Un vol transatlantique vient d'être réalisé avec de l'huile de cuisson usagée
Flight100 (Virgin Atlantic) était le premier vol commercial à traverser l’Atlantique en n’étant alimenté que de carburant d’aviation durable. Est-ce une véritable avancée ou bien un moyen de détourner notre attention d’autres options durables ?
Le Flight100 de Virgin Atlantic a atterri à l'aéroport international John F. Kennedy le 28 novembre. Le vol a été effectué avec du carburant 100 % durable, mais est-il aussi écologique qu'il y paraît ?
Le premier vol transatlantique commercial fonctionnant 100 % au carburant durable d’aviation (CDA), fait d’huile de cuisson usagée, a récemment parcouru le trajet entre l’aéroport Heathrow de Londres et l’aéroport JFK de New York. Ce projet, nommé Flight100 a suscité chez certains l’espoir d’un pas en avant vers la durabilité. D’autres ont mis en doute ses revendications écologiques.
En 2022, l’aviation constituait près de 2, 5 % du bilan carbonne mondial et des rapports suggéraient que ces émissions allaient tripler dans les vingt prochaines années, de plus en plus de monde et de marchandises volant à travers le monde.
Les vols alimentés par l’électricité et l’hydrogène sont généralement perçus comme les plus durables. Malheureusement, ces technologies naissantes sont encore très loin d’être prêtes à l’emploi. La compagnie britannique Virgin Atlantic, qui opérait ce vol, a affirmé dans un communiqué que le CDA était le seul moyen à la fois durable et viable d’alimenter des vols longs courriers.
Ce vol marque-t-il véritablement une nouvelle étape pour la protection de l’environnement, ou bien est-il un moyen de détourner notre attention d’autres options durables ?
Les définitions pour ce terme varient mais il désigne généralement un type de carburant d’aviation qui ne provient pas de combustibles fossiles et, par conséquent, dont l’empreinte carbone est moins élevée durant sont cycle de vie.
La façon dont le CAD est produit influence sa durabilité, mais certaines études indiquent que certaines formes de CAD peuvent réduire les émissions d’un avion à réaction alimenté par des combustibles fossiles de 90 %. « En d’autres termes, il émet encore un peu de CO2, » déclare Mohamed Pourkashanian, directeur de l’Institut pour l’énergie (Energy Institute) de l’université de Sheffield, qui a participé au projet Flight100.
Flight100 était principalement alimenté par de l’huile de cuisson usagée, seul CAD actuellement produit pour être commercialisé. Ce type de carburant est constitué d’huiles végétales et de graisses animales plutôt que de combustible fossile et permet d’alimenter une machine similairement à d’autres carburants, explique Joshua Heyne, directeur du laboratoire de bioproduits, de sciences et d’ingénierie de l’université d’État de Washington. Cette huile est récoltée depuis de nombreuses sources, notamment dans les restaurants McDonald’s.
La règlementation actuelle de l’organisme de normalisation ASTM International autorise les avions commerciaux à utiliser jusqu’à 50 % de CAD, mélangé avec un carburéacteur traditionnel, mais Flight100 a obtenu un permis pour n’utiliser que du CAD. Des régulateurs ont passé en revue les éléments techniques avant le vol, qui a démontré la possibilité pour les avions de voler en toute sécurité en étant alimenté à 100 % par du CAD.
« Les gouvernements, les législateurs et les différents acteurs du secteur de l’aviation ne peuvent plus dire qu’on est encore loin de pouvoir utiliser ce type de technologie. Elle est déjà là », affirme Heyne. Le déploiement de l’utilisation du CAD pour des vols commerciaux prendra néanmoins des années en raison de la quantité de carburant nécessaire. Actuellement, le CAD constitue moins d’1 % de l’alimentation en carburant des avions.
LES VOLS DURABLES LE SONT-ILS RÉELLEMENT ?
Les défenseurs de l’environnement ont cependant reproché à Flight100 de n’être qu’une forme de greenwashing.
L’une des critiques à l’encontre du CAD est que les terres où sont cultivées les produits utilisés pour l'huile puis le carburant devraient être utilisées pour cultiver des aliments pour nourrir les humains. L’expansion des terres cultivables pour les biocarburants pourrait entraîner la perte d’importants réservoir de carbone comme les forêts, les tourbières ou les habitats d’espèces en danger.
« Toute culture destinée à la production de carburant entre en concurrence avec les denrées alimentaires et repousse la frontière agricole vers les forêts et les tourbières, ce qui provoque d'importantes émissions de carbone », écrivent Gareth Dale, économiste politique à l'université Brunel de Londres, et Josh Moos, politologue à l'université Leeds Beckett, pour The Conversation.
Si les nouveaux CAD permettent de réutiliser des huiles de cuisson usagées qui seraient autrement gaspillées, Gareth Dale et Josh Moos affirment que même des efforts massifs de récupération ne suffiraient pas à couvrir le volume important de kérosène nécessaire pour alimenter les milliers de vols qui décollent chaque jour.
En ce qui concerne les huiles de cuisson usagées, Heyne reconnaît que « la quantité de ce type d'huile dans le monde est limitée et qu'il y en a encore moins qui puisse être obtenue de manière durable », tout en soulignant que les CAD peuvent être fabriqués à partir d'autres types de déchets tels que l'alcool, les déchets solides municipaux et les boues d'épuration.
« Tout ce que vous jetez dans les toilettes ou à la poubelle et qui contient du carbone peut être transformé en CAD », ajoute-t-il. Le CAD est actuellement plus cher que le carburant d’aviation conventionnel : environ 2 euros par unité au lieu de 50 centimes par unité, mais selon Pourkashanian, les prix sont susceptibles d'évoluer.
Pour Heyne, le produire à grande échelle pourrait faire baisser ses prix, tout comme ce qu'il s'est passé pour l'énergie éolienne et l'énergie solaire. Les partisans du CAD sont enthousiastes car ce combustible de substitution, qui peut directement remplacer le kérosène traditionnel, est compatible avec les technologies existantes.
« Les compagnies aériennes n'ont pas besoin de modifier leurs opérations, ni d'acheter de nouveaux avions », explique Heyne.
L’AVENIR À LONG-TERME DE L’AVIATION DURABLE
Des technologies concurrentes d'aviation à faible émission de carbone, à savoir l'hydrogène et l'électricité, sont également en cours de développement, mais celui-ci prendra des décennies et ces deux options nécessiteront de nouvelles infrastructures dans l’ensemble de l'industrie.
« De nombreux aéroports n'ont pas vraiment l'espace nécessaire pour ajouter un tout nouveau système de ravitaillement à leur infrastructure », explique Heyne.
En outre, alimenter les avions en électricité et en hydrogène présente également des inconvénients. Les batteries utilisées pour stocker des quantités massives d'électricité nécessitent une exploitation minière importante, et les avantages environnementaux de l'hydrogène varient considérablement en fonction de la manière dont il est produit.
« Nous ne pouvons donc pas nous contenter de dire que l’hydrogène est une option parfaite ou idéale, ce n'est pas le cas », explique Pourkashanian. La course à la solution est urgente. « Nous disposons de très peu de temps pour trouver une solution et pour la mettre en œuvre à grande échelle », déclare Heyne.
Les experts environnementaux affirment qu'un moyen infaillible de réduire les émissions de l'aviation serait de réduire le nombre de vols. Des mesures visant à réduire les vols sont prises dans certaines parties du monde. En France, les vols intérieurs sont interdits si le même trajet peut être effectué en train en moins de deux heures et demie.
L’amélioration des réseaux ferroviaires et des autres moyens de transport publics est un élément clé pour encourager la population à se déplacer de façon responsable sur des distances courtes. Une étude suggère que remplacer les vols court-courriers par des voyages en train sur 87 itinéraires allemands pourrait réduire les émissions de carbone de 2,7 à 22 %.
Pour l'instant, l'avion reste un mode de transport de plus en plus populaire. Au troisième trimestre 2023, le ministère chargé des transports français a annoncé 51 millions de passagers au départ ou à l’arrivée des aéroports français, une hausse de 11 % par rapport à 2022.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.