États-Unis : sauvetage miraculeux d'un aigle royal empoisonné au plomb
Les grands rapaces comme l'aigle royal et le pygargue à tête blanche finissent souvent empoisonnés par des projectiles d'armes à feu. Mais il existe des solutions pour résoudre le problème.
En janvier dernier, un aigle royal était déposé anonymement au Montana Raptor Conservation Center de Billings, un centre dont la mission consiste à remettre sur pattes les oiseaux blessés, situé aux États-Unis, dans le Montana.
Le jeune aigle mâle était en très mauvais état, recroquevillé, il respirait à peine et ses serres étaient crispées. Les experts du centre pensaient qu'il n'avait aucune chance de survivre. Après une série de tests, il s'est avéré que l'oiseau avait été empoisonné au plomb, probablement suite à l'ingestion d'un projectile ou de fragments présents dans un animal abattu par un chasseur. De plus, la teneur sanguine en plomb était incroyablement élevée et dépassait le niveau maximum de la machine.
« Il était à l'article de la mort, » se souvient Jordan Spyke, responsable des opérations pour le centre et expert en rapaces.
Cet événement est loin d'être rare. L'empoisonnement au plomb est un problème sérieux pour les rapaces charognards comme l'aigle royal et le pygargue à tête blanche ou encore le vautour. Bien qu'à l'heure actuelle des efforts soient fournis pour résoudre le problème, les munitions en plomb tuent de nombreuses espèces d'oiseaux emblématiques.
Certaines lois ont été promulguées pour limiter l'utilisation des munitions en plomb. Dès le 1er juillet, il sera illégal d'avoir recours à des munitions en plomb pour la chasse dans l'état de Californie en raison d'un empoisonnement massif des condors de Californie, une espèce classée en danger critique d'extinction. D'autres Etats comme l'Arizona encouragent également les chasseurs à se tourner vers d'autres types de munitions comme celles en laiton. Le plomb n'est par ailleurs plus autorisé depuis 1991 dans le cadre de la chasse à la sauvagine sur l'ensemble du territoire des États-Unis.
UN PROBLÈME GÉNÉRALISÉ
Depuis 2015, sur les 73 aigles royaux et 59 pygargues à tête blanche arrivés au centre, 99 % avaient eu du plomb dans leur organisme, nous informe Spyke.
D'autres études menées sur des aigles royaux prétendument en bonne santé ont abouti à des résultats alarmants. Par exemple, une analyse réalisée dans le Montana du sud-ouest entre 2008 et 2010 sur un échantillon de 74 aigles royaux a montré que la quasi-totalité des animaux présentaient des niveaux détectables de plomb dans leur organisme ; près d'un tiers étaient victimes d'un empoisonnement subclinique et un aigle sur six d'un empoisonnement total. Toujours dans le Montana, une autre étude ayant porté sur 178 aigles royaux de la forêt nationale d'Helena entre 2006 et 2012 avait conclu qu'un quart des rapaces présentait des niveaux de l'ordre de l'empoisonnement subclinique et 10 % des teneurs supérieures au seuil d'empoisonnement.
En avril dernier, dans le parc de Yellowstone, l'empoisonnement au plomb est venu à bout d'un aigle royal. Cet aigle n'était pas comme les autres, il était le premier de son espèce à avoir été équipé d'une balise GPS dans le cadre d'une étude menée par l'Institut d'études géologiques des États-Unis. Selon l'agence Associated Press, l'aigle s'était aventuré en dehors du parc et avait presque à coup sûr ingéré des fragments de plomb contenus dans un animal abattu par un chasseur.
Ce phénomène ne se cantonne pas à Yellowstone : de nombreuses espèces de rapaces ou de charognards du monde entier pourraient être victimes d'un empoisonnement au plomb et en particulier les condors de Californie, les aigles royaux, les pygargues à tête blanche, les vautours noirs, les vautours Aura, les éperviers de Cooper, les buses à queue rousse ou encore les corbeaux.
COUP DE CHANCE
L'aigle évoqué plus haut a quant à lui eu beaucoup de chance. Le personnel du Raptor Center a immédiatement commencé à le nourrir par intraveineuse et à lui administrer du calcium EDTA qui fixe et élimine le plomb dans le sang.
Peu à peu, il a retrouvé son état normal jusqu'à pouvoir s'envoiler à nouveau dans l'espace prévu à cet effet au sein de l'établissement. En quelques mois il a pu renforcer ses muscles et retrouver son niveau de vol d'antan.
À la fin du mois de juin par un après-midi ensoleillé, Spyke a pris la route en direction d'un versant de colline situé à l'extérieur de West Yellowstone pour libérer l'oiseau baptisé Golden Eagle 04 (en français, Aigle Royal 04, ndlr). Pendant la première partie du trajet, l'aigle était relativement calme mais à l'approche de la colline et de sa remise en liberté, il commençait à s'agiter dans la cage, il reprenait vie et martelait avec insistance les parois.
À l'intérieur de cette cage on pouvait enfin voir un aigle royal triomphant, somptueux bien qu'un tant soit peu énervé, enthousiaste à l'idée de prendre son envol. On pouvait sentir qu'il savait que ce n'était pas un jour comme les autres. Un oiseau puissant au plumage brun teinté d'orange et des serres impressionnantes.
Spyke et Josh Elliott, animateur de l'émission Yellowstone Live sur National Geographic Channel, ont alors sorti la cage pour la déposer sur un rocher. L'heure était venue.
« Dans ces derniers instants, qu'est ce que vous ressentez ? » interroge Elliott.
« C'est incroyable… Nous l'avons soigné jusqu'à ce qu'il soit de nouveau capable de se battre et lui avons donné une seconde chance dans la vie, et là on se retrouve au beau milieu du Greater Yellowstone Ecosystem pour le libérer, je pense qu'il n'y pas meilleure sensation. »
Après ces quelques mots, le moment était venu pour Skype de tirer sur le loquet de la cage qui s'ouvre grand. Golden Eagle 04 est prêt. Il se jette dans les airs, ses immenses ailes le propulsant dans l'air frais de la montagne. Dans le parc national de Yellowstone, le silence règne et on n'entend que les battements d'aile de l'aigle qui s'éloigne, de plus en plus haut, en direction d'une forêt.
« J'ai l'impression de m'envoler avec lui, » s'exclame Spyke après un moment.
« C'est extraordinaire, » lui répond Elliott. « Il est tellement plus grand qu'il en avait l'air dans la cage. »
« Et il continue, » lâche Spyke, alors que l'oiseau s'arrête brièvement au loin sur un pin avant de repartir de plus belle vers son nouveau foyer.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.