Les espèces importées seraient utiles à leur nouvel écosystème
Selon une nouvelle étude, les chevaux sauvages et les chameaux ont beau ne pas être dans leur habitat naturel, ils permettent à leur espèce de rester à l'état sauvage et ont un impact positif sur l'écosystème.
Des chevaux sauvages qui paissent dans l'ouest des États-Unis, des dromadaires qui parcourent l'arrière-pays australien, des hippopotames qui se prélassent dans les lacs colombiens... Tous ont deux points communs : ces gigantesques herbivores évoluent sur le « mauvais » continent. Ils ont tous été arrachés à leur habitat naturel et importés par les hommes. Les hippopotames, par exemple, se sont échappés des zoos privés de Pablo Escobar, baron de la drogue colombien.
Selon une opinion extrêmement répandue chez les écologiste, ces espèces, ainsi que d'autres herbivores « expatriés », constituent un problème écologique. Une nouvelle étude affirme le contraire et indique qu'elles devraient être intégrées dans leurs nouvelles zones de répartition. D'après ses auteurs, ces espèces déplacées ne font que remplacer les animaux de pâturage dont les hommes ont causé l'extinction il y a des milliers d'années, ou empêcher la disparition de leur propre espèce, voire les deux.
Selon Erick Lundgren, écologiste à l'université d'État de l'Arizona, et ses collègues, sur les 76 herbivores du monde pesant plus de 100 kilos, 22 ont des populations importantes à l'extérieur de leur zone de répartition. Parmi ces 22 espèces, la moitié sont menacées d'extinction voire éteintes dans leur habitat naturel.
Certaines de ces nouvelles populations sont composées d'animaux en liberté, des animaux désormais sauvages qui descendent de versions domestiquées d'espèces disparues. Les aurochs peints autrefois sur les grottes, par exemple, puis domestiqués afin de servir comme bétail, sont éteints depuis longtemps. Or, des bovins à l'état sauvage courent en liberté de l'État de Hawaï à Hong Kong.
Si chaque population a sa propre histoire, à l'image des hippopotames utilisés par Pablo Escobar pour frimer, des schémas similaires se dessinent. « Il pouvait s'agir d'espèces de somme remplacées par la suite par des automobiles, ou importées pour la chasse, pour leur viande ou le sport », explique l'écologiste.
Deux questions se posent désormais : que penser de ces espèces et quel traitement leur réserver ? Selon Erick Lundgren et Arian Wallach, coauteure de l'étude et écologiste à l'université des sciences technologiques de Sydney, en Australie, ces animaux réintroduisent généralement des pâturages au sein d'environnements qui en manquaient. En broutant les jeunes plants, ces grands herbivores empêchent le développement de forêts et réduisent ainsi le risque d'incendie. Ils contribuent également au déplacement des nutriments en paissant dans un endroit et en faisant leurs besoins ailleurs.
Dans l'État américain de l'Arizona, Erick Lundgren a même aperçu des ânes sauvages, dont les ancêtres provenaient d'Afrique du Nord, creuser des points d'eau qui permettent d'abreuver les coyotes, les pécaris, les mouflons d'Amérique et les plantes.Or, ces ânes sauvages qui se promènent paisiblement à travers les villages et ruinent les voitures lorsqu'ils se font écraser sont perçus comme des parasites aux yeux de nombreux habitants de l'Arizona.
IMPOSSIBLE DE LES RENVOYER CHEZ EUX
De nombreux défenseurs de l'environnement ont affirmé que ces animaux rétifs devraient être « renvoyés » dans leur habitat naturel. D'après Arian Wallach, ce n'est généralement pas possible : le dromadaire en est la preuve.
« Si ces animaux s'étaient autrefois éteints au Moyen-Orient, c'est qu'il y a une raison », affirme-t-elle. Les dromadaires sauvages ont vraisemblablement été chassés et domestiqués jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Aujourd'hui, il n'existe aucun lieu au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord où leur réintroduction massive se ferait sans risque. Bien que nous ayons tendance à croire que le dromadaire est une espèce endémique du Moyen-Orient, lieu où les hommes l'ont rencontré et domestiqué pour la première fois, l'espèce avait en réalité évolué en Amérique du Nord des millions d'années plus tôt, fait remarquer Arian Wallach.
Selon elle, « l'Australie est le lieu le plus adéquat pour les dromadaires », lieu où ils ont été introduits au 19e siècle et où évoluent désormais 300 000 d'entre eux à travers le désert. À travers cette étude, elle et ses collègues souhaitaient faire prendre conscience de l'importance et de l'impact écologique de ces populations non indigènes.
L'idée lui est venue en observant une carte créée par William Ripple, l'un des coauteurs de l'étude et écologiste à l'université d'État de l'Oregon, à Corvallis. Cette carte illustrait les endroits sur Terre où vivent les grands herbivores et l'Australie y apparaissait complètement déserte. Pourtant, outre l'unique population de dromadaires sauvages au monde, le pays abrite sept autres espèces importées de grands herbivores, dont des ânes, des buffles d'Inde, des chevaux, des bantengs menacés originaires d'Asie du Sud-Est, ainsi que des sambars, une espèce menacée venue d'Inde.
Ces animaux ne figuraient pas sur la carte originale de Ripple car ce ne sont pas des espèces indigènes. Cette vision sélective est très répandue en écologie et révèle notre manque de connaissance sur ces populations. Même maintenant que l'étude est terminée, Lundgren est informé de l'existence de nouvelles populations assez régulièrement. « Je viens de découvrir une nouvelle espèce que nous n'avons pas intégrée », déclare-t-il. « L'éland géant à Cuba. Il y en a environ un millier ». Cette antilope à la beauté fascinante est menacée d'extinction en Afrique, région dont elle est originaire.
« Ces animaux existent », explique-t-il. « Pour un grand nombre d'entre eux, ce nouvel habitat est celui qu'ils connaissent mieux que n'importe quel autre endroit sur Terre. Nous dépenserions beaucoup d'énergie et de temps à tuer ces animaux si nous souhaitions revenir aux débuts historiques ». Selon lui, il faudrait plutôt « ouvrir nos yeux à ces merveilles que, bien souvent, nous ignorons et célébrer l'existence de ces animaux ».
CÉLÉBRER L'EXISTENCE DES DROMADAIRES ?
D'autres écologistes ne sont pas près de sortir le champagne. Selon Daniel Simberloff, professeur à l'université du Tennessee qui étudie l'impact des espèces non indigènes sur les écosystèmes, Lundgren et ses collègues ne se sont concentrés que sur les effets positifs des espèces herbivores invasives et ont ignoré les problèmes qu'elles causent.
« Les dromadaires, bon sang ! », s'exaspère Simberloff. « Il existe un livre entier et pléthore d'articles sur les nombreux impacts néfastes (qu'ils soient écologiques, économiques ou sociaux) des dromadaires sauvages ». Des études suggèrent en effet que ces nomades du désert endommagent et souillent les points et les sources d'eau, dont ceux qui revêtent une importance culturelle pour les peuples autochtones. Ces bêtes taciturnes ont également anéanti à l'échelle locale des plantes savoureuses comme le quandong, un fruit délicieux de la famille du bois de santal.
D'après le professeur, compte tenu de la disparition des dromadaires sauvages dans les pays arabes, un troupeau de conservation méticuleusement géré peut être gardé en Australie. « Mais il ne faut pas qu'ils colonisent la moitié de l'Australie. »
D'autres chercheurs ne sont pas contre l'idée d'aborder avec un regard nouveau ces populations invasives, dans la théorie seulement. En écologie, le problème est toujours caché dans les détails. Pour Eric Beever, un écologiste de l'agence américaine United States Geological Survey basé à Bozeman, dans l'État du Montana, si l'instauration de pâturages dans certains environnements peut être bénéfique, s'ils sont en trop grand nombre ils peuvent réduire la diversité d'autres espèces florales et fauniques, des petits mammifères aux plantes. En l'absence de prédateurs pour maîtriser ces herbivores importés, des espèces telles que les chevaux sauvages peuvent devenir un véritable problème dans l'Ouest américain.
« J'adore monter à cheval », reconnaît l'écologiste. « D'un point de vue romantique, les observer a quelque chose de beau. D'un point de vue écologique... », il marque une pause avant de citer l'écologiste Aldo Leopold : « l'une des sanctions de l'éducation écologique est que l'on vit seul dans un monde de blessures. Une grande partie des dégâts causés aux terres sont invisibles aux yeux des novices ». Pour Beever, le broutage intensif des chevaux sauvages, bien que largement compensé par l'impact du bétail domestique, constitue l'une de ces blessures.
Arian Wallach, qui n'est pourtant pas une novice, ne perçoit pas les choses de cette manière. Pour elle, le paysage de l'ouest de l'Amérique du Nord considéré comme naturel par de nombreux écologistes ne l'est pas. Il a été façonné par l'extinction, commencée il y a plus de 10 000 ans, de nombreux grands animaux vivant en Amérique du Nord au cours du Pléistocène. Les chasseurs humains étaient les principaux responsables. Cette disparition a donné un monde plus vert, plus boisé et aux pâturages plus rares.
« Le concept de "surpâturage" en dit long sur nous-mêmes », explique-t-elle. « Lorsque l'on dit que les animaux sont coupables de surpâturage, on dit en réalité que le paysage a un impact que nous n'aimons pas. »