Portugal : partez observer les étoiles dans l’Alentejo

Première destination touristique « Starlight » du monde, la région d’Alqueva, au Portugal, promet de l’aventure jour et nuit, que l’on décide de s’envoler en montgolfière aux aurores ou de faire un tour en kayak sous le ciel étoilé.

De Orla Thomas
Publication 30 août 2023, 18:46 CEST
Avec sa voûte céleste dégagée, ses sports nautiques et ses vignobles, Alqueva est l’endroit parfait pour ...

Avec sa voûte céleste dégagée, ses sports nautiques et ses vignobles, Alqueva est l’endroit parfait pour une escapade dynamique.

À Alqueva, l’heure de pointe est à 21h30. Les routes de la région restent aussi vides la nuit qu’en journée, mais à 550 kilomètres au-dessus des têtes, une file de satellites Starlink commence à se former. « Il y a la Station spatiale internationale », indique l’astronome Nuno Santos, qui dirige son laser vert vers le sud. « Faites coucou aux trois personnes à bord ! »

Au bout de quelques minutes, mes yeux se sont adaptés à l’obscurité totale qui règne sur l’Observatoire Dark Sky d’Alqueva et laissent paraître davantage de corps célestes. Tout d’abord, Vénus, étonnamment lumineuse, puis Mars, teintée d’orange. Derrière ces planètes qui volent la vedette se trouvent un nombre incompréhensible d’étoiles qui scintillent comme une poignée de paillettes jetées dans le ciel nocturne.

Pour m’orienter, je cherche la plus célèbre constellation en forme d’animal : la Grande Ourse. « Vous n’arrivez pas à voir la forme d’un grand ours ? demande Nuno. Ne vous inquiétez pas, moi non plus. Souvenez-vous que les personnes qui l’ont nommée buvaient du très bon vin. »

L'étude du ciel étoilé est le fait du Portugal. Le pays a dominé l’âge des découvertes aux 15e et 16e siècles, période à laquelle les nations européennes ont commencé à explorer le monde en prenant la mer. Pour trouver mon chemin sur l’Itinéraire Dark Sky Alqueva, un circuit reliant points d’observation du ciel nocturne, hébergements et activités, je me suis servie d’un GPS, dont l’étoile polaire était autrefois l’équivalent pour les premiers navigateurs. « La lumière qui nous parvient d’elle a été émise lorsque l’astronome Galilée était encore en vie », indique Nuno au petit groupe qui assiste à ses sessions nocturnes. « Regardez le ciel nocturne, et vous êtes en train de contempler le passé. »

Le réservoir d’Alqueva est un bassin artificiel qui retient l’eau du fleuve Guadiana, à la limite des districts de Beja et d’Evora dans le sud du Portugal.

Si l’on remonte dans le temps de quelques décennies à peine, Alqueva ne ressemblait pas du tout à cela. De nos jours, elle est dominée par le réservoir d’Alqueva, plus grande étendue d’eau artificielle d’Europe. Achevés en 2002, les travaux n’ont pas commencé avant 1995, malgré l’évocation de plans dans les années 1950 déjà. Né de l’imagination d’António de Oliveira Salazar, premier ministre du Portugal de 1932 à 1968, le réservoir avait pour objectif d’irriguer cette région largement agricole surnommée la « corbeille à pain » du Portugal pour ses abondantes cultures céréalières. Mais la région n’accueille qu’une partie des visiteurs de sa voisine, l’Algarve, et ce malgré l’ajout d’un littoral lacustre plus long que la côte portugaise tout entière.

Du village fortifié de Monsaraz, situé au sommet d’une colline, il est possible de se faire une idée de l’ampleur du réservoir d’Alqueva. Debout sur les remparts de son château, je parviens à envisager comment la construction d’un barrage sur le fleuve Guadiana a permis de remplir les vallées autrefois arides de l’Alentejo et transformé le haut des collines en îlots. Autour du lac, la région n’a pas beaucoup changé d’aspect : des champs vallonnés de blé et de vignes et une poignée de lièges et d’oliviers.

Le panorama est encore meilleur vu d’une montgolfière. Aux aurores, j’embarque pour un vol avec l’entreprise d’excursion Emotion. Un grondement de propane liquide dans la bonbonne qui se trouve au-dessus de nous marque notre départ. Bientôt, un appel d’air propulse notre appareil vers les cieux, où le silence se fait presque inquiétant. Après avoir frôlé la cime des arbres avec notre panier, nous nous trouvons au-dessus du réservoir d’Alqueva, encore assez rempli pour que l’on s’y mire. Notre ballon jaune luit comme une ampoule géante à la surface de l’eau, jusqu’à ce que l’effet de miroir ne soit perturbé par le saut d’un poisson dans les hauts-fonds.

Quelque part sous la surface, nous apprend Carlos Sousa, gît l’ancien village d’Aldeia da Luz. Atlantide de notre époque, le village a été évacué en 2002 et ses vestiges inondés lors de la création du réservoir. La plupart de ses habitants ont déménagé, non sans réticences, dans une réplique du village, construit non loin de là sur des terres situées plus en altitude. « Ça a été très dur pour eux, explique Carlos. Au Portugal, nous sommes très attachés à la tradition. Certaines personnes ont même emmené leurs fenêtres et leurs portes avec eux. »

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    Un tour en montgolfière au-dessus du village médiéval de Monsaraz est l’occasion de s’offrir le meilleur panorama possible sur le réservoir d’Alqueva.

    PHOTOGRAPHIE DE Mauricio Abreu

    Bientôt, nous survolons la nouvelle itération du village, ses maisons blanches et jaunes semblables à des Lego, son cimetière ordonné et immaculé qui, lui aussi, a été relogé. À l’horizon se trouve Mourão, une des cinq petites villes adjacentes au réservoir. Grâce à cette perspective aérienne, je peux apercevoir les remparts de son château médiéval, sa forme à six pointes semblable à une étoile dans un dessin d’enfant du ciel nocturne.

    Ma rencontre suivante avec de vraies étoiles se produit à l’occasion d’une virée nocturne en kayak, seule expérience en son genre disponible au Portugal continental. La compagnie d’excursion Break! propose des activités au cœur de l’été, lorsque les eaux du réservoir ont une température de bain chaud en journée (35°C environ) et qu’elles descendent rarement en dessous de 25°C la nuit. Je rejoins mon guide, Francisco Guerreiro, à côté du barrage d’Alqueva, surmonté d’une série de lettres imposantes qui proclament : ON A CLEAR DAY YOU CAN SEE FOREVER (« Par temps clair, on peut voir pour l’éternité »). Bien que la nuit soit tombée, le signe s’avère prophétique : je lève les yeux, vers l’infini et au-delà.

    Nous nous installons dans un kayak prévu pour deux personnes, les coups de rames de Francisco sont synchronisés avec les miens, mais notre rythme méditatif ne tarde pas à être perturbé. Une bourrasque soudaine me projette de l’eau au visage, une brumisation impromptue mais plaisante. « Quand tu vois moins, tes autres sens se mettent à fonctionner plus fort, lance Francisco. Tu ressens davantage. » La brise porte également avec elle l’odeur musquée des cistes à gomme en fleur qui poussent en abondance sur les rives du lac. Nous ne tardons pas à accoster sur une petite île et je me fraie un chemin pieds nus sur sa petite plage. Du sable entre les orteils, me revient ce vieux cliché : il y a plus d’étoiles dans l’Univers que de grains de sable sur Terre. Cette observation de l’astronome américain Carl Sagan semble plus vraie ici qu’à n’importe quel autre endroit que j’ai visité.

    Pour Francisco, le paysage de la voûte céleste est aussi familier que le lac où il passe ses journées, il désigne du doigt la Voie lactée, les constellations du Verseau et des Gémeaux comme s’il s’agissait de vieilles amies. Je parviens à repérer les deux poissons de la constellation des Poissons ; c’est un signe, je dois nager. L’eau, une ride de velours noir, m’enveloppe comme une étreinte chaleureuse. Après quelques brasses, je plonge et m’empare d’une poignée du lit du lac ; il y a une vingtaine d’années, ce devait être le champ d’un agriculteur. Après que je me suis séchée, Francisco sert un pique-nique de spécialités gastronomiques locales éclairé à la bougie : chorizo de porc noir et queijo de Évora (fromage de brebis qui tire son nom de la capitale de la région), que je fais passer à l’aide de minuscules verres de rouge de l’Alentejo.

    Détenant plus de 10 % des vignes du Portugal, le secteur vinicole de l’Alentejo est vital pour l’économie locale. Je déguste quelques-uns des millésimes raffinés de la région le lendemain à l’occasion d’une visite du domaine d’Herdade do Sobroso, qui a le même âge que le réservoir d’Alqueva. Ses 1 600 hectares comprennent un hôtel de charme ainsi qu’un vignoble et une cave, mais toutes les terres ne sont pas cultivées. Les propriétaires, Sofia Machado et Filipe Teixeira Pinto, sont obsédés par le safari autant que par le vin.

    Quinta do Quetzal abrite un vignoble, un restaurant et une galerie.

    PHOTOGRAPHIE DE Mauricio Abreu

    « C’est notre passion », me confie Sofia alors que nous nous installons dans un 4x4 au coucher du soleil. « Nous avons parcouru le monde pour voir des animaux, mais il y a une faune hors du commun juste là, sur le pas de notre porte. » Alors que nos pneus tournent sur les pistes qui traversent le domaine et qui n’ont rien à envier à des montagnes russes, une poussière rouge enveloppe le véhicule. « Regarde ! », me dit Sofia alors que nous émergeons d’un nuage. « Un sanglier ! » L’animal nous jette un regard impérieux avant de s’en retourner dans les broussailles.

    Lors de la visite nous apercevons des cerfs élaphes (Cervus elaphus) et des cerfs axis (Axis axis), dont certains ont de magnifiques bois, ainsi qu’un mouflon à cornes spiralées. Ces derniers ne sont pas autochtones mais ont été introduits par un propriétaire terrien voisin. « C’est notre Big Four, plaisante Sofia. Mais nous avons aussi une vie ornithologique très abondante avec plus de soixante espèces sur le domaine. » L’air est embaumé par les pins, le romarin et les pistachiers qui offrent refuge aux oiseaux. Le couple a également planté plus de 6 000 lièges. Emblème officieux de l’Alentejo, l’espèce est connue pour pousser lentement. « Je ne m’attends pas à une récolte de mon vivant, explique Filipe. Mais c’est comme cela qu’on doit penser désormais, à l’avenir de notre planète et à ce qui est durable. »

    La région est le « pays du liège » depuis des siècles, mais récemment, le produit s’est trouvé des usages plus palpitants que le simple bouchage de bouteilles. Il sert désormais aussi à isoler les navettes spatiales et joue un rôle modeste dans l’« âge des découvertes » actuel en nous rapprochant un peu plus des étoiles. 

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Traveler en langue anglaise.

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