La Chine préconise la bile d'ours pour lutter contre le coronavirus

La Commission nationale de la santé a publié une liste de traitements recommandés sur laquelle figurent notamment des injections à base de poudre de bile d'ours. Une préconisation qui inquiète les défenseurs de la faune.

De Rachel Fobar
Publication 26 mars 2020, 17:53 CET
Dans les exploitations ursicoles de Chine et d'Asie du Sud-Est, la bile utilisée par la médecine ...
Dans les exploitations ursicoles de Chine et d'Asie du Sud-Est, la bile utilisée par la médecine traditionnelle est extraite en insérant un cathéter, une seringue ou un tuyau dans la vésicule biliaire de l'animal au cours d'un processus invasif et très douloureux. Cet ours noir d'Asie retenu au Vietnam Bear Rescue Centre fait partie des milliers d'ours arrachés aux griffes des « fermes à bile » illégales du pays.
PHOTOGRAPHIE DE Roberto Schmidt, AFP, Getty

Moins d'un mois après avoir pris des mesures pour interdire de façon permanente la vente et la consommation d'animaux sauvages à des fins alimentaires, le gouvernement chinois vient de recommander l'utilisation du Tan Re Qing, une injection contenant de la bile d'ours, comme traitement contre les formes graves et critiques de COVID-19. C'est l'une des nombreuses solutions thérapeutiques à la fois traditionnelles et modernes figurant sur une liste publiée le 4 mars par la Comission nationale de la santé, l'entité gouvernementale responsable des politiques nationales de santé en Chine. Pour les défenseurs de la faune, ces recommandations mettent en lumière une certaine approche contradictoire de la vie sauvage : interdire le commerce d'animaux vivants pour l'alimentation d'un côté et promouvoir celui des parties d'animaux à des fins médicinales de l'autre.

Sécrétée par le foie et stockée dans la vésicule biliaire, la bile de différentes espèces d'ours, notamment l'ours noir d'Asie et l'ours brun, est utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise depuis le 8e siècle au moins. Elle présente une teneur importante en acide ursodésoxycholique, ou ursodiol, dont l'efficacité dans la dissolution des calculs biliaires et le traitement des affections hépatiques a été cliniquement prouvée. L'acide ursodésoxycholique est disponible sous forme synthétisée depuis des décennies dans le monde entier.

L'Organisation mondiale de la santé affirme qu'il n'existe pour l'heure aucun remède contre le COVID-19 même si certains médicaments, comme les antidouleurs ou le sirop pour la toux, peuvent traiter les symptômes associés à la maladie.

Les adeptes de la médecine traditionnelle chinoise utilisent généralement le Tan Re Qing pour soigner les bronchites et les infections des voies respiratoires supérieures. Professeur au sein de l'université du Minnesota à Minneapolis, Clifford Steer a étudié les vertus médicinales de l'acide ursodésoxycholique et aucune preuve n'a été portée à sa connaissance concernant l'efficacité de la bile d'ours dans le traitement du coronavirus. Cela dit, il ajoute que l'acide ursodésoxycholique se distingue des autres acides biliaires par sa capacité à maintenir les cellules en vie et pourrait en ce sens soulager les symptômes du COVID-19 grâce à ses propriétés anti-inflammatoires et sa tendance à apaiser la réponse immunitaire.

Promulguée en 1989, la loi chinoise de protection de la faune considère les animaux comme une ressource à utiliser au bénéfice des humains. En 2016, un amendement est venu appuyer la légitimité de l'utilisation commerciale de la faune en déclarant explicitement que les animaux pouvaient être utilisés dans la médecine traditionnelle chinoise comme l'écrivait à l'époque Peter Li, spécialiste des politiques chinoises pour Humane Society International.

Le gouvernement a recommandé un traitement des cas graves et critiques de COVID-19 à l'aide d'une ...
Le gouvernement a recommandé un traitement des cas graves et critiques de COVID-19 à l'aide d'une injection contenant de la poudre de bile d'ours. Il n'existe à ce jour aucune preuve de son efficacité contre la maladie.
PHOTOGRAPHIE DE Str, AFP, Getty

Bien que le recours à la bile d'ours provenant d'animaux en captivité soit légal en Chine, celle provenant des ours sauvages est interdite, tout comme son importation depuis d'autres pays. Aron White est militant au sein de l'Environmental Investigation Agency (EIA), une ONG qui dénonce les pratiques criminelles liées aux espèces sauvages. Son organisation a découvert les recommandations du gouvernement chinois pour traiter le COVID-19 grâce à des publications postées sur les réseaux sociaux par des trafiquants.

« Nous avons constaté que les recommandations du gouvernement étaient reprises par les trafiquants pour promouvoir leurs produits illégaux comme traitement, » rapporte White. La bile illégale prélevée sur les ours sauvages est produite en Chine, poursuit-il, mais également importée du Laos, du Vietnam et de la Corée du Nord où elle est prélevée sur des ours captifs ou sauvages. Ce trafic persiste alors que l'espèce la plus fréquemment élevée pour sa bile, l'ours noir d'Asie, figure sur la liste des espèces protégées contre le commerce international dans le cadre de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), dont le rôle est de contrôler les échanges transfrontaliers de la faune et des produits issus de la faune.

En plus de la bile d'ours, les injections de Tan Re Qing contiennent de la poudre de corne de chèvre et différents extraits végétaux. Leur utilisation recommandée par le gouvernement chinois inquiète les défenseurs de la faune qui entrevoient une croissance du commerce d'animaux sauvages et une justification de la cruauté envers les animaux. « On constate une préférence prononcée des consommateurs pour les produits issus d'animaux sauvages, souvent considérés plus puissants ou plus "authentiques", » indique White. « Donc, l'existence d'un marché légal issu de la captivité n'allège en rien la pression exercée sur les populations sauvages — ça ne fait qu'entretenir la demande qui incite au braconnage. »

Dans les fermes à bile de Chine et du Sud-est asiatique, les animaux peuvent être enfermés plusieurs dizaines d'années dans des cages. Généralement, la bile est prélevée en insérant un cathéter, une seringue ou un tube dans la vésicule biliaire. Toutes les méthodes d'extraction sont invasives et « génèrent de la souffrance, des douleurs et des infections, » d'après les informations communiquées par Animals Asia, une organisation à but non lucratif dont l'objectif est de mettre fin à l'élevage des ours pour leur bile. Les négligences et les maladies sont fréquentes dans ces fermes, les consommateurs risquent donc d'ingérer de la bile d'ours malade pouvant être contaminée par du sang, des excréments, du pus, de l'urine et des bactéries, toujours selon Animals Asia.

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    De la bile est prélevée dans la vésicule biliaire d'un ours noir d'Asie sous sédatif. Selon l'organisation Animals Asia, les maladies sont fréquentes dans ces exploitations et la bile extraite d'animaux malades peut être contaminée par du sang, des excréments, du pus, de l'urine ou des bactéries qui pourraient s'avérer dangereuses pour la santé humaine.
    PHOTOGRAPHIE DE Mark Leong, Nat Geo Image Collection

    Un autre remède de la médecine traditionnelle apparaît sur la liste dressée par la Commission nationale de la santé dans le cadre du traitement contre le COVID-19 : l'Angong Niuhuang Wan. Utilisé pour combattre la fièvre et d'autres maladies, ce comprimé contient traditionnellement de la corne de rhinocéros dont le commerce international est strictement interdit. La législation chinoise voudrait que ces comprimés contiennent de la corne de buffle mais d'après White, certains commerçants continuent d'utiliser la corne de rhinocéros.

    Alors que Pékin semble avoir l'intention de mettre fin au commerce d'animaux sauvages, la promotion des injections de Tan Re Qing et d'autres traitements issus des produits d'animaux est « révélatrice de la nature contradictoire des messages délivrés par la Chine à l'heure actuelle, » déclare White.

    Cependant, le recours à la médecine traditionnelle est solidement ancré en Chine depuis des millénaires et constituait même la principale forme de soins jusqu'au renversement du dernier empereur de la dynastie Qing par un médecin formé en Occident au début du 20e siècle. Essentiellement d'origine végétale, les traitements traditionnels sont généralement soutenus par le gouvernement comme pilier de la culture chinoise et en 2018, l'Organisation mondiale de la santé a même intégré les remèdes de la médecine traditionnelle à sa pharmacopée internationale. Pendant la pandémie de coronavirus, les autorités ont encouragé son utilisation et 85 % des personnes atteintes du COVID-19 reçoivent une forme de traitement à base de plantes, d'après les données communiquées par le ministère chinois de la Science et de la Technologie.

    La Commission nationale de la santé chinoise n'a pas souhaité répondre à nos questions.

     

    RISQUES POUR L'HOMME

    Selon White, tous les élevages de faune représentent un risque sur la santé, que les animaux y soient élevés pour leur viande ou pour la médecine traditionnelle. Par exemple, dans les deux cas, il est fréquent que des centaines d'animaux sauvages soient entassés ou que des individus entrent en contact avec des carcasses.

    « Que la faune soit consommée sous forme d'aliment ou de remède, des risques existent toujours dans la façon dont les animaux sont abattus, recueillis, entreposés ou transformés, » déclare White. Si la Chine a pour ambition de fermer les exploitations qui produisent de la viande à partir d'animaux sauvages comme les paons, les porcs-épics et les sangliers parce qu'ils présentent un risque de maladie, poursuit-il, « alors pourquoi ne pas s'intéresser aux autres fermes ? Les ours, les tigres ? Elles pourraient poser les mêmes problèmes. » De plus, ajoute-t-il, « la grande majorité des produits de la médecine traditionnelle chinoise ne contiennent pas de parties d'animaux. Il n'est pas nécessaire qu'elle soit une menace pour la faune. »

    En ce qui concerne le COVID-19, ce dont nous avons besoin est clair, reprend Clifford Steer de l'université du Minnesota : « En fin de compte, la communauté internationale doit mettre au point un vaccin contre la maladie pour protéger les populations. »

     

    Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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