Depuis la levée d'interdiction de chasse aux éléphants, le braconnage explose au Botswana
Quelques semaines à peine après la levée d'interdiction de la chasse, des relevés aériens montrent que le braconnage est de plus en plus fréquent au Botswana.
Pourtant considéré comme un havre de paix pour les éléphants d'Afrique, le Botswana semble souffrir de la montée en flèche du braconnage sur son territoire. Ce constat fait l'objet d'un article paru hier dans la revue Current biology.
« Nous faisons face à un grave problème de braconnage et il faut absolument le résoudre, » déclare Mike Chase, directeur de l'organisation à but non lucratif Elephants Without Borders basée au Botswana. C'est sous sa direction que s'est déroulé le dernier relevé aérien ainsi que les précédents recensements d'éléphants, notamment le Great Elephant Census portant sur 18 pays. « Les écologistes d'autres pays nous avaient prévenu, tôt ou tard les braconniers finiraient par s'introduire au Botswana, et ils sont arrivés, » poursuit-il.
Selon les estimations, le Botswana abriterait 130 000 éléphants de savane, soit un tiers de la population d'animaux restants en Afrique. Jusqu'à récemment, le pays sud-africain avait largement échappé au fléau du braconnage des éléphants pour l'ivoire, toujours très prisé en Chine et dans d'autres pays.
Lors des relevés effectués par Chase et ses équipes en 2014, ils n'ont identifié aucun incident en lien avec le braconnage d'éléphants au Botswana. En 2018 cependant, ils ont dénombré 156 carcasses tout juste ou récemment abattues dont les crânes avaient été ouverts et les défenses extraites. La plupart des carcasses étaient dissimulées derrière des broussailles. Autant d'éléments laissant penser, selon Chase, que ces animaux étaient les nouvelles victimes du commerce illégal d'ivoire.
Elephants Without Borders estime qu'à l'échelle du pays, au moins 385 éléphants ont été victimes des braconniers entre 2017 et début octobre 2018, une hausse qui pourrait signifier un futur déclin des populations. Chase insiste sur le fait que ces événements devraient être perçus comme un appel à l'action.
African Wildlife Foundation est une organisation internationale à but non lucratif dont les missions portent sur la conservation des animaux. Selon ses estimations, 35 000 éléphants sont tués chaque année en Afrique. À titre d'exemple, le parc national Sioma Ngwezi en Zambie accueillait en 2004 900 éléphants mais dix ans plus tard ce ne sont plus que 48 éléphants qui parcourent son territoire. Cette réduction drastique est probablement le résultat de plusieurs années de braconnage pour l'ivoire. Autre exemple, en Tanzanie dans la région centre-sud de Runaha-Rungwa, la population aurait chuté de 34 000 en 2009 à 8 000 en 2014.
Le recensement au Botswana évoqué dans Current Biology emboîte le pas à l'annonce faite le mois dernier par le gouvernement du pays d'autoriser à nouveau la chasse après une période de cinq ans d'interdiction, et ce, toutes espèces confondues. Cette mesure largement controversée autorisera également la prise de trophées de chasse d'éléphants et d'autres animaux. Selon le gouvernement, cette chasse est nécessaire en raison des contacts dangereux entre l'Homme et les éléphants qui se multiplient et font peser une réelle menace sur la vie humaine, parmi d'autres raisons.
L'article fait suite à une présentation antérieure des résultats dans un rapport paru en 2018 à l'initiative de l'organisme Elephants Without Borders. Malgré la révision de l'étude par des scientifiques ainsi que l'indépendance de son financement et de sa publication, le gouvernement botswanais et certains scientifiques l'avaient rejetée pour cause de surestimation du problème de braconnage.
« Notre principale conclusion n'a pas changé depuis le rapport de l'année dernière. Nous avons simplement décidé que la meilleure chose à faire était de reprendre l'ensemble des résultats afin de nous assurer que tout avait été fait dans les règles de l'art puis de soumettre l'article au processus standard d'évaluation par des pairs mis en place par la revue. C'est ce qui se fait de mieux dans le monde scientifique à l'heure actuelle, » déclare Scott Schlossberg, écologiste chez Elephants Without Borders et responsable de l'analyse. Il espère à présent que les personnes concernées prendront conscience de l'étendue du problème.
Le ministère de l'Environnement, de la Conservation des ressources naturelles et du Tourisme du Botswana n'ont pas souhaité commenter la position actuelle du pays vis-à-vis du braconnage.
DÉNOMBRER LES CARCASSES
Pour ce décompte, Chase a embarqué à bord d'un petit avion monomoteur. Assis à côté du pilote, il consignait les carcasses survolées. À l'arrière, deux observateurs établissaient leur propre décompte, l'un d'entre eux était presque toujours un employé du gouvernement botswanais, d'après les informations d'Elephant Without Borders. Ils ont ensuite procédé à des inspections photographiques de certaines carcasses par hélicoptère.
On ne connaît pas précisément les effets de l'interdiction de la chasse au Botswana, certains avancent qu'elle a permis d'éloigner les braconniers et d'autres qu'elle a entraîné une absence de recensement des éléphants ; d'autres encore suggèrent qu'elle a instauré un sentiment de légitimité chez les villageois lorsqu'ils tuaient puis prélevaient les défenses d'un éléphant qui s'était aventuré sur leurs cultures. Toutes ces hypothèses nous ont été communiquées par l'experte en criminalité et sécurité Vanda Felbab-Brown de la Brookings Institution, un think tank basé à Washington. Pour elle, les résultats publiés dans Current Biology sont « crédibles » et « plus solides » que ceux de l'année dernière. « Ces travaux ont l'air fiable, » conclut-elle.
Écologiste à l'Okavango Research Institute de l'université du Botswana et ex-Chief wildlife officer au Department of Wildlife and National Parks du Botswana, Gaseitsiwe Masunga approuve également les résultats. « Je pense que les extrapolations du rapport sont raisonnables, » dit-il en ajoutant, « je pense qu'il est exact de dire que le nombre d'incidents de braconnage est à la hausse. » De plus, poursuit-il, de précédents relevés au sol indiquaient également que le nombre d'incidents liés braconnage augmentait et le travail aérien entrepris dans cette étude permet de mieux cerner le problème avec une vue d'ensemble.
En revanche, Goemeone Mogomotsi, chargé de recherche principal à l'Okavango Research Institute, nous indique par e-mail qu'il reste sceptique quant à la méthode utilisée par Elephants Without Borders et les chiffres qu'elle produit. Il affirme que la plupart des carcasses d'éléphants dont les défenses ont été retirées pourraient bien être des animaux morts naturellement puis pris en charge par des employés du gouvernement qui auraient ensuite procédé au retrait des défenses, une pratique relativement courante. « Cela est fait régulièrement lorsque des éléphants meurent puis sont identifiés par les unités anti-braconnage, » nous informe-t-il. « Afin de prélever les défenses, ces unités utilisent probablement un processus similaire à celui des braconniers pour atteindre le crâne. »
Cependant, Chase et Masunga sont tous deux d'accord pour dire que les unités anti-braconnage ne dissimulent pas les carcasses et indiquent généralement leur passage en marquant les animaux à l'aide de peinture en spray. Selon Chase, il est par ailleurs inhabituel pour les unités anti-braconnage de se rendre dans des zones aussi éloignées que celles où ont été découvertes les carcasses, et ce, pour des raisons logistiques. Il ajoute qu'il n'est pas courant pour ces unités de retirer les défenses des animaux récemment décédés, ils ont plutôt tendance à le faire pour les carcasses plus anciennes, dont la décomposition a déjà commencé.
JUSTIFICATION
Le fait d'avoir publié les nouveaux résultats dans une revue soumise à une évaluation par les pairs apporte une certaine justification, observe Chase. « C'est très dur de mettre en jeu sa réputation scientifique. J'espère que cet article permettra de rétablir ma réputation en tant que conservationniste reconnu des éléphants et, plus important encore, qu'il aidera à résoudre la situation de crise que subissent ces animaux à l'heure actuelle dans notre pays afin que celui-ci redevienne un havre de paix pour la plus grande population d'éléphants du monde. »
En plus d'avoir largement recoupé les résultats de leurs travaux précédents, Schlossberg, Chase, et le coauteur Robert Sutcliffe ont ajouté un nouvel élément. Afin de tester les autres causes possibles de mort des éléphants, ils ont étudié les régions à proximité immédiate des cinq points chauds de braconnage dans le but de déterminer s'ils correspondaient aux points chauds en termes de disponibilité de nourriture pour les éléphants, conditions de sécheresse et nombre d'habitants.
Ils ont alors découvert que les zones dénuées de braconnage présentaient généralement des réserves en nourriture et en eau plus pauvres. Le nombre d'éléphants était plus ou moins comparable et l'Homme était plus présent en dehors des points chauds de braconnage. Ils ont conclu que ces facteurs n'expliquaient pas la mort des éléphants et que donc, le braconnage était la cause la plus probable.
Dans l'ensemble, l'équipe a estimé qu'entre 2014 et 2018, le nombre de carcasses d'éléphants au Botswana avait augmenté de 593 %. Une partie de cette hausse peut provenir de causes naturelles, notamment la sécheresse qui a sévi dans le pays il y a quelques années, comme le rappelle Schlossberg. Le nombre d'éléphants est resté stable entre 2014 et 2018. Ce qui, en soi, est déjà problématique car les populations d'éléphants sont censées augmenter de quelques points de pourcentage chaque année, explique-t-il, sauf si quelque chose ralentit cette progression, comme une sécheresse, une maladie ou le braconnage.
« Nous ne sommes pas en train de dire que c'est à cause du braconnage que la population n'augmente plus, nous ne disposons pas des preuves suffisantes pour l'affirmer, mais simplement que c'est une situation préoccupante lorsque la population d'éléphants stagne, » précise-t-il.
Les preuves apportées par les carcasses suggèrent que les braconniers au Botswana se sont concentrés sur les animaux aux plus grosses défenses et bien souvent, ce sont les plus vieux. Une fois ces éléphants disparus, les braconniers se tournent vers les matriarches. C'est à ce stade que les populations d'éléphants sont le plus vulnérables, indique Schlossberg, car ces femelles sont un véritable recueil des connaissances collectives du troupeau. Ce sont elles qui savent où trouver de l'eau et de la nourriture. (À lire : En réaction au braconnage, de plus en plus d'éléphants naissent sans défenses.)
« Il était devenu facile de penser que le Botswana allait toujours rester un lieu sûr pour les éléphants quand dans les pays limitrophes la situation était alarmante, » déclare Schlossberg. « Nous savons à présent que ce n'est pas le cas. »
Chase indique que pour protéger les éléphants du Botswana, « nous ne devons pas attendre du gouvernement qu'il relève seul ces défis complexes. » Certains points chauds de braconnage se situent sur de vastes concessions cédées à des entreprises internationales de tourisme ou de safari et elles devraient lancer leurs propres mesures anti-braconnage. Chase évoque d'ailleurs deux concessions du delta de l'Okavango disposant de patrouilles anti-braconnage : aucun éléphant tué pour l'ivoire n'a été trouvé par Elephants Without Borders dans ces deux zones correctement surveillées.
Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.