Visiter la Chine lorsqu'on est Noir

« Les gens nous dévisageaient et nous prenaient en photo. »

De Heather Greenwood Davis
China
En allant à Pékin, nous ne nous attendions pas à ce que notre couleur de peau devienne une attraction touristique.
PHOTOGRAPHIE DE Heather Greenwood Davis

De tous les pays que nous avons visité en famille, la Chine était de loin le plus difficile.

Après quelques maladresses de ma part et un vol de 13 heures, nous nous sommes retrouvés dans un hôtel situé dans une zone non touristique de Pékin. Un « hôtel » qui s’apparentait plus à un appartement de location tenu par un homme d’affaire. Quelques heures après notre arrivée, nous nous demandions déjà si notre projet de rester un mois là-bas n’était pas une énorme erreur. 

Le lendemain matin, les pluies torrentielles qui détrempaient la ville avaient décuplé notre mauvaise humeur. Et après une pénible balade en taxi avec un chauffeur pour qui les limitations de vitesse ne semblaient être que des suggestions, nous étions finalement arrivés à la Cité Interdite. À l’abri, sous la voûte de l’un des portails cintrés, nous attendions que notre guide arrive, lorsque nous avons remarqué quelque chose.

Les gens nous dévisageaient et nous prenaient en photo.

En regardant autour de nous, nous nous sommes aperçus que notre famille avait quelque chose de particulier, un détail spécifique qui avait attiré une vingtaine de personnes autour de nous, attendant chacune leur tour de pouvoir prendre une photo avec nous :

Notre couleur de peau. Nous sommes restés un mois en Chine, mais ce n’est que lors de notre dernière semaine, à Yangshuo, que nous avons vu une autre personne noire. Il s’agissait d’une mère et de sa fille, toutes deux venues des États- Unis, qui nous affirmaient que l’on était aussi les premières personnes noires qu’elles avaient croisées dans le pays. Et la vue de six d’entre nous, bavardant dans la rue, avait très vite déclenché une sorte d’hystérie photographique, une frénésie suffisamment importante pour attirer les commerçants hors de leurs boutiques pour observer le spectacle.  

Nous sommes grands. Mon mari, Ish, fait environ 1m80, je fais 1m76 et mes fils sont plutôt grands pour leur âge. Il existe des personnes de grande taille en Chine, mais les autochtones semblaient vraiment impressionnés par notre taille et il arrivait quelque fois qu’ils fassent des gestes qui le suggéraient.

Nos cheveux. Les mini afros de nos fils auraient aussi bien pu être la crinière de licornes. Les gens tendaient constamment la main pour toucher leurs têtes. Les appareils photos étaient tellement rapprochés des cheveux de mon fils que je suis certaine qu’il y a des photos dans lesquelles vous pouvez compter le nombre de cheveux.

Nous n’étions pas les seuls à attirer l’attention en Chine ; les gens aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux cheveux roux ou aux taches de rousseur étaient traités de la même manière mais les regards insistants étaient pesants.

Mon mari, qui était juste derrière moi, disparaissait de temps à autres, emporté par une foule de femmes âgées qui voulaient toucher sa tête chauve et pincer sa peau noire. Idem pour mes enfants qui étaient tirés par des mères déterminées à leur faire prendre la pose aux côtés de leurs fils ou de leurs filles.

Au début, c’était amusant. Et puis après, ça ne l’était plus. Avec tous ces appareils photo pointés vers nous, nous ne pouvions plus nous concentrer sur les visites. Il nous était impossible de nous déplacer rapidement avec toute cette foule de personnes qui se regroupait autour de nous. Cela nous a contrariés. Ce à quoi nous ressemblions était sur le point de ruiner notre chance de profiter de l’endroit où nous nous trouvions. 

Nous sommes une famille qui pense que la vie a toujours quelque chose à nous enseigner, voilà pourquoi nous essayons de tirer un enseignement de chacune de nos expériences, mêmes des moments les plus frustrants. 

Cet homme essayait de nous prendre en photo de loin lorsque mon mari a pointé son ...
Cet homme essayait de nous prendre en photo de loin lorsque mon mari a pointé son téléphone sur lui pour lui donner un aperçu de ce que l’on pouvait ressentir. Il a fallu beaucoup de temps à l’homme pour qu’il le remarque, mais quand c’était fait, ils ont ri tous les deux.
PHOTOGRAPHIE DE Heather Greenwood Davis

VOICI L’ENSEIGNEMENT QUE NOUS TIRONS DE NOTRE SÉJOUR EN CHINE :

Il n'est pas facile d'être étranger. Ne pas être capable de comprendre la langue et les signaux non verbaux dans une société donnée rend la communication très difficile. Nous devons être plus indulgents envers ceux qui viennent dans notre pays, car ils connaissent les mêmes difficultés.

Avoir chacun de vos faits et gestes immortalisés n’a jamais était aussi désuet. Cette obsession culturelle pour la célébrité qui prévaut dans de nombreuses parties du monde peut nous désensibiliser face à l’effet de se retrouver la cible d’appareils photos. Notre expérience en Chine nous a certes montré les dérives de la photographie mais elle nous a aussi appris à être plus respectueux de la vie privée et de l’espace personnel des autres. 

Si vous n’aimez que l’on vous prenne en photo sans votre permission, pensez qu’il en est de même pour les autres. Après notre voyage en Chine, nous avons commencé à réfléchir à deux fois avant de photographier des autochtones, sous prétexte que nous avions la possibilité de le faire. Quand la barrière de la langue nous empêchait de communiquer avec eux, nous nous assurions d’avoir leur autorisation—ne serait-ce que par un hochement de tête— avant de relâcher le bouton. Si une personne avait l’air gêné ou ne voulait tout simplement pas être photographiée, nous passions notre chemin. 

Vous avez le droit de dire non. C’était un enseignement particulièrement important pour nos enfants, une leçon qui leur a permis de réaliser le pouvoir de leur propre voix. Notre guide leur a appris à dire « non, merci » en mandarin, ce qui leur a permis de refuser de prendre une photo lorsque cela les dérangeait. Si quelqu’un s’approchait de nous pour nous demander une photo, on demandait aux enfants s’ils voulaient y être aussi plutôt que de la leur imposer, et c’est de cette façon qu’ils ont pris de l’assurance, lorsqu’ils ont compris que leur opinion serait respectée. 

Il y a presque toujours un terrain d’entente. Nous sommes tombés sur un parc où, pour quelques dollars, nous pouvions revêtir une tenue d’époque authentique et poser pour des photos. Bien que l’estrade extérieure signifiait qu’une fois habillés, le parc entier pourrait nous voir en costume complet, nous nous sommes laissés tentés. Après avoir mis nos chapeaux et nos habits, nous nous tenions là, ensemble, à la vue de tous. Les gens accouraient, appareils photo en main, à rire et à nous pointer du doigt. En nous regardant les uns et les autres, nous avons ri avec eux. 

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