Le bosquet de la Reine, le jardin secret de Marie-Antoinette à Versailles
Les fleurs étaient une réelle passion de Marie-Antoinette. Elle a donc fait construire un bosquet mettant en valeur la biodiversité du monde entier, et dont la minutieuse restauration s’est achevée l’année dernière.
Le bosquet de la Reine est l’un des jardins du château de Versailles. Conçu comme une série de « pièces » isolées en plein air, où Marie-Antoinette pouvait s’échapper des regards indiscrets, le jardin a été restauré avec une variété remarquable d’espèces végétales.
Le château de Versailles a été conçu pour époustoufler. Ce n’étaient pas uniquement sa taille colossale, ses tonnes de marbre, et ses fresques remarquables qui sidéraient ses visiteurs au 17e siècle (et continuent aujourd’hui encore d’impressionner ses huit millions de visiteurs annuels). Les jardins étaient également un symbole du pouvoir de Louis XIV, mettant en valeur le génie et les merveilles du « jardin à la française » d’André Le Nôtre, reproduit à maintes reprises à travers l’Europe.
À peine 200 mètres plus loin, le bosquet de la Reine, plus discret, contraste avec la précision géométrique de Le Nôtre. Pour celui-ci, Marie-Antoinette engagea les meilleurs botanistes, architectes et horticulteurs afin de se créer un refuge secret, loin des regards indiscrets et des règles strictes de la cour royale du 18e siècle.
Alors que la splendeur symétrique de Le Nôtre permettait d’accueillir des fêtes théâtrales et des feux d’artifice, le bosquet était un lieu où l’on pouvait s’évader et se cacher derrière un grand rideau de verdure. Bordée d’épais espaces boisés, la parcelle rectangulaire s’inspirait des jardins anglais. Elle était parcourue de chemins sinueux bordés d’arbustes qui reliaient des tonnelles et des allées fleuries, entrecoupées de bancs pour offrir un repos tranquille à celles et ceux qui s’y rendaient.
La parcelle fut conservée pendant plus de deux siècles. Puis, en 1999, la tempête Lothar, désignée comme l’une des « tempêtes du siècle » en France, dévasta les jardins de Versailles, abattant au total 53 des arbres du bosquet de la Reine. Après des années de financement et de recherche, la restauration a été lancée, et a duré deux ans. Achevée l’été dernier, elle a permis de reproduire fidèlement le bosquet en replantant la même riche variété d’espèces.
Ce stéréogramme d’archive (date inconnue) illustre des vases et statues dans une partie du bosquet de la Reine.
Une balade dans ce bosquet permet aux visiteurs de se replonger dans cette époque, l’époque où les naturalistes se joignirent à des aventures maritimes pour trouver des spécimens d’espèces rares. Ces voyages n’étaient pas uniquement destinés à créer de nouvelles routes commerciales et à agrandir les empires coloniaux, ils représentaient également une tentative de percer les mystères du monde naturel pendant le siècle des Lumières. Le bosquet de la Reine fut doté des fruits de ces efforts, arborant aujourd’hui une précieuse collection de plantes symbolisant l’esprit du 18e siècle.
« Le bosquet de la Reine est unique à Versailles », explique Véronique Ciampini, conductrice d’opérations du jardin, qui a supervisé la restauration. « À l’époque, la nouvelle mode des jardins paysagers anglais était en rupture totale avec le style de Versailles. Marie-Antoinette a été séduite par ce style de jardins qui créait une connexion émotionnelle avec le monde naturel, qui reposait sur la philosophie de Rousseau et sur les nouvelles idées sur la relation entre l’Homme et la nature. Ce bosquet a été le premier de Versailles à célébrer les plantes. »
Cette vue aérienne du bosquet de la Reine prise le 13 mai 2020 montre le projet de restauration en cours.
UNE MISE EN VALEUR DE LA BIODIVERSITÉ MONDIALE
Situé près de l’Orangerie, le bosquet de la Reine abritait autrefois un labyrinthe de fontaines représentant les animaux des fables d’Ésope, que Louis XIV commanda dans le cadre de l’éducation de son fils, le dauphin. Trop cher à entretenir, le labyrinthe finit par être abandonné. Un peu plus d’un siècle plus tard, dans les années 1770, Marie-Antoinette saisit cette opportunité pour imposer ses goûts sur cette parcelle convoitée de deux hectares.
Son équipe de paysagistes, dirigée par l’architecte Michel-Barthélemy Hazon, s’inspira des espèces étrangères collectées lors d’expéditions maritimes menées à travers le monde. Les graines furent cultivées et les boutures acclimatées à Versailles, dans le Trianon (aujourd’hui Grand Trianon) et le bosquet de la Reine. Vitrine de la biodiversité du monde entier, le bosquet de la Reine fut conçu telle une succession de salles vertes à ciel ouvert, chacune consacrée à une espèce végétale différente.
Les experts horticoles de la reine, l’abbé Nolin et André Thouin, communiquaient avec les meilleurs botanistes du monde pour échanger des graines et des conseils, et l’épanouissement de ces échanges scientifiques internationaux profita au bosquet. L’arbre de Judée original provenait du Moyen-Orient, les cerisiers du Japon, et une abondante variété de plantes du Nouveau Monde, les Amériques étant alors au centre de l’attention : ces plantes comprenaient notamment l’arbre à frange, le sumac de Virginie, le cerisier de Virginie et les catalpas.
Cette vue aérienne du bosquet de la Reine prise le 9 juin 2021 montre le jardin rénové.
Le tulipier de Virginie ne tarda pas à devenir l’arbre préféré de la reine et fut ainsi exposé dans la salle principale du bosquet, où elle se réunissait avec ses enfants et ses proches. « Il est arrivé à Versailles en 1732, et il y avait beaucoup d’espoir quant à sa taille potentielle, sans parler de ses magnifiques fleurs en forme de tulipe qui étaient remarquablement grandes pour un arbre d’ornement », explique Ciampini. L’espace de forme carrée s’épanouit comme prévu. Dans l’ouvrage Description des environs de Paris de 1824, Alexis Donnet écrit : « Le bosquet de la Reine, riche en arbres étrangers, offre le plus beau refuge de tulipiers que l’on connaisse. »
« Ces plantes n’étaient pas seulement choisies pour leur origine, mais aussi pour la beauté et le parfum de leurs fleurs », ajoute Ciampini. « C’était révolutionnaire à Versailles. Les jardins de Le Nôtre étaient très verts, comme une tapisserie verte géante, ponctués de sculptures et de fontaines, mais ils ne contenaient pas de fleurs. »
Cette illustration de 1818 dépeint l’éclosion d’un tulipier, l’une des nombreuses espèces d’arbres plantées dans le bosquet de la Reine.
Avec ses fleurs orange et vert clair, ce tulipier de Virginie n’a pas tardé à devenir l’arbre préféré de Marie-Antoinette.
Marie-Antoinette était passionnée par les fleurs. Outre ses faiblesses pour les sucreries et la mode (surnommée « Madame Déficit » en raison de ses goûts hors de prix, elle se faisait apparemment fabriquer 170 robes par an), elle était obsédée par les roses. Sa collection était si réputée que des voyageurs du monde entier venaient pour l’admirer.
UN TRAVAIL DE RECHERCHE DIGNE D’UN DÉTECTIVE
Afin de restaurer le bosquet tout en restant fidèles à l’histoire, les historiens du palais ont fouillé les archives de fond en comble. Des lettres de 1775 détaillaient la conception du bosquet. Thouin écrivait que l’espace nécessitait « une variété artistique dans la forme des arbres et de leurs feuilles, la couleur de leurs fleurs, la période de l’année durant laquelle ils seront en fleurs, les différentes nuances de feuillage ».
Le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments du Roi chargé des projets de construction du monarque, décrivait à Hazon la manière dont les allées mèneraient à des arbustes ornementaux, « parfois en ligne droite », parfois en courbe. Les commandes de plantes faites par les jardiniers du 18e siècle lors du réapprovisionnement saisonnier du bosquet furent tout aussi utiles à l’équipe de restauration.
« Ces recherches sont devenues un véritable travail de détective », explique Ciampini. « Parfois, les noms des plantes changeaient avec le temps. Par exemple, le tulipier était parfois appelé "bois blanc" ou "bois jaune". Ces noms provenaient directement des traductions de mots amérindiens réalisées par les explorateurs botaniques de l’époque. »
Les allées sinueuses et la symétrie géométrique de cette illustration dépeignent les influences anglaises et françaises dans la conception du bosquet de la Reine.
Pour la restauration, une équipe de 5 jardiniers (10 dans les périodes chargées) replanta 650 arbres (21 espèces et variétés), 6 000 arbustes fleuris (46 espèces et variétés), 147 tulipiers de Virginie (chacun financé par un donateur), et 600 rosiers. Un bon nombre des variétés de roses de Marie-Antoinette n’existant plus, l’équipe en choisit 38 en se basant sur leurs couleurs délicates, la taille de leurs pétales, et les odeurs préférées de la reine.
Le patrimoine arboricole est mis en valeur par les quelques arbres anciens qui ont survécu à la tempête de 1999, dont trois tulipiers du 18e siècle et un magnifique pin laricio de Corse. Ce dernier compte parmi trente arbres du domaine qui sont répertoriés sur le parcours « arbres admirables », que les visiteurs peuvent suivre grâce à l’audioguide gratuit disponible sur l’application du château de Versailles.
Bien que le bosquet fut une source de paix pour Marie-Antoinette, il contribua également à sa perte suite à l’affaire dite du collier de la Reine. En 1784, une rencontre illicite eut lieu dans le bosquet de la Reine entre un cardinal en disgrâce, qui espérait regagner les faveurs de la reine, et une femme se faisant passer pour elle.
En février 1785, le cardinal acheta un collier de diamants d’un prix exorbitant destiné à la reine, malgré elle, et le fit passer à une comtesse qui jouait le rôle d’intermédiaire. Peu après l’avoir reçu, cette comtesse, fourbe, le vendit par morceaux pour financer son propre style de vie extravagant. Lorsque le scandale éclata au grand jour, la réputation de la reine fut irrémédiablement ternie, associée au subterfuge et aux goûts dépensiers. L’incident attisa les flammes d’une colère qui couvait depuis longtemps et qui finit par faire tomber le régime.
Mais avant son éviction forcée de Versailles en 1789, la reine au destin tragique pouvait se réfugier ici, dans le monde des plantes. Niché derrière des grilles en fer forgé, le bosquet de la Reine était un lieu où l'on pouvait se promener, avec émerveillement et contemplation, le long de sentiers sinueux, à travers une végétation luxuriante.
« Cette palette végétale a été conçue pour inspirer des émotions et faire appel à tous les sens au fil des saisons », explique Ciampini. « Nous espérons créer ce même sentiment de surprise pour les visiteurs d’aujourd'hui ».
Mary Winston Nicklin est une rédactrice et éditrice indépendante établie à Paris et en Virginie. Retrouvez-la sur Twitter.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.