Route 66 : la route la plus célèbre d'Amérique passe à l'électrique
Près d'un siècle après la création de la Route 66, celle-ci est dorénavant équipée en infrastructures pour véhicules électriques, offrant ainsi, en même temps qu'un retour dans le temps, un aperçu de ce dont l'avenir sera fait.
Les automobiles devenant de plus en plus populaires dans les années 1920, une nouvelle route a été créée pour faciliter les trajets entre Chicago et Los Angeles.
Cet homme est gigantesque. Il se tient debout, avec assurance, sur le bord de la route, jambes légèrement écartées, chaussé de bottes argentées dignes d’un astronaute. Il mesure plus de 9 mètres de haut, ses épaules arrivant presque à la hauteur de la pointe du toit à pignon derrière lui. Il porte une combinaison vert irisé qui brille comme du mercure exposé sous le soleil de l'Illinois, ainsi qu'un casque arrondi à travers lequel il est difficile de distinguer ses sourcils épais et son regard fixe. Il tient dans ses mains, de la même manière qu’une batte de baseball, une fusée filiforme dont le flanc argenté est orné de deux mots : Launching Pad, soit littéralement « rampe de lancement ».
L'astronaute Gemini Giant, en fibre de verre, s’est posé pour la première fois ici dans les années 1960, à l'extérieur d'un drive-in de Wilmington. Il a atterri en même temps qu'une pléiade de titans surnommés les « Muffler Men », installés en bordure de route par des propriétaires avisés pour attirer les automobilistes affamés dans leurs restaurants. Après tout, la venue de ces derniers était garantie étant donné leur affluence sur ce qui était, et reste sans doute toujours, la route la plus célèbre des États-Unis : la Route 66.
S'étendant sur un peu moins de 4 000 kilomètres vers l’ouest, à travers le pays, de Chicago à Santa Monica, en Californie, cette route symbolise l'esprit des États-Unis comme aucune autre. C'est une capsule temporelle de l'histoire du pays, avec ses luttes et ses triomphes. Dans les années 1930, les migrants se dirigeant vers la Californie l'ont empruntée pour échapper au Dust Bowl. À l'âge d'or de l'après-guerre, lorsque la voiture était reine, les familles s'entassaient dans leurs Chevrolet et prenaient cette route pour dîner dans des restaurants familiaux et dormir dans des motels éclairés par des néons.
Ses jours de gloire ont commencé à s’éloigner dans le rétroviseur lorsque les nouvelles autoroutes inter-États, plus rapides, ont gagné en popularité dans les années 1960. Cependant, la Route 66 reste à ce jour la quintessence du road trip aux États-Unis, cimentée par la culture, du roman Les raisins de la colère de John Steinbeck à, plus récemment, le film d'animation des studios Pixar, Cars.
Elle offre aux voyageurs la possibilité de remonter le temps et de découvrir les États-Unis d’antan. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une mise à jour qui devrait la propulser dans le futur, juste à temps pour célébrer son 100e anniversaire en 2026 : un réseau complet de points de recharge est actuellement mis au jour, ce qui signifie qu'il sera bientôt possible de la parcourir sur toute sa longueur avec un véhicule électrique.
Impatiente de tenter cette expérience, j’ai pris la route depuis Chicago, prévoyant de parcourir 450 kilomètres vers le sud à bord d'une berline tout électrique, jusqu'à la frontière du Missouri, et de revenir. Ce trajet de cinq jours représente environ 0,04 tonne de CO2, soit un quart de la consommation d'une voiture essence traditionnelle. Rapidement, le paysage est passé des gratte-ciels à des mers dorées de maïs ondulant et, 96 kilomètres plus loin, c’est là que je suis tombée nez à nez avec cet astronaute.
Plus tard dans la journée, 72 kilomètres plus au sud, j'arrive à Pontiac, une jolie ville de carte postale de l'Illinois qui s'articule autour d'une place arborée où trône un palais de justice en briques rouges. Ma visite coïncide avec une convention sur les voitures de collection. Les parkings sont envahis de vieux bolides et d’accros à la mécanique qui se promènent, jetant des regards admiratifs sur les rangées de Corvettes racées et les lignes pures des Cadillacs aux couleurs pastel.
Étant la seule à conduire un véhicule électrique dans Pontiac ce matin-là, pour autant que je puisse en juger, j'ai le monopole de la borne de recharge électrique. Par chance, il s'agit d'un superchargeur qui promet une batterie pleine à la vitesse de l'éclair. Tous les points de recharge pour véhicule électrique ne sont pas identiques, les temps de recharge variant par exemple de 20 minutes ici à 18 heures ailleurs. Soulagée, je me dirige vers l'attraction la plus célèbre de Pontiac pour attendre : le Route 66 Association Hall of Fame & Museum.
Le Gemini Giant est un géant silencieux emblématique de la Route 66. Ce type de sculpture servait autrefois de personnage publicitaire.
À l'entrée, Rose Geralds, quatre-vingt-cinq ans, m'attend. Guide au musée, elle porte une chemise Route 66 décorée de voitures anciennes et de cartes routières. « Nous avons déjà reçu des visiteurs de dix-neuf pays différents en une seule journée », me raconte Rose, rayonnante, alors qu'elle me guide parmi des milliers d'objets qui ont été donnés au musée. Nous passons devant un mannequin abimé de Marilyn Monroe, une habituée de la Route 66 qui a ouvert la voie ici dans sa Ford Thunderbird rouge.
« Ce qui est aujourd'hui attractif dans la Route 66, c’est d’avoir l’impression de pouvoir remonter le temps, avec tous les vieux panneaux, les relais routiers et les stations-service qui la bordent », explique Rose, debout à côté d'une vitrine remplie de clés de chambre ornées de monogrammes et de cendriers avec des logos imprimés, vestiges des motels, pour la plupart disparus, présents jadis le long de la route. « Cette route est comme un musée vivant dédié au bon vieux temps », poursuit-elle alors qu'un homme vêtu de cuir passe à toute allure sur une Harley-Davidson en faisant vrombir sa moto. Je me demande si, un jour prochain, ce genre de vrombissement caractéristique ne sera pas remplacé par le subtil ronronnement des véhicules électriques sillonnant cette route.
Je découvre ce soir-là, sur le parking de la grande surface Wally’s, que ces aménagements électriques sur la Route 66 sont si récents que les bornes de recharge sont encore en train d'être enfoncées dans le sol. Une personne préposée à ces infrastructures high-tech m'explique que je suis arrivée un peu trop tôt pour charger mon véhicule. « Revenez dans deux semaines, elles devraient être opérationnelles », me siffle-t-on. Heureusement, j'utilise l'application PlugShare qui me propose rapidement une alternative à proximité. Je commence néanmoins à comprendre de quelle manière cette angoisse relative à l'autonomie de la batterie peut s'insinuer dès que l'on quitte le réseau des grandes villes.
DROIT DEVANT
Le lendemain, la route sans relief s'étend jusqu'à l'horizon, au-delà de mon pare-brise, ponctuée de temps en temps par un relais routier avec une statue de James Dean ou de Betty Boop en façade. Je roule avec avidité vers les bornes de rechargement de Springfield, la capitale de l'État, où se dresse l’Illinois State Capitol Building.
La ville se prépare à célébrer le centenaire de la Route 66 en installant une armada de nouvelles attractions, dont le Legends Neon Park, une exposition en plein air d’enseignes lumineuses vintage, autrefois présentes sur le bord de la route, qui est installée sur le site de l'Illinois State Fairgrounds.
Je m'arrête au lieu touristique le plus récent de Springfield, le « Route 66 Motorheads Bar & Grill, Museum & Entertainment Complex », où un groupe de rock s'échauffe sur scène au milieu d'enseignes de bière clignotantes, de pompes à essence restaurées et d’objets automobiles de collection. Ce trésor de la Route 66 qui orne les murs et le plafond appartient au propriétaire Ron Metzger. Acquise dans des ventes aux enchères au fil de décennies, sa collection est si importante qu'il n'en compte même plus les pépites. « Qu'est-ce que je peux dire ? Je suis un passionné de voitures ! », déclare-t-il en riant, tout en prenant un tabouret pour me rejoindre au bar, une casquette de chauffeur routier couvrant en partie ses cheveux blancs soigneusement coupés. La retraite pointant le bout de son nez, Ron a décidé de renoncer à la pipe et aux pantoufles. Il a, au lieu de cela, choisi d’acheter une station-service abandonnée en vue de la transformer en un lieu de rassemblement pour les autres passionnés de voitures.
Springfield semblait être l'endroit idéal en raison de son héritage en matière de sport automobile, explique Ron. « Nous avons le circuit terre le plus rapide du monde et de nombreuses courses de renom se déroulent ici », affirme-t-il, tandis qu'un copieux « horseshoe sandwich » est lancé vers moi sur le bar. Plat emblématique de la Route 66, ce festin de fast-food est tellement répandu qu'il possède même son propre livre de recettes. Des tranches de pain grillé du Texas, beurrées, sont garnies de steaks hachés, puis recouvertes d'une montagne de frites salées et d'une épaisse couche de sauce au fromage crémeuse. « Horseshoe » signifie « fer à cheval ». Ce plat doit son nom au fait qu'il était à l'origine préparé avec du jambon découpé directement sur l’os, soit en forme de fer à cheval.
La plus ancienne entreprise de Girard, dans l'Illinois, Docs Just Off 66, a conservé son charme historique.
Malgré mes efforts, mon repas ne paraît que légèrement entamé lorsque je prends le volant pour aller voir un film au Route 66 Drive-In Theater, situé à proximité. Au travers des vitres de ma voiture, je sens des effluves de pop-corn chaud avec une bonne odeur de beurre provenant du comptoir aux carreaux rouges et blancs tenu par des adolescents en chemise vichy et chapeau en papier de type « soda jerk » des années 1950. Je règle ma radio sur le double programme de films de science-fiction d'époque qui passe sur le grand écran devant moi et je m'installe. En jetant des regards en coin à la poignée de berlines rangées à côté de moi, j’aperçois des enfants entassés sur les sièges avant et de jeunes couples sirotant des sodas à la lueur des étoiles.
Le lendemain matin, je quitte Springfield de bonne heure pour prendre la route vers Girard, une ville de l'Illinois située à 48 kilomètres au sud, où des magasins aux façades délabrées côtoient de pittoresques maisons avec palissades. C'est là que se trouve Docs Just Off 66, un repaire installé dans un bâtiment en briques rouges avec un store rétro rayé de rouge et de blanc. Malgré son style désuet, je suis surprise d'apprendre que ce commerce a ouvert ses portes après la pandémie. En 2022, Casey Claypool et son mari Steve ont transformé une ancienne pharmacie en buvette traditionnelle, un type d'établissement devenu populaire dans la première moitié du 20e siècle. La carte plastifiée propose des milk-shakes, du lait malté et des coupes glacées garnies de crème fouettée et de cerises confites. Arborant des lunettes à monture épaisse et des cheveux plaqués en une queue de cheval, Casey se penche sur le bar en bois datant des années 1930 et réfléchit à la raison pour laquelle la Route 66 attire toujours les voyageurs. « Je pense que cet attrait est dû au fait qu'elle renvoie à une époque plus simple, avant Internet, où les familles passaient plus de temps ensemble », expose-t-elle tandis que l’on entend le crooner Elvis Presley chanter dans les haut-parleurs.
Je m'assieds avec une racinette pour préparer mon voyage de retour vers Chicago, en prévoyant des arrêts en cours de route pour recharger ma batterie et visiter des magasins d'antiquités et d’autres curiosités situées en bordure. Casey m'indique qu'elle n'a vu que peu de voitures électriques emprunter la route. « Mais ce n'est qu'une question de temps », ajoute-t-elle rapidement alors qu'un groupe d'enfants se bouscule autour de son chariot de glace. « Je pense qu'il s'agit d'une évolution formidable qui permettra à une nouvelle génération de découvrir la Route 66 et de la faire entrer dans l'avenir ». Le rêve d’une Route 66 entièrement équipée pour les véhicules électriques ne devrait tarder à devenir réalité. Après tout, près d'un siècle après sa création, celle-ci attire toujours autant les foules et a plus que prouvé qu'elle était capable de s’adapter au rythme de son époque.
COMMENT S'Y RENDRE ?
Avec l'une des plus grandes flottes de véhicules électriques des États-Unis, Hertz est un bon choix en matière de location de voiture. Pour planifier votre itinéraire, Google Maps propose un filtre mettant en évidence les points de recharge pour véhicules électriques, tandis que l'application PlugShare offre un outil de planification d'itinéraire et donne des informations sur les vitesses de charge. L'application A Better Routeplanner vous permet également de personnaliser votre itinéraire en fonction du modèle de votre voiture car certains points de recharge ne sont pas compatibles avec tous les véhicules électriques.
QUAND PARTIR ?
Au printemps et à l'automne, les températures moyennes peuvent avoisiner les 10° C dans l'Illinois. Il s’agit du moment idéal pour visiter le pays si vous souhaitez éviter la chaleur de l'été. Notez que la période d'avril à juin constitue la saison des tornades. Les mois de juin à septembre peuvent être marqués par l'humidité et des températures allant jusqu’à 32° C. L'hiver, de novembre à février, est synonyme de neige et de vents froids, en particulier à Chicago et dans ses environs où le mercure peut descendre en dessous de 0° C en janvier. Plus au sud, dans des villes comme Springfield, les hivers ont tendance à être plus doux mais peuvent aussi être pluvieux.
OÙ SÉJOURNER ?
Virgin Hotels Chicago : à partir de 152 € pour une chambre uniquement.
Inn at 835 Boutique Hotel, Springfield : chambre avec petit-déjeuner à partir de 101 €.
PLUS D'INFORMATIONS
Enjoy Illinois
Route 66 Association of Illinois
Route 66 MotorHeads Bar & Grill, Museum & Entertainment Complex
Route 66 Drive-In Theater
Docs Just Off 66
Cet article a été réalisé avec le soutien d'Enjoy Illinois. Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.