Un virus mortel se propage à mesure que la glace fond, menaçant les mammifères marins

Avec l'aggravation du changement climatique, les scientifiques craignent qu'un virus que l'on ne trouvait autrefois que dans les eaux européennes puisse contaminer la côte ouest des États-Unis.

De Sarah Gibbens
Des lions de mer de Steller nagent au large de la Colombie-Britannique. Les scientifiques sont préoccupés ...
Des lions de mer de Steller nagent au large de la Colombie-Britannique. Les scientifiques sont préoccupés par un virus mortel qui décime les populations de lions de mer de Steller et pourrait se propager plus au sud à mesure que la glace fond, infectant au passage les mammifères marins des côtes californiennes.
PHOTOGRAPHIE DE Thomas P. Peschak, Nat Geo Image Collection

Lorsqu'en Alaska, des loutres de mer ont été diagnostiquées atteintes de la maladie de Carré des pinnipèdes (phocine distemper virus, PDV) en 2004, les scientifiques étaient stupéfaits et pour cause, ce pathogène du genre Morbillivirus qui regroupe des virus comme la rougeole n'avait été identifié jusque là qu'en Europe et sur la côte est de l'Amérique du Nord.

« Nous n'avons pas compris comment un virus de l'Atlantique pouvait avoir contaminé ces loutres. Leur aire de répartition n'est pas très étendue, » rapporte Tracey Goldstein, scientifique de l'université de Californie à Davis qui étudie la façon dont les agents pathogènes évoluent à travers les écosystèmes marins.

 

Galerie : La beauté des phoques en images

En analysant quinze années de données recueillies entre 2001 et 2016, Goldstein et son équipe de chercheurs ont pu établir un lien entre une hausse des cas de PDV et le recul de la banquise arctique. Cette modification de l'aire de répartition des loutres a probablement poussé les animaux plus à l'ouest, vers de nouveaux territoires où le virus ne s'était jamais manifesté. Publiés récemment dans la revue Scientific Reports, les résultats de leur étude montrent comment le changement climatique peut ouvrir de nouvelles voies de transmission de la maladie.

 

DE L'EUROPE À L'AMÉRIQUE DU NORD

La maladie de Carré des phoques a été détectée pour la première fois en 1988 dans le nord de l'Europe où avaient péri 18 000 phoques selon les estimations, pour la plupart des phoques communs. Une épidémie similaire a éclaté en 2002. La source de la maladie reste incertaine. Certains chercheurs avaient suggéré qu'elle proviendrait de l'Arctique, mais des mutations de la maladie existent chez des dizaines d'animaux. Les vétérinaires locaux vaccinent régulièrement les chiens domestiques contre la version canine.

Les symptômes communs aux chiens et aux phoques sont des difficultés respiratoires, une décharge nasale et oculaire et de la fièvre. Les mammifères marins rencontrent quant à eux un problème supplémentaire, une nage erratique.

La maladie se transmet via contact direct ou si un animal entre en contact direct avec des excréments infectés.

« Il a été démontré que le virus se transmettait assez facilement entre mammifères marins, » nous informe Shawn Johnson, vice-président de la médecine vétérinaire au Centre des mammifères marins de Sausalito, en Californie.

La première épidémie majeure de PDV le long de la côte est des États-Unis est survenue en 2006. Au cours de l'année dernière, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a fait état d'un nombre anormalement élevé de phoques morts entre les états du Maine et de la Virginie. Des tests ont montré que la maladie de Carré était la principale coupable.

Afin de reconstituer le chemin emprunté par la maladie entre l'Europe et le Pacifique Nord au large des côtes de l'Alaska, Goldstein et son équipe ont épluché des études et des registres d'échantillons biologiques prélevés sur 2 530 phoques vivants et 165 phoques morts appartenant à des espèces qui passaient au moins une partie de leur année sur les glaces de l'Arctique. Ils ont ensuite analysé les données sur l'étendue de la banquise à une période donnée de l'année et ont découvert que les années de faible étendue étaient systématiquement suivies d'une hausse des cas de PDV.

L'année 2016 est la dernière sur laquelle l'étude a recueilli des données. Depuis, la banquise arctique n'a fait que reculer.

 

NOUVELLES VOIES D'INFECTION

La banquise ouvre de nouveaux itinéraires de migration pour les mammifères marins, elle leur permet de traverser plus facilement l'Atlantique pour atteindre le Pacifique en passant par le cercle Arctique.

« Ils voyagent plus loin pour trouver de la nourriture. Ce trajet supplémentaire affecte leur santé générale et ils sont plus vulnérables à la maladie, » explique-t-elle.

Les espèces marines sont si nombreuses à migrer vers l'Arctique chaque année que la région pourrait favoriser la multiplication et la propagation de la maladie.

« L'Arctique pourrait agir comme un bouillon de culture pour la transmission de la maladie, » déclare Johnson.

La maladie de Carré n'a pas encore été détectée en Californie, mais Johnson indique rester vigilant avec d'autres scientifiques. Selon lui, il est possible que le virus se propage plus au sud. De nombreuses espèces marines de Californie migrent vers le nord et interagissent avec des animaux dans des régions où la maladie a déjà été signalée.

La vaccination des mammifères marins contre la PDV est une possibilité, mais le faire à une échelle suffisamment grande pour empêcher la propagation de la maladie est difficile selon les scientifiques. Les phoques moines d'Hawaï sont régulièrement vaccinés contre la PDV. Il ne reste que 1 400 représentants de l'espèce et même si la maladie n'a pas encore atteint ces latitudes, son impact potentiel inquiète les écologistes.

D'après Goldstein, il reste encore de nombreuses incertitudes sur la maladie et la façon dont elle évoluera alors que le changement climatique continue de grignoter l'Arctique.

En plus de la maladie de Carré, Johnson ajoute qu'ils surveillent d'autres maladies dont les cas sont également à la hausse en raison du changement climatique. La leptospirose, une bactérie transmissible de l'animal à l'Homme, est de plus en plus répandue, tout comme le phénomène d'efflorescence algale qui infecte les poissons avec une toxine provoquant des lésions cérébrales chez les mammifères marins.

« Nous devons être vigilants et surveiller la situation, » conclut Johnson. « Les maladies qui se propagent pourraient subir d'importants changements. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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