Voyage dans le mythique Texas

Dans les zones frontalières désertiques du parc national de Big Bend, dans l'ouest du Texas, prend vie un paysage plein de surprises.

De Robert Draper, National Geographic
Publication 16 août 2022, 09:25 CEST
Dans le parc national de Big Bend, la lumière du jour au sommet du South Rim ...

Dans le parc national de Big Bend, la lumière du jour au sommet du South Rim Trail, un sentier long de 20 km, illumine le désert de Chihuahua, dans le nord du Mexique. Créé en 1944, le parc, d’une superficie de plus de 320 000 ha, est bordé par le Rio Grande.

PHOTOGRAPHIE DE Bryan Schutmaat

L’ourse noire et ses deux oursons sont en train de chercher de quoi manger dans un bois dense de mesquites, de genévriers et d'arbousiers du Texas quand je les aperçois, à une vingtaine de mètres sur ma droite. L’ourse s’arrête mais ne se retourne pas. Sans doute a-t-elle entendu mes pas. Elle me regarde. À cet instant précis, je suis inférieur à elle, dans tous les sens du terme.

Ce matin-là d’octobre, je marchais seul sur le South Rim Trail, un chemin de randonnée long de 20 km, dans le parc national de Big Bend, dans l’ouest du Texas. J'y étais arrivé juste après le lever du jour et, pendant les deux premières heures d’une marche régulière, les seuls signes de vie ont été des papillons, un couple d’orioles jaune-verdâtre et un randonneur, sac au dos, sur le chemin du retour après une nuit passée seul dans le parc.

Puis, après une pause au point de vue de South Rim, avec son panorama imprenable sur le désert étonnamment verdoyant du nord du Mexique, m’ont rejoint d’autres randonneurs venant de la direction opposée. Une des marcheuses m’a dit avoir repéré une ourse et ses petits. Bien que des panneaux dans le parc mettent en garde les touristes contre sa redoutable faune, pas plus de quarante ours noirs y vivent ; je n’en avais encore jamais vu, en près de trois décennies de fréquentes visites. Et puis les ours noirs attaquent rarement les humains.

Pourtant, j’avais déjà entendu raconter, à Marathon, au Texas, l’histoire de cette ourse : elle venait de perdre le troisième de ses oursons quelques jours plus tôt quand il s’était égaré sur une route à quelques kilomètres de là et avait été percuté par un véhicule . Ça m’avait alors donné à réfléchir. Maintenant, elle est là, et moi aussi. Je détourne le regard et repars comme si de rien n’était, tout en me demandant, non sans une certaine inquiétude : les ours se vengent-ils ? Éprouvent-ils le deuil ? Dans un coude du sentier, je quitte finalement du regard la petite tribu au pelage noir, amputée d’un de ses plus jeunes congénères, qui s’enfonce lentement dans les bois.

Observer l’abondante vie sauvage qui peuple les parcs nationaux américains comme ceux de Yellowstone, de Denali et des Everglades est une expérience enrichissante. Mais, dans le désert, la communion avec la nature revêt une autre signification. Elle vous rappelle que la vie est précieuse et qu’elle surgit là où vous vous y attendez le moins. Surtout, la vie dans le désert de Chihuahua, qui comprend les 3 243 km² de Big Bend, est rude, facilement incomprise, mais aussi inoubliable.

Les canoéistes Matthew Grisham et Kelon Crawford de Wild Adventure Outfitters naviguent sur le Rio Grande ...

Les canoéistes Matthew Grisham et Kelon Crawford de Wild Adventure Outfitters naviguent sur le Rio Grande en passant par le Boquillas Canyon, dans le parc de Big Bend. Celui-ci est bordé par 190 km de fleuve.

PHOTOGRAPHIE DE Bryan Schutmaat

L’autre particularité du 27e parc national américain est de partager 190 km de frontière avec le Mexique. Pourtant, aucune barrière physique n’a été érigée le long de la longue frontière accidentée de Big Bend. Résultat, le parc, même en ne s’occupant que de ses propres affaires, s’est très souvent retrouvé impliqué dans les débats sur la souveraineté et la sécurité nationale des États-Unis. Les spectres du trafic de drogue, de l’immigration illégale et même du terrorisme ont attiré des dizaines d’agents fédéraux à la périphérie de Big Bend. Et c’est bien là le paradoxe : l’un des parcs nationaux américains les plus isolés, un havre pour les randonneurs en quête de déconnexion, ne peut échapper aux interminables bras-de-fer de la géopolitique.

Le Texas mythique, ancré dans l’imaginaire collectif – un paysage lunaire et sauvage, peuplé de cactus et de cow-boys impavides –, n’est nulle part plus visible que dans la région de Big Bend. Il convient également de dire que le désert de Chihuahua engendre des comportements peu orthodoxes. Les inconditionnels de Big Bend y voient plutôt un point fort qu’un inconvénient.

Avant la pandémie de Covid-19, 400 000 touristes affluaient à Big Bend chaque année ; il s’agit de l’un des parcs nationaux les moins visités des États-Unis (celui de Yellowstone en accueille près de dix fois plus). L’éloignement de Big Bend est probablement l’une des principales raisons pour lesquelles ses charmes atypiques ont longtemps été délaissés. Posséder le plus grand nombre d’espèces d’oiseaux et de cactus de tous les parcs américains n’a rien de glamour. L’histoire qu’il révèle – 300 millions d’années de vastes mers, de forêts, de dinosaures et de tremblements de terre – est une saga étonnante mais cachée, principalement relatée par les fossiles et la stratigraphie. Et si les imposantes formations géologiques du parc de Big Bend ont la même apparence préhistorique et rocailleuse que les Dolomites italiennes, elles n’affichent pas la symétrie de carte postale que peuvent avoir celles du parc des Arches, dans l’Utah, et du Grand Canyon, en Arizona.

Mais Big Bend a quelque chose que les autres n’ont pas : une frontière  fluviale de 190 km avec le Mexique – le Rio Grande, dont les méandres ont donné son nom au parc texan. Ses rapides bouillonnants, dans le Santa Elena Canyon, attirent les kayakistes ; et ses passages à gué, au sud-ouest du parc, les contrabandistas, qui transportent tout ce qui peut intéresser le consommateur américain.

Un autre matin, je prends la voiture avec mon ami James Evans, un photographe qui vit à Marathon depuis trente ans. Nous laissons derrière nous la US Route 385 pour aller dans la zone de gestion de la faune de Black Gap, au nord-est du parc. L’année a été sèche, même pour le désert, mais une pluie récente a ravivé les pousses vertes des ocotillos épineux, dressés telles des sentinelles dans le paysage. Des buissons de sauge pourpre et de russélie « goutte de sang » bordent la petite route menant au fleuve. Nous trouvons un endroit où camper à moins de 100 m du Rio Grande, mais non sans avoir dû expulser au préalable une famille de pécaris à collier. Trois vaches et un cheval blanc paissent non loin de là, sans se soucier de nous. À qui appartiennent-ils ? Descendant vers le lit du fleuve, côté Texas, je distingue les empreintes arachnéennes laissées par un héron – ainsi que des traces de bottes, bien que nous n’ayons pas vu âme qui vive depuis plusieurs heures. Dans le désert, la vie est toujours bien plus proche que vous ne le pensez.

Lorsque je me réveille le lendemain, le jour est en train de se lever. La Lune est toujours visible et la température a chuté en dessous de 10 °C. Les chevaux et les vaches ont disparu. Pendant que James Evans, juché sur le toit de son 4x4, prend des photos du fleuve, de mon côté, j’étudie la terre, ainsi qu’un agrégat aléatoire de coquillages datant de la fin du Crétacé, il y a cent millions d’années en arrière.

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    PHOTOGRAPHIE DE Bryan Schutmaat

    Pour retourner à Marathon, nous faisons un détour par l’ancien pont international de La Linda, utilisé autrefois pour transporter la fluorite des mines mexicaines vers les États-Unis. Le pont est fermé depuis des décennies. Mais le terrain de camping voisin est toujours ouvert. Le gérant, Butch Jolly, nous confie avoir vu ce matin des empreintes d’ours près du fleuve, non loin de là où il a pêché deux barbues à tête plate de 18 kg. Je lui demande ce qu’il utilise comme appât. Sa réponse ? « Des saucisses à hot-dog à l’ail, marinées dans une boisson aromatisée à la cerise pendant quatre heures. »

    Voir des agents de la police aux frontières est courant dans la région de Big Bend, mais, bien souvent, on n’a guère l’impression de se trouver près d’une frontière dans cette partie du sud des États-Unis. L’omniprésence de la cuisine et des travailleurs venant de l’autre côté du fleuve ne sont que les signes les plus évidents de cette réalité. Les quelques ours noirs du parc ont eux-mêmes migré depuis le Mexique.

    À l’inverse, les bruants et les parulines de Big Bend élisent domicile plus au sud, l’hiver venu. Dans le luxuriant jardin botanique du Gage Hotel, j’ai même découvert, stupéfait, plusieurs centaines de papillons monarques ayant accompli leur voyage saisonnier annuel vers le nord. C’est peut-être le pays des cieux immenses, mais ce qui donne ici une leçon d’humilité, c’est le spectacle quotidien de la grâce dans le désert.

    Un après-midi, manquant de compagnie, je décide d’aller voir mes amis préhistoriques, les pics Mule Ears. On y accède par une route bitumée mais sinueuse, la Ross Maxwell Scenic Drive, qui longe la frange occidentale des monts Chisos en décrivant des montagnes russes. Lorsque j’y arrive, il fait plus de 30 °C.

    La piste serpente à travers des hectares d’ocotillos, de yuccas, de dasylires de Wheeler et d’armoises. Mais je ne peux détacher mon regard de la vue qui s’offre à moi – plus précisément, des deux piliers sombres, plus ou moins triangulaires, qui se dressent au milieu de la plaine, entrant et sortant de mon champ de vision à chaque virage de la piste. Ces anomalies géologiques sont les seuls vestiges, dans le parc, d’une éruption volcanique qui a également désintégré d’énormes couches de magma solidifié, il y a environ 29 millions d’années de cela.

    Extrait de l'article publié dans le numéro 275 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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