Découverte : les rats ne nuisent jamais à leurs semblables

La zone du cerveau associée à l'empathie est la même chez les Hommes et les rongeurs. Leur comportement serait donc profondément enraciné dans l'évolution des mammifères.

De Liz Langley
Publication 17 mars 2020, 15:02 CET
Les rats et les humains partagent le même état d'aversion pour le préjudice, dans une zone ...
Les rats et les humains partagent le même état d'aversion pour le préjudice, dans une zone du cerveau appelée le cortex cingulaire antérieur.
PHOTOGRAPHIE DE Vincent J. Musi, Nat Geo Image Collection

Une nouvelle étude s’appuie sur ces preuves d’empathie déjà établies pour montrer que les rats domestiques évitent de nuire à d’autres rats.

Les résultats de l’étude en question ont été publiés le 5 mars dernier dans la revue Current Biology. Les chercheurs ont entraîné des rats à actionner des leviers pour se procurer des friandises. Quand un levier produisait une petite décharge électrique désagréable sur le sol du voisin, plusieurs rats cessaient de l’utiliser et changeaient de levier.

Cette aversion pour le préjudice est une caractéristique typiquement humaine, régulée par une partie du cerveau appelée le cortex cingulaire antérieur (CCA). D’autres expériences ont montré que le CCA était également responsable de ce même comportement chez le rat. C’est la première fois que les chercheurs mettent en évidence l’importance du CCA dans le contrôle de l’aversion pour le mal chez une espèce non humaine.

Cette ressemblance entre le cerveau de l’Homme et celui du rat est « formidable pour deux raisons », affirme Christian Keysers, coauteur de l’étude et chercheur à l’Institut néerlandais de neurosciences. D’une part, cela montre que la motivation morale de ne pas nuire aux autres est profondément ancrée dans l’histoire de l’évolution des mammifères.

Qui plus est, les résultats pourraient avoir une véritable incidence sur les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques comme les psychopathes ou les sociopathes dont le CCA présente une certaine déficience.

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    « Pour le moment, aucun médicament n’a prouvé son efficacité dans la réduction de la violence chez les populations antisociales », ajoute Keysers. Trouver un moyen de renforcer l’aversion de ces malades pour la nuisance aux autres serait certes un outil puissant.  

     

    DES RATS AUX CARACTÉRISTIQUES HUMAINES

    Dans un premier temps, Keysers et son équipe ont dressé vingt-quatre rats des deux sexes à actionner deux leviers différents qui distribuent des friandises. Une fois que les rats ont développé une préférence pour l’un des deux leviers, les chercheurs ont modifié le circuit et chaque fois qu’un rat appuyait sur son levier préféré, une stimulation électrique désagréable était produite sur le sol du voisin.

    Lorsqu’ils ont entendu les cris de leurs congénères, neuf rats ont immédiatement arrêté d’appuyer sur leur levier favori, optant plutôt pour l’autre qui générait également des friandises.

    À la grande surprise de Keysers, l’expérience a suscité des réactions différentes. Visiblement angoissés, certains rats ont immédiatement arrêté d’utiliser les deux leviers après le premier choc électrique alors que d’autres semblaient complètement indifférents. Cette irrégularité est « également passionnante puisqu’elle montre un rapprochement avec les différences de comportement détectées chez les Hommes. »

    Cependant, tout comme chez l’Homme, il existe des limites à l’empathie des rats. Les chercheurs ont renouvelé l’expérience avec trois friandises à chaque fois. Les rats qui ont changé de levier pour éviter de nuire à leurs voisins ont aussitôt cessé de le faire. 

    « J’ai trouvé cette expérience particulièrement amusante mais également empreinte d’honnêteté et de vérité », souligne Peggy Mason, neurobiologiste à l’université de Chicago qui n’a pas pris part à l’étude.

    Pour l’étape suivante, Keysers et son équipe ont anesthésié localement le cortex cingulaire antérieur des rats qui est à l’origine de l’aversion pour le préjudice. Dans ces conditions, les rats ont curieusement cessé de se soucier de leurs congénères.

     

    RAT ÉGOÏSTE OU RAT ALTRUISTE ?

    L'objectif était de savoir si les rats étaient égoïstes et essayaient d’apaiser leur détresse personnelle ou s’ils voulaient vraiment venir en aide à leurs voisins.

    « L’expérience d’autrui les rend mal à l’aise », explique Mason. « Nous sommes des mammifères au même titre que les rats. Nos motivations sont donc probablement les mêmes. » 

    La question est tout aussi intrigante pour Jeffrey Mogil, chercheur en neurosciences à l’université McGill au Canada. Les rats sont-ils « vraiment altruistes ou cherchent-ils simplement à calmer leur angoisse à la vue d’autres rats électrocutés ? Est-ce un désir véritable d'aider l’autre ou plutôt un moyen de se donner bonne conscience ? »

    Difficile de répondre à cette question, renchérit Keysers, soutenant que les raisons qui poussent les gens à mener de bonnes actions sont tout aussi complexes.

    C’est tout de même fascinant de savoir que cette motivation qui empêche de nuire aux autres, quelle qu’en soit la raison, est vieille de 93 millions d’années, quand hommes et rats ont emprunté des chemins différents dans leur évolution. Les rats partagent plusieurs caractéristiques avec les hommes : comme eux, ils développent une addiction aux drogues, à l'instar de la cocaïne. Ils sont également conscients de leurs propres processus cognitifs, un concept connu sous le nom de métacognition. De plus, ils font preuve de violence en cas de surpeuplement

    Dans ce monde en proie à d’innombrables conflits, Keysers ajoute qu’il « est plutôt rassurant de savoir que notre biologie porte en elle, depuis si longtemps déjà » les graines de la paix.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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