Dianne Whelan est venue à bout du plus long sentier de randonnée au monde
Bien qu’elle ne soit pas une randonneuse chevronnée, la cinéaste est devenue la première personne à achever le plus grand réseau de sentiers de randonnée du monde.
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Dianne Whelan a parcouru près de 24 000 kilomètres à pied, à vélo et en canoë, un périple qui lui a demandé six ans.
Dianne Whelan, qui aura soixante ans en 2025, est une documentariste et autrice canadienne primée. En 2015, sans grande expérience en matière de randonnée, elle est partie de St. John’s, en province canadienne de Terre-Neuve-et-Labrador, et a parcouru à pied, à vélo et en canoë le Sentier transcanadien, qui s’étend sur près de 24 000 kilomètres à travers le pays et constitue le plus grand réseau de sentiers de randonnée au monde. Pendant la majeure partie de ce périple qui a duré six ans, elle a voyagé seule et a filmé son dernier documentaire indépendant : 500 jours dans la nature.
D’OÙ VIENT VOTRE PASSION POUR LA NATURE ?
J’ai grandi à Vancouver, en Colombie-Britannique. Je me souviens avoir été fascinée à l’âge de cinq ans par l’éclosion d’œufs de grenouilles en têtards. À partir de ce moment-là, je me suis sentie très liée à la nature. À douze ans, je me baladais avec une photo des alpinistes Edmund Hillary et Tenzing Norgay, les premiers à avoir atteint le sommet du mont Everest, à l’intérieur de mon exemplaire du Hobbit, l’un des premiers livres que j’ai lus. J’ai ensuite suivi le programme Outward Bound lorsque j’étais adolescente, un cours de vingt-et-un jours durant lequel j’ai appris des techniques de survie afin de pouvoir partir explorer la nature avec un sac à dos.
EN QUOI CONSISTAIT L’ITINÉRAIRE ?
Mon objectif était d’effectuer le voyage d’une traite. J’ai commencé par la côte atlantique, puis traversé le Canada jusqu’à l’Alberta, province depuis laquelle je me suis ensuite dirigée vers le nord jusqu’à l’océan Arctique avant de redescendre pour terminer mon parcours au niveau de l’océan Pacifique. Au total, l’itinéraire est composé de 487 sentiers distincts et exige de beaucoup pagayer et de porter des charges, comme le canoë entre deux étendues d’eau, en plus de la marche et du vélo.
J’avais pour idée de ne jamais marquer d’arrêts et de dépasser mes limites à travers toutes les saisons. Mais deux ans et demi après le début de mon périple, lorsque j’étais sur le Path of the Paddle, un tronçon essentiellement aquatique qui traverse le nord-ouest de l’Ontario, l’eau a gelé tout autour de moi. J’ai dû monter le camp et me frayer un chemin à travers la végétation pour en sortir tout en portant mon canoë. L’un des Aînés des Premières nations que j’avais rencontré a découvert ça sur les réseaux sociaux. Il m’a tendu la main et m’a dit : « L’hiver n’est pas une période pour voyager, c’est une période pour coudre des boutons. Soyez comme l’ours : c’est le moment d’hiberner ». J’ai donc fini par faire quelques haltes en cours de route avant de repartir de plus belle, souvent en attendant que la glace fonde.
QU’EST-CE QUI VOUS A INSPIRÉE CE VOYAGE ?
Ma mère m’a parlé de ce nouveau sentier de randonnée incroyable et ce qui m’a en partie intriguée, c’est qu’il n’avait jamais été parcouru en entier. Le stade de ma vie auquel j’étais collait à la perfection avec cette aventure. Mes treize ans de mariage avaient touché à leur fin et mon chien de seize ans était mort. Je n’avais plus aucune attache. Oui, c’était triste, mais ça représentait aussi une occasion unique.
COMMENT VOUS ÊTES-VOUS PRÉPARÉE ?
J’ai renoncé à ma maison, vendu ma voiture et me suis débarrassé de mes factures pour l’essentiel. Je n’avais pas d’équipement particulier, juste mon vieux sac à dos et mon vélo tout-terrain. Lorsque je suis arrivée à mon premier sentier aquatique, j’ai emprunté le canoë d’un proche de mon entourage. En ce qui concerne ma condition physique, c’est sur place que je l’ai travaillée. De quelle autre manière est-il possible de préparer son corps à être actif durant neuf heures par jour ?
Tout s’est précisément décidé sur le terrain et, a posteriori, c’était ça mon superpouvoir. Le problème de planifier à l’excès est de ne plus savoir se détacher du plan initial. Je suis partie avec un programme mais je l’ai brûlé au dixième jour, lorsque je m’en suis voulu de ne pas avoir fait ce que je pensais pouvoir réaliser en trois jours. Le voyage était censé durer 500 jours, d’où le nom de mon film, mais il m’a finalement pris six ans.
À QUOI RESSEMBLAIT VOTRE ROUTINE QUOTIDIENNE ?
Dans un voyage qui dure aussi longtemps, l’une des choses essentielles est de prendre soin de soi. Si un jour les eaux étaient calmes, je pagayais plus longtemps ; si un autre jour le temps était mauvais, je faisais une halte. Personne ne pouvait venir m’aider en cas de problème. J’ai vraiment pris conscience de ma propre fragilité.
Lorsque mon corps était fatigué, je montais le camp, passant parfois deux ou trois jours à écrire et à préparer beaucoup de nourriture, généralement du pain banique ou des pancakes, aliments pratiques à emporter. Et je prenais bien soin de mon équipement parce qu’on ne sait jamais quand les choses vont aller de travers parce qu’on ne l’a pas fait comme on aurait dû.
COMMENT VOUS SENTIEZ-VOUS SUR LE SENTIER ?
Pas un seul jour je n’ai ressenti la solitude, même si j’ai passé des mois sans croiser personne. Tout à coup, ce qui comptait, c’était la direction dans laquelle le vent soufflait, les empreintes des animaux autour de moi. J’ai senti s’éveiller quelque chose que ressentaient probablement tous nos ancêtres : une connexion avec mon environnement. J’ai appris que voyager comme ils le faisaient ne consistait pas uniquement à le faire sans engin à moteur mais avec révérence pour la terre que nous foulons. Malgré toute la peur que la nature suscite, c’est notre foyer.
QU’EST-CE QUE L’ON RESSENT LORSQUE L’ON VOYAGE SEULE EN TANT QUE FEMME ?
Je ne ferai pas de faux-semblant ici : en tant que femme, j’avais peur de camper seule la nuit, de ne pas pouvoir fermer ma porte à clé. Mais au fil de mon périple, des centaines d’étrangers me sont venus en aide. Lorsque j’ai quitté ma maison, je pensais que le monde était peuplé de psychopathes mais il s’avère qu’il est rempli de personnes bienveillantes.
COMMENT C’ÉTAIT DE VOYAGER AVEC VOTRE PARTENAIRE PENDANT UNE PARTIE DE VOTRE PÉRIPLE ?
Depuis mes vingt ans, j’ai le nez dehors et c’est sur ce sentier que j’ai commencé une relation avec une autre femme, ce qui s’est avéré être l’un des plus beaux cadeaux de tout le voyage. Elle a pagayé jusqu’à l’océan Arctique pendant quelques mois avec moi, puis a vécu dans un van pour me retrouver sur le sentier chaque fois que j’avais besoin de me réapprovisionner. Nous avons fait des feux sur la plage en admirant les aurores boréales danser dans le ciel. C’était le début de notre relation, notre premier rendez-vous qui a duré cinq mois, comme nous l’appelons.
Nous n’avons jamais croisé d’autre canoë pendant cette période mais nous avons entendu dire qu’un homme derrière nous faisait du canoë-kayak et qu’un couple à bord d’un canoë nous précédait. C’était intéressant de voir de quelle façon les nouvelles se répandaient sur les sentiers. L’homme a fini par se noyer huit kilomètres derrière nous et Julien, du couple en question, a été mangé par un ours. Non seulement ma partenaire et moi avons vécu la beauté de l’expérience mais nous avons également dû affronter l’adversité : des tempêtes, des feux de forêt et la terreur psychologique pure et simple qu’inspire un ours dévorant une personne. Nous avons traversé beaucoup d’épreuves ensemble et nous pouvons désormais faire face à n’importe quoi. Nous sommes toujours ensemble.
QU’AVEZ-VOUS RESSENTI LORSQUE VOUS ÊTES ARRIVÉE AU BOUT DE VOTRE PÉRIPLE ?
En réalité, ça a été un vrai coup dur de devoir se reconnecter à cet autre mode de vie après avoir été libérée pendant aussi longtemps de cette nécessité de gagner de l’argent pour payer les factures. Heureusement, posséder 800 heures d’images à passer au crible m’a permis de me concentrer sur autre chose.
Pour le moment, le documentaire 500 jours dans la nature est disponible uniquement sur certaines plateformes de streaming, qui ne proposent pas encore de le visionner depuis la France.
Cet article a initialement paru en langue anglaise dans le numéro de janvier/février 2025 du magazine National Geographic Traveller (UK).
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