Menacé par le braconnage, incapable de vivre en captivité : la dure vie du pangolin
Convoité pour ses prétendus bienfaits en médecine traditionnelle chinoise, le pangolin fait l’objet d’un important trafic illégal. Malheureusement, on ne sait pas l’élever en captivité.
Il a la taille d’un chiot de labrador et est recouvert d’écailles. La queue tendue parallèlement au sol pour se maintenir en équilibre, Tamuda tient ses petits bras en avant, à la façon d’un tyrannosaure. Le jeune pangolin est guidé par un soigneur vers un tas de terre, que l’homme entame avec une pioche. Il encourage Tamuda : regarde, des fourmis. Le pangolin comprend et commence à manger. Sa langue, presque aussi longue que son corps, fouille les fissures, et ses longues griffes imitent la pioche. Il mange pendant quelques minutes, puis, d’un pas lourd, s’en va un peu plus loin. Enfin, il se laisse tomber sur le côté comme un petit enfant sur le point de pleurer, et s’enroule autour de la botte du soigneur.
Celui-ci se penche et essaie de le retirer doucement, mais Tamuda veut qu’on s’occupe de lui. Levant les yeux vers son soigneur, le pangolin tend ses pattes antérieures dans sa direction, pour être pris dans les bras. Le soigneur tente de rester ferme : il est censé apprendre à Tamuda à se débrouiller seul. Mais il lui est impossible de résister à la demande du petit mammifère. Comme le ferait toute mère pangolin, il soulève Tamuda et le berce. L’apprentissage de Tamuda a lieu à la Fondation Tikki Hywood, un centre de sauvetage près de Harare, au Zimbabwe. Là se rétablissent des pangolins sauvés du trafic d’animaux sauvages.
Proche de l’ours et du chien, le pangolin a son propre ordre taxonomique et, s’il disparaît, il ne restera rien de semblable sur Terre. Garder en vie des pangolins en captivité représente une tâche phénoménale. Outre une alimentation spéciale, ils exigent des soins particuliers, car ils sont sujets aux ulcères gastriques et à la pneumonie, en général causés par le stress. En 2016, aux États-Unis, six zoos et une ONG ont importé quarante-six pangolins du Togo, afin de les étudier dans des conditions contrôlées et d’établir une population autonome. Au début de mars 2019, seize d’entre eux étaient morts.
Au Zimbabwe, les agents de la force publique savent que, lorsqu’ils saisissent un pangolin, ils doivent l’amener à Lisa Hywood. Elle est l’une des rares personnes dans le monde capables de maintenir en vie des pangolins en captivité. Ces animaux sensibles et difficiles ne consomment que certaines espèces de fourmis et de termites – un mode d’alimentation très compliqué à reproduire. En les laissant se promener plusieurs heures par jour dans la propriété avec des mères de remplacement pour les protéger, la Fondation Tikki Hywood a aidé de nombreux pangolins, comme Tamuda et sa mère, à se rétablir suffisamment pour pouvoir retourner dans la nature.
Problème : dans la nature, justement, les huit espèces de pangolins (quatre en Afrique, quatre en Asie) sont menacées d’extinction à cause du commerce illégal. Elles sont utilisées dans une série de remèdes traditionnels chinois, allant de traitements qui favorisent la montée de lait à d’autres censés soulager l’arthrite et les rhumatismes. Les écailles sont présentes sur les marchés de médicaments dans toute l’Asie, en particulier au Viêt Nam, en Thaïlande, au Laos et au Myanmar (Birmanie). En Chine, plus de 200 sociétés pharmaceutiques fabriquent une soixantaine de remèdes traditionnels contenant des écailles de pangolin, selon un rapport de 2016 de la Fondation chinoise pour la conservation de la biodiversité et le développement vert (CBCGDF).
Les provinces du pays délivrent collectivement des permis aux entreprises pour l’utilisation de 26 tonnes d’écailles par an en moyenne, ce qui représente quelque 73 000 pangolins. Traffic, le réseau international de surveillance du commerce des espèces de faune et flore sauvages, estime que 1 million de pangolins ont été braconnés entre 2000 et 2013. L’animal serait ainsi le mammifère non humain faisant l’objet du plus important trafic à travers le monde.
Les entreprises chinoises tenteraient de mettre en place des élevages de pangolins à grande échelle, pour disposer d’un approvisionnement régulier. Selon la CBCGDF, le gouvernement a accordé dès 2016 dix autorisations d’élevage de pangolins à des structures hétéroclites allant de centres de soins à des sociétés d’investissement. Vingt autres sociétés pharmaceutiques, ainsi que des entreprises en Ouganda, au Laos et au Cambodge ont lancé un « partenariat d’élevage » en 2014. Seul bémol, personne ne sait comment élever des pangolins à l’échelle commerciale.
La plupart des pangolins ne survivent pas plus de deux cents jours en captivité, affirme Paul Thomson, biologiste de la conservation et cofondateur de l’association Save Pangolins, sans même parler de se reproduire. Cela n’a pas dissuadé des entrepreneurs chinois d’essayer. En 2013, l’une d’entre eux, Ma Jin Ru, a lancé un élevage de pangolins, l’Olsen East Africa International Investment Co. Ltd., à Kampala, en Ouganda. Peu après, une autre entreprise, AsiaAfrica Pangolin Breeding Research Center, a également été enregistrée et autorisée à Kampala. Mais, en 2016 et 2017, les deux sociétés ont été perquisitionnées par les autorités ougandaises : celles-ci soupçonnaient les établissements de servir de couverture pour le trafic de pangolins capturés à l’état sauvage.
Extrait de l’article « Le pangolin sous la menace du braconnage », de Rachael Bale, publié dans le numéro de juin 2019 du magazine National Geographic.