États-Unis : il est désormais légal de chasser les ours et les loups directement dans leur tanière
L'abrogation d'une loi interdisant des méthodes de chasse controversées dans les réserves alaskiennes pourrait entraîner le service des parcs nationaux à céder ses pouvoirs à des États aux objectifs moins axés sur la conservation.
Au mois de juin, le service américain des parcs nationaux annonçait une nouvelle loi qui autorisait des pratiques de chasse précédemment interdites dans les réserves nationales de l'Alaska, notamment le fait d'attirer les ours avec de la nourriture humaine ou de tuer les mères avec leurs oursons à l'intérieur même de leur tanière. Bon nombre de ces réserves ont une frontière commune avec des parcs nationaux, ci-dessus celui de Denali par exemple.
Lors de l'ouverture de la saison de la chasse au loup, le 1er août en Alaska, il est devenu légal pour les chasseurs des réserves nationales de tuer les mères qui allaitent, ainsi que leurs petits, directement dans leurs tanières. Au mois d'octobre, lorsque débutera la saison de la chasse aux ours, les femelles se préparant à hiberner avec leurs oursons pourront être la cible des chasseurs dans certaines parties des réserves nationales de Denali et des Gates of the Arctic. Enfin, au printemps, lorsque les mères et leurs petits sortiront, ils feront également partie du gibier de chasse.
Par ailleurs, les techniques de chasse précédemment interdites comme l'utilisation de donuts, de popcorn ou d'autre forme humaine de nourriture pour appâter les ours sont dorénavant légales dans les réserves nationales de l'Alaska.
Ces pratiques n'ont rien de nouveau. Plusieurs d'entre elles ont été autorisées pendant des années sur de vastes parcelles sauvages à travers l'état, et d'autres sont utilisées depuis des siècles par les peuples natifs de l'Alaska. En revanche, sur les terres administrées par le service des parcs nationaux à savoir les parcs nationaux, les réserves naturelles et les monuments nationaux, la loi fédérale interdisait les pratiques de chasse les plus controversées.
Mais voilà que le 9 juin, une loi finale promulguée par le service des parcs nationaux indiquait que le gouvernement des États-Unis ne pourrait plus empêcher les chasseurs d'utiliser ces méthodes dans les réserves nationales de l'Alaska. Selon le National Park Service, l'objectif de ce nouveau texte serait de tendre vers un alignement des réglementations fédérales et étatiques.
À ce jour, les autorités alaskiennes n'autorisaient le recours à ces méthodes controversées que dans certaines réserves nationales, mais le changement de législation rend possible cette autorisation dans l'ensemble des 10 réserves de l'état, soit une zone équivalente à un pays comme l'Autriche en superficie.
L'annonce s'est attiré de vives critiques émanant de la communauté scientifique, des gestionnaires de la faune et des organismes de défense des animaux, pour qui la nouvelle loi autorise la cruauté envers les animaux et entrave la mission de conservation prétendument menée par le service des parcs nationaux.
« Légaliser l'abattage des oursons et des louveteaux est épouvantable et va à l'encontre des bonnes pratiques de chasse, de la chasse équitable, » indique William Ripple, écologiste au sein de l'université d'État de l'Oregon à Corvallis. « Ce n'est pas du tout cohérent avec une gestion humaine. » La chasse équitable est le nom donné à un code d'honneur adopté par de nombreuses organisations de chasse qui assure la pratique éthique et juste de la chasse en donnant notamment à un animal des chances d'échapper au chasseur.
Cependant, la vision des autorités alaskiennes est tout autre. « On le voit plutôt comme un alignement des réglementations entre le service des parcs nationaux et l'état, » déclare Eddie Grasser, directeur du service dédié à la conservation des espèces sauvages au sein de l'Alaska Department of Fish and Game.
Pour Ripple et bien d'autres, cette interprétation est fausse. Ils reconnaissent que l'évolution des règles de chasse n'affectera probablement pas les populations globales d'ours et de loups, mais ils s'inquiètent de l'impact négatif sur la mission de protection et de préservation de la nature menée par le service des parcs nationaux, et ce, pas uniquement en Alaska, mais à travers l'ensemble des États-Unis.
« Cette loi établit une dangereuse jurisprudence, » prévient Ripple. « Elle pourrait mener à une exploitation de la faune dans les zones sous protection fédérale des 48 États plus au Sud. »
Ses préoccupations reflètent celles de nombreux biologistes et gestionnaires de la faune qui craignent que cela n'encourage d'autres états à faire pression sur le gouvernement fédéral afin d'obtenir l'ouverture de leurs aires protégées au niveau national à ces pratiques controversées incohérentes avec les politiques fédérales.
« Et que dira-t-on à ceux qui veulent tuer les pumas des réserves fédérales de l'Utah ? » illustre Ripple. « Ou les lynx roux, les coyotes, les loups et les ours ? Il y a toutes sortes de prédateurs dans les 48 États du Sud. »
PRIORITÉ AUX CHASSEURS
La législation alaskienne sur la faune fait office d'exception aux États-Unis, et même dans le monde. À travers son Intensive Management Law de 1994, l'État ordonne que certaines espèces prédatrices soient gérées de façon à assurer que les populations d'élans, de caribous et de cerfs « restent suffisamment fournies pour un prélèvement durable et adéquat. » Pour de nombreux Alaskiens, le gibier est une source vitale de nourriture, juste après le poisson. D'après les estimations de l'Alaska Department of Fish and Game, les consommateurs de subsistance prélèvent chaque année 16 700 tonnes de nourriture sauvage.
Le nombre d'ours abattus par les chasseurs en Alaska a augmenté au cours des dernières décennies suite à l'adoption de réglementations plus libérales comme l'exonération des droits de chasse, l'ouverture à l'année des saisons de chasse, l'autorisation du recours aux appâts et la légalisation des ventes commerciales de peaux et de crânes.
Les objectifs de l'État en matière de gestion de la faune contrastent fortement avec les lois fédérales en vigueur sur les terres administrées par le service des parcs nationaux. Ces zones doivent être gérées dans un souci de conservation et d'amusement du public américain de telle sorte qu'elles soient « laissées intactes » pour les générations futures. Dans les réserves nationales, la loi indique que la chasse et la pêche peuvent faire l'objet d'une autorisation si et seulement si ces activités ne menacent par leurs ressources naturelles.
En Alaska, les réserves nationales autorisent depuis longtemps la chasse et la pêche, mais « ce qui est nouveau ici c'est l'incapacité pour le service des parcs nationaux de gérer les terres des réserves nationales alaskiennes en tant que zones de conservation plutôt qu'en tant que "pâtures" à viande de brousse pour les Alaskiens, » déplore Sterling Miller, biologiste à la retraite de l'Alaska Department of Fish and Game où il se spécialisait dans les ursidés. « C'est dégradant non seulement pour les prédateurs mais aussi pour les élans, les caribous et les cerfs, dont la valeur est de plus en plus rattachée aux calories qu'ils procurent. »
Les parcs nationaux, les réserves, les forêts, les sanctuaires et les monuments placés sous protection fédérale sont, par définition, des territoires publics détenus en fiducie par le gouvernement fédéral au profit de l'ensemble des citoyens américains, dont les impôts financent l'entretien et la gestion desdits territoires.
« Le service des parcs nationaux a été fondé il y a plus d'un siècle en vue de veiller sur les trésors de notre nation et de les garder intacts pour l'intérêt et le loisir des générations futures, » déclare Sally Jewell, secrétaire à l'Intérieur des États-Unis sous l'administration Obama. Cette nouvelle modification de la loi est « malavisée et incohérente avec la tradition de subsistance et le concept de chasseurs conservateurs qui ont conscience du besoin de préserver l'équilibre de la nature. »
En théorie, comme nous l'explique Miller, l'approche alaskienne de la gestion de la faune pourrait se traduire par une amélioration de l'habitat, mais dans les faits elle s'est surtout concentrée sur la réduction du nombre de prédateurs s'attaquant aux élans, aux caribous et aux cerfs, principalement les loups. Les saisons de chasse au loup n'ont cessé de s'allonger et le nombre d'animaux abattus n'a fait qu'augmenter. Au fil du temps, l'État a mis en place des programmes spécifiques de contrôle des prédateurs visant à tuer un plus grand nombre de loups dans certaines régions, en autorisant notamment les chasseurs à utiliser un avion ou un hélicoptère afin de presser les loups vers un lac gelé ou un autre espace ouvert avant de poser l'appareil pour finalement abattre les animaux épuisés.
La loi sur la gestion intensive a également été appliquée pour réduire les populations d'ours bruns et de grizzlis, bien que les ours aient principalement été affectés par la libéralisation généralisée des règles de chasse. Cette libéralisation se caractérise notamment par la levée des droits de chasse à l'ours, la tolérance du recours aux appâts, l'augmentation du quota d'animaux tués chaque année par un chasseur et la légalisation de la vente de peaux et de crânes. Là encore, l'objectif était d'accroître les populations d'ongulés dans l'intérêt des chasseurs, car les ours jettent parfois leur dévolu sur les jeunes élans et caribous. Du fait de ces mesures, le nombre d'ours bruns abattus par des chasseurs a doublé entre 1980 et 2013, passant de 850 à 1 700.
Compte tenu de leur place au sommet de la chaîne alimentaire, les prédateurs sont des espèces clé de voûte sur lesquelles reposent le bon fonctionnement et la structure des écosystèmes. Des études menées dans le monde entier montrent que le retrait des prédateurs peut entraîner des problèmes en cascade en affectant notamment les populations d'autres espèces végétales ou animales, la façon dont se comportent les maladies dans les écosystèmes et même le volume de carbone capté par ces écosystèmes.
« Des études scientifiques récentes ont démontré l'importance fondamentale des loups et des ours dans la stabilisation des écosystèmes, » indique Ripple. « Une réduction considérable du nombre de grands carnivores peut déclencher une série d'événements capable d'entraîner la dégradation d'un écosystème. »
PING-PONG LÉGISLATIF
À travers les États-Unis, la gestion est souvent le fruit d'une coopération entre les autorités fédérales et étatiques. Pendant des années, le gouvernement alaskien n'a exercé aucune pression pour que les réserves nationales autorisent les formes de chasse les plus agressives, dont certaines étaient d'ailleurs interdites par la législation interne de l'État. C'est dans les années 2000 que la situation a peu à peu évolué, lorsque le gouverneur de l'Alaska, Frank Murkowski, a commencé à faire pression pour que loi sur la gestion intensive soit appliquée et le nombre de prédateurs réduit dans les réserves nationales.
La législation alaskienne sur la faune fait office d'exception aux États-Unis, voire dans le monde, car elle exige que les prédateurs soient gérés de façon à garantir que les populations d'élans, de caribous et de cerfs restent suffisamment fournies pour profiter aux chasseurs.
En 2015, le service des parcs nationaux promulguait une loi dans laquelle il s'opposait à certaines propositions des autorités alaskiennes en interdisant spécifiquement de tuer les mères avec des petits, de tirer depuis un bateau sur des caribous qui nagent ou d'utiliser des chiens pour chasser l'ours.
En 2017, l'Alaska a déposé une requête contre cette nouvelle loi en soutenant que le service des parcs nationaux devait adopter la législation alaskienne sur la gestion des réserves. En d'autres termes, ceux du biologiste Sterling Miller, l'Alaska n'était « pas enclin à reconnaître que le service des parcs nationaux jouissait d'une autorité autre que celle de s'allonger et de faire le mort devant toute demande de l'État. »
L'année suivante, l'administration Trump a commencé à s'attaquer à la loi de 2015. Le service des parcs nationaux a publié une nouvelle évaluation environnementale dans laquelle il concluait que même si les changements apportés aux lois sur la chasse allaient affecter certains animaux, groupes familiaux ou meutes, il ne s'attendait pas à ce que les méthodes de chasse controversées soient adoptées de façon suffisamment répandue chez les chasseurs pour avoir un impact significatif sur les populations.
La loi de 2015 a été abrogée en octobre 2019, un changement qui n'a été rendu officiel qu'en juin de cette année, sans plus d'explication. La nouvelle a déclenché une vague d’indignation et notamment une lettre adressée au département de l'Intérieur des États-Unis de la part de la Coalition to Protect America’s National Parks, une organisation à but non lucratif composée de 1 800 employés, ex-employés et retraités du service des parcs nationaux.
« L'horrible [nouvelle loi de 2020] est un affront à la mission du National Park Service et à tous les employés qui y ont œuvré ces 40 dernières années pour administrer et protéger les ressources et les valeurs des réserves nationales en Alaska, » peut-on lire dans cette lettre. « Appliquer cette loi et ignorer les informations scientifiques ainsi que les enjeux politiques et légaux considérables exprimés dans cette lettre serait déraisonnable. »
Don Striker, directeur régional par intérim de l'Alaska au service des parcs nationaux, a adressé un communiqué écrit à National Geographic dans lequel il déclare que la loi du 9 juin offre une plus grande cohérence entre les territoires fédéraux et étatiques tout en simplifiant la législation pour les chasseurs locaux. « Les interdictions promulguées en 2015 n'étaient pas nécessaires au maintien des populations d'espèces sauvages dans nos territoires sous administration fédérale, » écrit-il. « Le service des parcs nationaux a estimé que leur suppression ne s'accompagnerait pas d'impacts significatifs sur les ressources du parc. »
RÉACTION EN CHAÎNE
Pour défendre sa stratégie de gestion de la faune, l'Alaska fait régulièrement appel à de supposées preuves de réussite, mais la plupart n'ont jamais été démontrées. Ainsi, l'État attribue en partie l'augmentation annuelle de 2 à 4 % d'une population de caribou à ses efforts de réduction du nombre de loups. Cependant, en 2017, des biologistes de l'Alaska Department of Fish and Game ont publié une étude évaluée par les pairs dans laquelle ils constataient l'absence de lien entre l'augmentation des caribous et la diminution des loups, probablement parce que le nombre de loups tués n'était pas assez grand pour avoir un effet : 834 entre 2004 et 2017 d'après les chiffres de l'Alaska Department of Fish and Game. L'auteur principal de l'étude, Rod Boertje, indique par ailleurs que la population de caribous était déjà à la hausse avec l'introduction du contrôle des loups.
La saison de la chasse au loup a ouvert le 1er août en Alaska. En vertu de la nouvelle loi du service des parcs nationaux, les chasseurs peuvent désormais tuer en toute légalité les mères et leurs louveteaux au sein même de leurs tanières dans plusieurs réserves nationales. Au total, les réserves nationales alaskiennes représentent une surface de la taille d'un pays comme l'Autriche.
« D'autres scientifiques ne seraient pas d'accord avec ces résultats, » déclare Eddie Grasser de l'Alaska Department of Fish and Game à propos de l'étude. « Le fait est que la population de caribous est repartie à la hausse lorsque le contrôle des loups a commencé. »
Plusieurs études menées à travers les États-Unis ont montré que, dans la plupart des cas, la réduction des prédateurs n'entraînait pas une augmentation des populations de proie sur le long terme. De plus, elle peut se montrer néfaste pour l'ensemble d'un écosystème en provoquant une hausse incontrôlée des populations d'herbivores. Dans une étude publiée par la revue Biological Conservation, Ripple constate que la disparition ou la réduction des grands prédateurs dans les parcs nationaux de Yosemite, Yellowstone, Zion, Olympique et Wind Cave avait abouti à des changements majeurs dans les communautés végétales et commencé à transformer certaines parcelles en habitats totalement différents.
D'un autre côté, en 1995 et 1996, la réintroduction des loups gris dans le parc national de Yellowstone coïncide avec un retour à la normale de l'écosystème. Le nombre d'élans a diminué, certaines plantes ligneuses ont poussé plus hautes et le nombre de castors a diminué. Cela suggère que le rétablissement des populations de prédateurs dans des lieux où ils ont disparu serait un outil efficace de restauration.
« Pour moi, le plus gros problème, c'est que les Alaskiens ont été bernés quant à l'impact de la réduction des carnivores sur les avantages pour les chasseurs en matière de prélèvement d'élans et de caribous, » déclare Miller. « On leur a vendu des salades. »
Les effets de la nouvelle réglementation sur la faune vont être difficiles à évaluer, ajoute-t-il, car les registres tenus par les autorités fédérales et étatiques ne tiennent pas compte du lieu où ont été abattus les animaux, dans les réserves nationales ou ailleurs. De plus, aucune donnée n'est recueillie sur le nombre de personnes qui pourraient tirer profit des méthodes de chasse désormais autorisées. Au mois d'août, un sondage de l'opinion publique réalisé sur un échantillon de 984 Alaskiens a révélé que 68 % des sondés s'opposaient à la possibilité pour les chasseurs de tuer les louveteaux dans leurs tanières, de tuer les ours en hibernation et d'appâter ces derniers avec de la nourriture humaine.
Par ailleurs, Grasser est convaincu que les nouvelles méthodes de chasse ne connaîtront pas un grand succès. « La plupart des habitants de l'Alaska sont comme moi, » dit-il. « Nous chassons avec une certaine… éthique. Je n'ai jamais appâté les ours, je n'ai jamais tué un animal dans sa tanière et je n'ai jamais abattu un caribou qui traversait une rivière. »
Néanmoins, certains biologistes et gestionnaires de la faune restent inquiets quant aux effets du changement de loi opéré par l'administration Trump sur l'Alaska, sans même parler des répercussions législatives qui pourraient menacer les animaux des autres états. À l'exception du Grand Nord canadien et de la Russie, peu d'autres lieux dans le monde font le poids face aux étendues sauvages de l'Alaska, indique John Schoen, biologiste de la faune de l'Alaska Department of Fish and Game aujourd'hui à la retraite.
« Aucun autre état dans notre pays ne possède encore de vastes et intacts paysages capables de satisfaire les besoins de leurs espèces natives, de leurs communautés et de leurs processus écologiques, » explique Schoen. « Ces régions sont des terres d'intérêt national qui appartiennent à tous les Américains, pas uniquement aux chasseurs alaskiens. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.