La Napa Valley, au-delà des vignobles

La Napa Valley est peut-être connue pour ses vignobles et son cabernet sauvignon mais son savoir-faire ne se résume pas qu’au vin.

De Alicia Miller
Publication 18 mai 2023, 13:30 CEST
Voici une petite idée de ce qui est quotidiennement proposé sur les menus de l'Oxbow Public ...

Voici une petite idée de ce qui est quotidiennement proposé sur les menus de l'Oxbow Public Market, l’espace de restauration de la ville de Napa : hot-dogs garnis de choucroute et paninis au gouda.

PHOTOGRAPHIE DE Ryan Lahiff

Sur les trottoirs de Saint Helena, à un peu plus d'une heure au nord de San Francisco, il fait assez chaud pour faire frire un œuf. Il fait environ 35°C dans la rue principale de cette ville du vin, parfaitement entretenue, la chaleur irradiant sur les rangées de vignes environnantes. La soif m’a naturellement poussée à entrer dans une salle de dégustation d’alcool à 11 heures du matin, m’offrant ainsi un peu de fraîcheur. Non pas que je ressente le besoin de me justifier, nous sommes tout de même dans la Napa Valley où sa consommation est encouragée.

Je suis entourée de cuves et de fûts en acier. Zack, un assistant débordant de vie, passe une heure à me servir de petites quantités pour dégustation. Après une douzaine de verres, lorsque les choses qui m’entourent deviennent agréablement floues et que la chaleur extérieure n'est plus qu'un lointain souvenir, il sort une toute dernière bouteille. « Celle-ci, m’assure-t-il en remplissant mon verre, est vraiment spéciale ; avec des notes de mandarine et de citronnelle ». Je respire les arômes piquants et bois à pleines gorgées. Cette bière vaut le détour.

Oui, de la bière dans la Napa Valley, la région viticole la plus célèbre des États-Unis. Ici, où la plupart des gens vénèrent le vin, le cabernet sauvignon plus précisément, tannique et qui a du corps, il faut être imaginatif pour explorer d’autres horizons. Plus encore : le tourisme et l'économie locale étant fortement axés sur le vin, il s’agit même d’avoir du cran.

Nile Zacherle, fondateur de Mad Fritz Beer, en est convaincu. Alors qu'il suivait une formation de brasseur il y a plusieurs dizaines d’années, il a trouvé que les ingrédients, toujours identiques, utilisés dans les bières de grande consommation, n'étaient pas particulièrement inspirants et s'est ainsi tourné vers la vinification. Plus tard, alors que le brassage de bières artisanales faisait fureur, il a décelé une lacune sur le marché : une bière de qualité, typique de Napa Valley. Il a donc lancé Mad Fritz Beer parallèlement à son travail de vinificateur.

« Imaginez que toutes les exploitations viticoles se fournissent en raisin exactement au même endroit », énonce-t-il. « C'est à peu près le produit du brassage de base. Mais nous, nous voulions de l’authenticité dans l'origine de nos ingrédients ». En d'autres termes, Nile Zacherle voulait fabriquer ses bières comme son vin, en choisissant avec soin ses céréales, qu’il cultive lui-même pour certaines, en maltant sur place, en faisant vieillir la bière en fût de chêne français et en la conditionnant en bouteille. Il propose différents types de bières : de la blanche citronnée, que je suis en train de siroter, à la Gruit, aromatisée avec un mélange de plantes infusées, en se servant d'épeautre ou de maïs bleu traditionnel comme base. Le joyau de sa collection est la Napa Ale, « reflet de l’époque et du lieu », utilisant de l'orge de l’Oak Knoll District et du houblon local. Il est évident, me dis-je en avalant ma bière et en retournant sous le soleil de Saint Helena, que cette vallée peut produire bien plus que du raisin.

À la brasserie Mad Fritz Beer, les bières artisanales vont de la blanche citronnée à la ...

À la brasserie Mad Fritz Beer, les bières artisanales vont de la blanche citronnée à la Gruit, aromatisée avec un mélange de plantes infusées.

PHOTOGRAPHIE DE Jeff Bramwell

Napa Valley n'a pas toujours été synonyme de vin. Avant l'historique Jugement de Paris de 1976, lors duquel les crus californiens ont triomphé des français au cours d'une dégustation à l'aveugle dépeinte dans le film Bottle Shock, il s’agissait d’un coin agricole ensoleillé et reculé, habité par des hippies. En cinquante ans, Napa est devenu l'une des régions viticoles les plus prestigieuses du monde, avec ses célèbres vins rouges, notamment son cabernet sauvignon, qui atteignent des prix à trois chiffres. Des domaines viticoles valant plusieurs millions bordent aujourd'hui la Saint Helena Highway, faisant parfois payer jusqu'à quatre-vingt-quatorze euros par personne pour une dégustation. Les villes viticoles chics comme Yountville ou Calistoga sont jalonnées d'hôtels cinq étoiles.

Cependant, malgré les apparences, comme le prouve Mad Fritz Beer, cette vallée de presque 50 kilomètres de long ne se résume pas à l'œnotourisme. Même si la demande a fait augmenter la superficie des vignobles, certaines entreprises se démarquent. Des agriculteurs comme Peter Jacobsen, à Yountville, utilisent leurs terres pour cultiver des figues et des poires, ainsi que des variétés rares de tomates, toutes biologiques. Dans son cas, ces produits sont destinés à certains des plus grands restaurants de Californie, dont The French Laundry, l'établissement trois fois étoilé de Thomas Keller.

L'un des autres clients de Peter Jacobsen est Philip Tessier, chef du PRESS, steakhouse bien ancré à Saint Helena. Il l'a rejoint en 2019 et l'a depuis transformé en un restaurant gastronomique axé sur les produits de la Napa Valley.

« Lorsque j'ai repris l'établissement, il ne proposait que du steak et du cabernet sauvignon », me raconte-il dans la cuisine du restaurant plus tard dans la soirée, une fois le soleil couché et la chaleur de la journée retombée. « Mais cela ne reflète pas la diversité et la créativité de la vallée. Un menu dégustation nous donne l'occasion de présenter des produits auxquels les gens ne pensent pas lorsqu'ils évoquent la Napa Valley. »

Le menu varie en fonction du rythme unique de la vallée et des produits de saison qu’offre celle-ci. Alors que je me dirige vers ma table pour le dîner, Philip Tessier m’explique : « Nous avons des tomates jusqu'en octobre et des courges sept mois par an. Le seul défi consiste à savoir quoi choisir. »

À table sur la terrasse, je déguste des plats colorés à base de pois verts, de maïs doux et de basilic. Son plat signature, originaire d’Italie, le gnudi de ricotta enveloppé de fleurs de courge avec une consommé de parmesan, est à la fois riche et délicat. Lorsque j'en arrive aux asperges blanches, servies avec un faux-filet de Wagyu américain, en hommage aux racines steakhouse du restaurant, j'ai l'impression d'avoir dévoré un champ entier de produits frais.

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    PHOTOGRAPHIE DE Ashes & Diamonds

    Le lendemain, je me rends dans la ville de Napa, la plus grande zone urbaine de la vallée, pour me faire une idée de ce qui est quotidiennement proposé aux habitants sur les menus des restaurants. Contrairement aux villes touristiques chics et rurales de Saint Helena, Yountville et Calistoga, Napa semble plus ancrée dans le monde « réel », avec des rues plus animées, des bars et des restaurants abordables, ainsi qu’un fabuleux espace de restauration : l'Oxbow Public Market.

    À l'intérieur, je suis prise dans la cohue de l'heure du déjeuner. Des hot-dogs garnis d'oignons rouges, de choucroute et de relish, préparation de légumes et de vinaigre utilisée en tant que condiment, sont apportés sur la terrasse ensoleillée. Les paninis au gouda et au poulet sont recouverts d'aïoli au jalapeño. Tout autour, les éventaires regorgent de fruits à noyaux à l'odeur sucrée et les étagères sont remplies d'huile d'olive, de chocolats et d'épices. Je suis tentée par quelques huîtres qui ont été ramassées à 80 kilomètres de là mais je me retiens : j'ai d'autres projets pour le repas.

    Nous sommes en milieu d'après-midi lorsque j'arrive enfin au Buster's Southern BBQ, à quarantes minutes de route de Calistoga, dans la vallée. Ouvert depuis 1965, cet endroit sans prétention sert, à l'heure du déjeuner, des côtes de bœuf, de l’effiloché de porc et des hot links, un type de saucisse, à la fenêtre d'un kiosque. Tandis que je déguste mon coleslaw dans la salle à manger extérieure ombragée, les spas branchés de la rue principale de la ville et ses grandes salles de dégustation me semblent bien loin.

    Buster's Southern BBQ, plus haut dans la vallée, à Calistoga, est un endroit sans prétention où ...

    Buster's Southern BBQ, plus haut dans la vallée, à Calistoga, est un endroit sans prétention où l'on peut déguster des côtes de bœuf et écouter des groupes de musique à l'heure du déjeuner.

    PHOTOGRAPHIE DE Barbara Jolly and Arely Martinez

    Il fait encore plus chaud qu'hier. Ce n'est pas une surprise : Calistoga est l'une des zones les plus étouffantes de Napa Valley, située dans un couloir aride qui ressemble au désert du Kalahari cet après-midi. Lorsque j'entre dans Tank Garage Winery, installée dans une station-service des années 1930 en face du Buster's Southern BBQ, les lumières sont éteintes. L'alimentation électrique de la ville a été temporairement coupée afin d’éviter que les climatisations tournant à plein régime ne submergent la compagnie d'électricité.

    Heureusement, ici, il fait frais. À plus d'un titre, avec ses vieilles pompes à essence et sa signalétique d'époque, Tank Garage Winery n'a pas l’apparence d’une cave viticole typique de Napa. En jetant un coup d'œil à la liste de dégustation, je constate qu'elle est également différente, avec des cépages comme le barbera, le trousseau gris et le mourvèdre. On peut y trouver un vin pétillant naturel issu d’une vinification en rouge et même un blanc d’une macération carbonique. 

    « Sur environ 93 % du territoire californien sont plantés des cépages habituels : cabernet, chardonnay et pinot noir », m’indique le vigneron Bertus van Zyl, originaire d'Afrique du Sud. « Les 7 % restants sont originaux et très intéressants. J'aime les vins d’un style plus acide, d’un autre temps. »
    Pour faire simple, les vins de Tank Garage Winery ne sont pas les rouges traditionnels, qui ont du corps, de la vallée de Napa.

    En dégustant cette collection originale, j'apprends que chaque vin est unique. Même si les raisins proviennent des mêmes vignobles chaque année, ils ne seront jamais vinifiés deux fois de la même manière. L'objectif est d'innover : tant que c'est délectable, tout est permis.

    Le vin blanc La Loba, à base de petit manseng et de bianchetta trevigiana, est l'un de mes préférés. Les raisins ne proviennent cependant pas de Napa ; Bertus van Zyl les achète dans le comté d'El Dorado, tandis que les fruits utilisés pour ses autres vins proviennent en grande partie de comtés voisins comme Sonoma et Mendocino. Le prix élevé des terres à Napa ne permet pas la culture de cépages atypiques ; cela n'a tout simplement pas de sens sur le plan financier.

    Alors que les lumières se rallument, on m'explique un autre difficulté rencontrée dans la région. Celle-ci m’est apparue au cours de mes deux journées étouffantes sur place : la raison pour laquelle l'électricité est coupée pendant les journées chaudes est que cela réduit le risque de surcharge du réseau et, par conséquent, d'incendies. Napa Valley en a déjà connu trop : en 2021, des incendies dévastateurs ont ravagé Meadowood, son centre de villégiature. 

    « Nous sommes confrontés à des incendies de forêt, mais aussi à des gelées, à des pluies record et à des inondations », explique Bertus van Zyl. Avec les autres producteurs de Napa, il est en première ligne pour réagir à ces événements et reconnaît la nécessité de les anticiper.

    Existe-t-il un meilleur argument en faveur de la diversification dans la vallée ? S'appuyer uniquement sur le cabernet sauvignon ne laisse aucune autre issue. Les innovations apportées par des personnes telles que Bertus van Zyl, qu'il s'agisse de cépages plus résistants ou de nouveaux lieux de culture, peuvent offrir des options dans le cadre de cet avenir incertain. « Notre meilleur atout à long terme, indique-t-il alors que je bois ma dernière gorgée de son vin unique, c'est la créativité. »

     

    UN GOÛT DE NAPA VALLEY

    Le design de cette cave située juste à l'extérieur de la ville de Napa fait tourner les têtes : un bloc minimaliste, blanchi à la chaux, avec une salle de dégustation bordée de fenêtres. Les vins sont rafraichissants, moins alcoolisés que beaucoup d'autres de la vallée, relativement sobres et superbement équilibrés. Venez expérimenter les associations qui vous sont proposées : des breuvages à goûter absolument, ainsi qu'un festin qui surpasse les insipides planches de charcuterie de certains autres endroits. Il vous sera certainement servi une salade de quartiers de fruits et légumes avec du tahin aux herbes et du quinoa croustillant, ou encore du poulet tendre avec des pois chiches, des poivrons marinés et du chorizo. Comptez 156 euros pour un déjeuner comprenant cinq plat et quatre vins.

     

    Bear

    Ce restaurant chic mais sans prétention, situé dans le nouvel hôtel Stanly Ranch, est l'exemple parfait de la scène gastronomique grandissante de la ville de Napa. Prenez place sur la terrasse au coucher du soleil et laissez-vous séduire par des produits californiens retravaillés selon des influences du monde entier : comme la courge honeynut garnie de pollen d'abeille et de piment guajillo. C'est à la fois délicieux et surprenant. Comptez 90 euros pour trois plats, vin non compris. 

     

    Dans le domaine viticole de Francis Ford Coppola, les dégustations constituent une véritable expérience. Le somptueux château d'inspiration française nous donne l'impression d'être sur un plateau de tournage, avec des tapis persans, de la musique lounge et des lumières tamisées. S'attendrait-on à moins de la part du réalisateur du film Le Parrain ? Les cabernets sauvignons sont délicieux, mais ne passez pas à côté du blancaneaux, dans le style de celui d’un vallée du rhône blanc, à base de viognier, de roussanne et de marsanne. Pensez à jeter un œil aux œuvres d'art subtiles accrochées à l'intérieur, peintes par Francis Ford Coppola lui-même. La dégustation s’élève à 78 euros.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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