de touches locales. « Nous ne pouvions pas jouer avec les dimensions à la façon des Romains ni utiliser des matériaux prestigieux comme les Napolitains », explique Anita. « Mais nous avons eu la chance de disposer d’un matériau " pauvre " qui nous a permis de créer des merveilles : La pierre de Lecce ».

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    L’ancien hôpital du Saint-Esprit est construit en pierre de Lecce.

    PHOTOGRAPHIE DE Francesco Lastrucci

    Ce type de calcaire présente trois caractéristiques essentielles : il est extrait dans les carrières de la région de Lecce ; il formait autrefois le lit d’une mer ancienne, ce qui explique pourquoi l’on trouve encore aujourd’hui des coquillages et des fossiles incrustés dans ses dalles, et il est si malléable que l’on peut le sculpter à l’aide d’un canif. « Il est aussi tendre que de la mollica », explique Anita, en faisant allusion à de la mie de pain, alors que nous nous éloignons de la Santa Croce. « C’est devenu la caractéristique principale du baroque de Lecce. »

    Le centre-ville est presque entièrement teinté de la chaude nuance blanc cassé caractéristique de la pierre. Et si le baroque a d’abord été réservé aux églises et aux hôtels particuliers, de larges pans de la ville ont été reconstruits dans ce style. Aujourd’hui, les habitants de Lecce déambulent dans les rues de la ville, insensibles au musée à ciel ouvert qui s’offre à eux : linteaux de fenêtres sculptés de coquilles Saint-Jacques, portes flanquées de piliers de style corinthien, balcons aux balustrades majestueuses.

    Ces trente dernières années, les artisans locaux ont commencé à expérimenter une approche plus moderne de la taille de la pierre. L’un des premiers a été le sculpteur Renzo Buttazzo, âgé d’une soixantaine d’années, qui m’a accueillie le lendemain matin à l’extérieur de sa maison-atelier située à la périphérie de San Cesario, à dix minutes de route de Lecce.

    « Il fait chaud, hein ? », me lance-t-il en guise de salut, secouant sa chemise grise en lin pour s’éventer. « J’organise ici des ateliers de taille de pierre pour montrer aux visiteurs que le Salento ne se résume pas au soleil et à la mer. Si l’on veut vraiment connaître la région, il faut rencontrer les gens qui l’ont construite ».

    Dans son atelier de San Cesario, le sculpteur Renzo Buttazzo expérimente les techniques modernes de la taille de la pierre.

    PHOTOGRAPHIE DE Angela Locatelli

    Ici, il crée, au sens propre comme au sens figuré. Au fond de son jardin, il a aménagé un petit espace pour exposer ses œuvres en pierre de Lecce. Le plafond étant transparent, la lumière du jour éclaire ses sculptures, disposées sur des socles en bois tout au long des murs. On peut y admirer des figures sinueuses sans visage ni traits, et des formes moléculaires qui semblent se contracter et se dilater, sans angles ni lignes dures, sans commencement ni fin. C’est une étude tout en oxymores, où le solide paraît mou et le lourd léger comme une plume.

    Pour décrire son approche avec la pierre de Lecce, Renzo emploie le terme sconvolgere, un verbe italien qui exprime l’idée de bouleverser le statu quo. Au début des années 1990, alors que les artisans utilisaient encore ce matériau pour sculpter des putti et des séraphins, Renzo le transformait en objets de la vie quotidienne, tels que des horloges et des lampes, avant de passer à la sculpture abstraite. En 2001, il a été décoré de l’Ordre du mérite de la République, l’équivalent italien du titre de chevalier.

    « Je prends l’ancien — le baroque — pour créer le contemporain », me résume Renzo alors qu’il retourne à l’extérieur dans ses sandales abîmées, les semelles couvertes de poussière blanche. « Nous, les tailleurs de pierre locaux, sommes issus d’une longue tradition d’excellence, et nous avons le devoir de la perpétuer. Nos prédécesseurs ont construit de leurs mains quelque chose d’aussi magnifique que la Basilica di Santa Croce. Quatre siècles plus tard, je travaille de la même manière ».

    Arrivé à son poste de travail, une table entourée d’outils épars située dans un patio couvert, Renzo se remet à la tâche. Je l'observe positionner un scalpel en bois et le frapper à l'aide d'un marteau pour sculpter des sections d'une figure ondulante et creuse. Il attrape ensuite une râpe pour modeler les courbes et du papier de verre pour lisser la surface. « Parfois, je suis là dix heures par jour et j’en reviens épuisé », me raconte-t-il, les sourcils froncés, en prenant un peu de recul pour apprécier ses efforts. « Ce n’est pas facile, vous savez, d’offrir de la beauté aux gens ». Et pourtant, alors que son expression s’adoucit, satisfait de son travail, je ne peux que penser à la facilité avec laquelle il donne l’impression d’y parvenir.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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