Trésors de cuivres japonais : au cœur de l’artisanat takumi
Depuis plus de 200 ans, cette famille japonaise travaille le cuivre avec passion et exporte ses produits dans le monde entier.
Gérant de l’atelier de Gyokusendo, Hiroki appartient à la septième génération de Tamagawa, la famille qui a fondé l’atelier en 1816.
Au mois de mars, les fleurs de cerisiers portées par le vent flottent dans les rues silencieuses de Tsubame, ville d’environ 80 000 habitants. Bientôt les journées seront plus chaudes, lorsque le printemps aura décidé de s’installer définitivement. Mais pour l’instant le ciel est gris, l’air frais, et les habitants préfèrent les Kei-cars, petites voitures citadines, aux bicyclettes.
Il y a presque 300 ans, cette région riche en cuivre a vu éclore un savoir-faire qui est devenu son identité. C’était en 1768. Toshichi, un artisan venu de l’autre côté du pays, traversa les montagnes pour s’installer à Tsubame. Il enseigna aux locaux une technique appelée tsuiki, qui consiste à façonner une feuille de cuivre au marteau pour obtenir un récipient. Quelques décennies plus tard, en 1816, un apprenti du nom de Kakubei Tamagawa fonda son propre atelier : Gyokusendo.
Lentement mais sûrement, le bouche à oreille établit l’atelier de Kakubei comme l’un des plus réputés du pays. Ses marmites, casseroles et bassines s’achetèrent bientôt comme des pièces chargées d’âme et de caractère.
« Mon père m’a tout enseigné. J’ai un rapport à cet art qui est difficile à exprimer, mais il est certain qu’à aucun moment je n’ai envisagé faire autre chose de ma vie », explique Hiroki, gérant de l’atelier de Gyokusendo.
Aujourd’hui, plus de 200 ans après la création de Gyokusendo, les descendants de Kakubei sont toujours aux commandes. La septième génération de Tamagawa est à la tête de Gyokusendo, et le savoir-faire ancestral a résisté à l’épreuve du temps et aux sirènes de la modernité. Alors que nous discutons autour d’une chabudai (table basse japonaise), Hiroki Tamagawa, responsable de l’atelier et frère du directeur, m’explique que ce métier a toujours été une évidence : « Mon père m’a tout enseigné. J’ai un rapport à cet art qui est difficile à exprimer, mais il est certain qu’à aucun moment je n’ai envisagé faire autre chose de ma vie. »
Malgré cette passion durable, Gyokusendo a traversé nombre de périodes difficiles, au gré des guerres et des crises financières. « Nous avons failli couler à plusieurs reprises, » explique Hiroki, « nous avons dû changer notre manière de travailler. Mais nous avons toujours su nous adapter. »
En plongeant les pièces dans une solution au souffre, les artisans assombrissent la surface du cuivre. Les pièces seront ensuite polies à la main, avant de faire ressortir la couleur finale par le biais de sels de cuivre.
Dans l’atelier, les travailleurs sont concentrés. Une dizaine de tables de travail sont disposées sur le tatami. Chaque artisan a « sa » table, avec ses propres outils adaptés à la taille et la forme de ses mains. La plupart sont de jeunes trentenaires. Étonnant, pour un artisanat traditionnel. « Nous avons de la chance, car beaucoup de gens veulent travailler ici », explique Hiroki, « sans eux nous ne pourrions pas continuer. C’est une évolution positive : de plus en plus d’artisans sont intéressés par ce que nous faisons. »
Masumi Tsuchida illustre parfaitement cet intérêt de la jeunesse pour l’artisanat du cuivre. Cette artisane de bientôt trente ans avait pour ambition de devenir professeure d’art. Une fois à l’université, elle a décidé d’adhérer à un club étudiant qui travaillait le métal. Elle et ses amis ont un jour visité Gyokusendo, et Masumi a compris quel était son avenir. Voilà désormais six ans que Masumi martèle du cuivre chez Gyokusendo, et elle ne pourrait être plus fière. « Je suis réellement inspirée par ces gens qui m’entourent et que je respecte. Ça me motive pour prendre chaque détail du travail au sérieux, et essayer de me rapprocher le plus possible d’un bon résultat », explique-t-elle modestement.
Hiroki Tamagawa, gérant de Gyokusendo, fabrique une théière dans l’atelier. Hiroki utilise une technique appelée « tsuiki », inchangée depuis le 18e siècle.
Hiroki Tamagawa façonne une feuille de cuivre au marteau pour obtenir petit à petit la pièce désirée.
Les années passent, mais la technique tsuiki importée par Toshichi au 18e siècle reste inchangée. Une simple feuille de cuivre est martelée, rétrécie, chauffée, plongée dans l’eau bouillante et même gravée pour obtenir une magnifique théière, un verre à pied ou une tasse à saké ornée de motifs. C’est ce respect des traditions et cette minutie qui ont fasciné Matthew Headland. Ce Canadien féru de saké et de culture nippone est aujourd’hui chargé des relations internationales de Gyokusendo. « Pour moi ces pièces ne sont pas de simples objets » explique-t-il de sa voix basse, « quand je les regarde, je vois les visages des artisans qui ont sué pour les fabriquer. Ces pièces ont une vraie valeur, elles ne sont pas seulement destinées à rapporter de l’argent. »
La valeur des pièces fabriquées par les artisans de Gyokusendo est telle que l’atelier a aussi obtenu une reconnaissance du gouvernement japonais. En 2010, Norio Tamagawa, oncle du directeur actuel, fut élevé au rang de Trésor National Vivant du Japon. Aujourd’hui âgé de 81 ans, certaines de ses pièces sont encore en vente.
Les théières de l’atelier Gyokusendo sont des pièces au prix parfois élevé. Chaque pièce est fabriquée à la main, avec une technique traditionnelle utilisée depuis le 18e siècle.
Dans un monde où l’éphémère et l’instantané prévalent, Gyokusendo fait figure de roc imperturbable. Les pièces créées par le prestigieux atelier ont une durée de vie quasi illimitée. « Selon moi, nos pièces ne sont jamais vraiment complètes », explique Hiroki fièrement, « Après un certain temps des clients reviennent pour faire rehausser le bec de leur théière, ou changer la forme de la poignée… Ils veulent avoir leur mot à dire dans le processus de création. » La pièce doit ressembler à son acheteur, qui l’utilisera sans doute toute sa vie.
Et lorsque je demande à Hiroki ce qu’il préfère dans son travail, sa réponse synthétise la philosophie de Gyokusendo et l’art du service japonais : « Je voudrais faire quelque chose que je n’ai jamais fait », dit-il penseur, « fabriquer une pièce qui me serait décrite par un client, et le rendre heureux avec mon travail. C’est ça le plus gratifiant. »