Avitrol : un avicide légal mais controversé après la mort de nombreux oiseaux

« C’est une horrible façon de mourir d’un point de vue physique et physiologique »

De Rachel Fobar
Publication 23 oct. 2020, 17:39 CEST
L’Avitrol, un avicide homologué par l’EPA, est interdit dans de nombreuses villes, y compris à New ...

L’Avitrol, un avicide homologué par l’EPA, est interdit dans de nombreuses villes, y compris à New York. Les oiseaux qui l’ingèrent tombent au sol, convulsent et meurent, à la grande horreur des passants.

PHOTOGRAPHIE DE George McKenzie Jr

« Tout va bien », souffle Bonnie Siegfried alors qu’elle essaie de réconforter un pigeon souffrant de convulsions, enveloppé dans une couverture polaire. Le corps de l’oiseau tressaillait violemment et son bec claquait tandis qu’elle le tenait dans ses bras. Il est mort trente minutes plus tard ; Bonnie Siegfried, qui vit à London, dans la province canadienne de l’Ontario, attendait un agent de contrôle des animaux. Elle a publié plus tard une vidéo du pigeon sur Facebook.

Dans les semaines qui ont suivi cet incident, survenu fin août 2020, plusieurs résidents de London ont signalé de nombreux pigeons en détresse tombant des arbres, battant des ailes, convulsant, haletant et finissant par mourir. Une nécropsie réalisée sur les pigeons a conclu qu’ils avaient été empoisonnés à l’Avitrol, un poison chimique destiné aux oiseaux. Son utilisation est autorisée aux États-Unis depuis 1972 par l’Agence de protection environnementale américaine et le Canada l’a à nouveau homologué en 2016, alors que London, d’autres régions du Canada et plusieurs villes des États-Unis l’ont interdit. L’EPA classe l’Avitrol dans la catégorie des avicides, un terme désignant « l’abattage d’oiseaux ».

Principalement utilisé aux États-Unis et au Canada selon la Société nationale Audubon, l’Avitrol est le seul avicide homologué par l’EPA disponible dans le commerce. Le DRC-1339, un autre avicide, est lui aussi homologué par l’organisme, mais seul le ministère de l’Agriculture des États-Unis peut l’utiliser. L’Avitrol est toxique pour tous les vertébrés qui l’ingèrent et est classé comme pesticide à utilisation limitée aux États-Unis. Par conséquent, seuls les professionnels agréés spécialisés dans le traitement des nuisibles peuvent l’employer.

Selon les déclarations d’Avitrol Corporation, le produit constitue une « solution humaine de contrôle des oiseaux » et n’a pas pour vocation de tuer des oiseaux, même si l’entreprise admet que certains d’entre eux meurent après en avoir ingéré. La société décrit le produit comme un « agent chimique destiné à effrayer », qui agit de façon indolore sur les systèmes nerveux central et moteur, causant chez les oiseaux des « comportements similaires à une crise d’épilepsie », « des symptômes tels qu’un vol irrégulier, des vocalises, des tremblements, des pupilles dilatées notamment ». Cette réaction a pour but d’effrayer les autres oiseaux.

Cependant, les défenseurs de la cause animale s’appuient sur des vidéos comme celle de Bonnie Siegfried et une étude réalisée par la Humane Society pour affirmer que l’Avitrol provoque des douleurs et une détresse non nécessaires. En outre, plusieurs événements d’hécatombes d'oiseaux, comme à London, suggèrent que le produit sert à les exterminer plutôt qu’à les effaroucher. Ils craignent également que le poison finisse par tuer la faune sauvage se nourrissant de pigeons, comme les faucons pèlerins menacés d’extinction au Canada, que les gouvernements locaux ont cherché à protéger en limitant l’utilisation du produit chimique.

On peut lire sur le site Internet d’Avitrol Corporation qu’il n’y a eu « aucun signalement » d’empoisonnement secondaire depuis la mise sur le marché du produit il y a 50 ans. Une étude de 2013 publiée dans la revue Journal of Toxicology fait toutefois état de 29 empoisonnements dus à l’Avitrol chez des espèces non ciblées par le produit : 25 chiens, trois chats et un bovin. Un chien est mort suite à l’empoisonnement tandis que cinq autres ont été soignés et se sont rétablis. On ignore ce qu'il est advenu des autres animaux.

Malgré nos nombreuses demandes d’entretien, Avitrol Corporation a refusé de répondre à nos sollicitations.

Les entreprises et nous-mêmes ne manquons pas de raisons pour vouloir nous débarrasser des oiseaux, le plus souvent des pigeons, mais aussi des moineaux domestiques, des merles, des mainates religieux et des corbeaux. Ils sont souvent perçus comme des animaux nuisibles à cause de leurs étrons et peuvent propager des maladies, telle l’histoplasmose, infection transmise par les oiseaux, dont les symptômes comprennent notamment de la fièvre, des frissons et des maux de tête. Quant aux agriculteurs, ils veulent les empêcher de manger l’alimentation destinée à leur bétail. Néanmoins, la Société Audubon indique que de nombreux pays ont décidé de ne plus utiliser de poison pour contrôler les oiseaux dits « nuisibles », et les avicides sont en grande partie interdits en Europe et au Royaume-Uni.

L’utilisation d’avicides dans le monde ne fait l’objet d’aucun suivi de la part des organisations, il est donc difficile de connaître les conditions et le degré de leur utilisation dans de nombreux pays.

L’EPA suit de près l’utilisation des pesticides aux États-Unis, mais a refusé de publier les données relatives à la quantité utilisée chaque année, malgré nos nombreuses demandes de commentaires de leur part.

 

"UNE FAÇON HORRIBLE DE MOURIR"

Selon Stephanie Boyles Griffin, scientifique principale du département de protection de la faune et la flore de la Humane Society des États-Unis, basée à Washington, un avicide comme l’Avitrol est « extrêmement inhumain ». Elle explique que, comme il s’agit d’une neurotoxine, un poison s’attaquant au système nerveux, l’Avitrol peut stimuler en excès les sens et déclencher des crises d’épilepsie. « Toute personne ayant fait des crises de type grand mal sait à quel point elles sont traumatisantes ».

À la place des avicides, la ville de Portland a opté pour des méthodes humaines comme ...

À la place des avicides, la ville de Portland a opté pour des méthodes humaines comme le nettoyage des étrons sur les trottoirs au nettoyeur haute pression et le lâcher d’oiseaux prédateurs pour effrayer les corbeaux et ainsi limiter leurs nuisances.

PHOTOGRAPHIE DE Bob Sallinger

Les personnes ayant vu des oiseaux mourir dans les rues ont signalé les cas à l’autorité chargée de la faune sauvage compétente. Des autopsies ont été effectuées et ont révélé que l’Avitrol était souvent la cause de la mort. Certains gouvernements locaux, notamment ceux des villes de New York, San Francisco, Boulder dans le Colorado et Portland dans l’Oregon, ont interdit l’utilisation de l’Avitrol et d’autres avicides.

Les habitants de Portland ont été bouleversés après deux incidents, l’un en 2014 et l’autre en 2018, au cours desquels les corbeaux « tombaient littéralement du ciel », s’écrasant contre le trottoir, criant et battant des ailes, les yeux roulant dans leurs orbites, se souvient Bob Sallinger, directeur des programmes de conservation pour la Société Audubon de Portland. « Ils étaient couchés sur le côté, battaient des pattes, convulsaient, puis mourraient », dit-il. Leurs cadavres jonchaient le sol de 30 à 40 pâtés de maisons. « C’est une horrible façon de mourir d’un point de vue physique et physiologique ».

Avec ses collègues de la Société Audubon de Portland, Bob Sallinger a ramassé une dizaine d’oiseaux pour analyse. L’Avitrol a été désigné comme cause de la mort, mais la personne ayant répandu le produit n’a jamais été identifiée. 

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    Le 5 juin 2020, au cours d’une réunion de conseil, la population de Portland a répondu à la question « ce produit est-il acceptable dans Portland ? » par un « non retentissant », indique Bob Sallinger. Le conseil a voté en faveur de l’interdiction de l’utilisation de l’Avitrol sur les terrains appartenant à la ville. Même les membres de la communauté appartenant au monde des affaires, dont la majorité a un intérêt à se débarrasser des oiseaux nuisibles, se sont opposés au poison.

    « Il est rare que des mesures soient réellement prises au niveau local concernant les pesticides, mais la situation dont il est ici question a suscité une opposition dans de nombreux lieux où la population ressentait le besoin d’intervenir et de faire ce que l’EPA refuse de faire », explique Bob Sallinger. « Je pense que cela est révélateur du fait que ce produit est incroyablement néfaste et montre à quel point il est irresponsable de l’utiliser ».

     

    UN USAGE RAREMENT CONFORME

    L’étiquetage de l’Avitrol détaille les recommandations de l’EPA pour une utilisation adéquate : une distribution limitée et éparpillée du produit dans des zones offrant une alimentation uniquement pour le nombre nécessaire d’oiseaux ciblés.

    Selon les spécialistes, l’Avitrol est rarement employé conformément à l’utilisation à laquelle il est destiné. Bob Sallinger ajoute qu’il est difficile, voire impossible, de limiter la quantité de poison ingérée par les oiseaux.

    L’EPA précise que seuls les professionnels agréés ayant suivi une formation au sein de l’organisme de réglementation des pesticides de leur État peuvent utiliser de l’Avitrol et qu’elle approuve chaque programme de certification des États. En 2013, l’EPA a complété l’étiquetage de l’Avitrol pour apporter des précisions relatives aux lieux où l’appât peut être mis en place, au contrôle de ce dernier après sa mise en place et à l’élimination des oiseaux morts.

    « L’étiquette [d’un pesticide] fait loi », estime l’EPA. Si un pesticide homologué « n’est pas utilisé conformément à son étiquetage », l’EPA se réserve le droit de suspendre la vente du produit.

    Alors qu’une étude publiée sur le site d’Avitrol souligne que les effets de l’avicide sont « visuellement répugnants », l’entreprise déclare qu’une distribution consciencieuse du produit pour effaroucher les volées d’oiseaux entraîne « peu ou pas de mortalité ». L’EPA abonde dans ce sens, puisqu’elle indique qu’« au vu de la faible mortalité prévue chez les oiseaux résultant de l’utilisation de l’Avitrol par rapport à d’autres alternatives (par exemple, le tir) », le produit reste « humain ».

    Mais, Portland est l’exemple d’une utilisation pas toujours conforme à l’étiquetage de l’Avitrol, souligne Bob Sallinger. L’étiquette de l’EPA précise bien que les utilisateurs du produit doivent ramasser et enterrer ou incinérer les cadavres, ce qui n’a pas été le cas pour les corbeaux morts dans la ville. Bob Sallinger confie avoir passé des jours à ramasser les corps des oiseaux et les mettre dans des sacs poubelle après les hécatombes. « Je pense que l’EPA fait preuve de négligence en accordant une autorisation de commercialisation de ce [produit], car il est impossible de s’assurer que les recommandations figurant sur l’étiquette sont respectées ».

     

    "UN INCONFORT EXTRÊME"

    Que l’Avitrol soit correctement utilisé ou non, le fait que l’entreprise affirme que le produit est humain est « scandaleux », estime Travis Longcore, directeur scientifique de l’Urban Wildlands Group, une organisation à but non lucratif basée à Los Angeles. « Ce produit cause un inconfort extrême chez les oiseaux, très probablement des douleurs, et provoque occasionnellement leur mort pour “effrayer” le reste de la volée », explique-t-il. « C’est tout bonnement cruel ».

    En 2007, la Humane Society des États-Unis avait demandé à Travis Longcore de rédiger un rapport sur la 4-aminopyridine, la substance active de l’Avitrol. Alors que l’entreprise affirmait que les oiseaux étaient « abattus » et « ne pouvaient pas ressentir la douleur » avant que se manifestent les convulsions, le scientifique a découvert que l’exposition à la 4-animopyridine augmentait en fait la sensibilité des nerfs, provoquant une sensation de picotements et des douleurs abdominales.

    L’Avitrol augmente les niveaux d’acétylcholine, un neurotransmetteur qui contrôle les contractions musculaires. Les personnes souffrant de sclérose en plaques peuvent se voir prescrire des médicaments contenant de la 4-aminopyridine et celles ayant accidentellement dépassé la dose recommandée ont « signalé des sensations de brûlure dans la gorge et des gênes abdominales, suivies de nausées, d’irritabilité, de faiblesse, d’étourdissements, “une impression de mort imminente”, une sensation de soif et des essoufflements », peut-on lire dans l’étude de Travis Longcore. En concentration suffisamment élevée, la substance active peut provoquer des convulsions, comme cela a été observé chez les oiseaux empoisonnés à l’Avitrol.

    Dans une étude publiée sur son site Internet, Avitrol affirme que « les animaux ne peuvent pas ressentir de douleurs » pendant les convulsions, « car ils ne peuvent se souvenir de l’expérience ». L’étude avance que cette « observation est confirmée chez les êtres humains ». Mais, Travis Longcore a remarqué un manque de preuves attestant de l’inconscience des oiseaux pendant les crises d’épilepsie et nous savons désormais que les humains peuvent être conscients lors de crises d’origine focale qui commencent dans une région du cerveau.

    Bob Sallinger, de la Société Audubon de Portland, confie que lui et ses collègues ont passé plusieurs ...

    Bob Sallinger, de la Société Audubon de Portland, confie que lui et ses collègues ont passé plusieurs jours à ramasser des corbeaux morts après les hécatombes de 2014 et 2018.

    PHOTOGRAPHIE DE Bob Sallinger

    Enfin, en ce qui concerne la douleur, le scientifique ajoute qu’il est « impossible de poser la question aux oiseaux ». Mais « il est certain qu’ils ressentent la douleur, que ce soit pendant ou après une crise, lorsqu’ils se sont cognés contre le sol ».

     

    QUELLES ALTERNATIVES ?

    Stephanie Boyles Griffin, de la Humane Society, indique que les utilisateurs se tournent vers l’Avitrol en pensant qu’il s’agit d’une « solution miracle ». Malheureusement, « cela est évidemment faux », précise-t-elle. Si le fait de voir des congénères en détresse peut effrayer un temps les oiseaux, ils finiront toujours par revenir.

    Stephanie, qui se décrit comme une « grande passionnée de pigeons », est convaincue que la plupart des personnes ne veulent pas faire de mal à la faune. « En général, elles font preuve de tolérance à l’égard de nos voisins sauvages, comme les pigeons, et en cas de problèmes avec eux, elles préfèrent adopter une méthode non létale et humaine ».

    Selon elle, la bonne nouvelle est qu’il existe de nombreuses alternatives « qui fonctionnent mieux que les méthodes létales et cruelles ». Certaines impliquent un changement de comportement humain, par exemple, ne pas nourrir les oiseaux pour éviter qu’ils ne se rassemblent. Les filets et les pics peuvent également empêcher ou décourager les oiseaux de se poser dans des arbres et sur des bâtiments situés non loin des trottoirs très fréquentés ou des statues, où leurs excréments sont souvent perçus comme une nuisance.

    Une autre solution consiste à « contrôler les populations de pigeons », indique Erick Wolf, directeur général d’OvoControl, la seule entreprise à fabriquer des granulés contraceptifs. Son produit bloque les récepteurs de spermatozoïde des ovules des pigeons femelles. Si les granulés sont mis à disposition dans une mangeoire automatique, les oiseaux s’y rendent tous les jours pour en manger. Selon Erick Wolf, le nombre d’oiseaux et leurs excréments commencent à diminuer en l’espace de trois mois.

    Alors que la ville de Portland était confrontée aux hécatombes de corbeaux, elle a pris la décision de recourir à une autre méthode de nettoyage des trottoirs : une laveuse pour trottoir à conducteur, baptisée non sans humour la « Poopmaster 6000 » (Spécialiste des cacas 6 000, en français). La ville a également fait appel à des fauconniers afin de relâcher des buses de Harris, dans l’espoir d’effrayer les corbeaux et de les faire partir vers un autre perchoir. Cela relève de la « responsabilité [de l’humanité] de coexister avec la faune », déclare Bob Sallinger, de la Société Audubon de Portland.

    Le fait qu’Avitrol Corporation affirme que le produit reste une méthode « humaine » de gérer les populations ...

    Le fait qu’Avitrol Corporation affirme que le produit reste une méthode « humaine » de gérer les populations d'oiseaux est « scandaleux », estime Travis Longcore, directeur scientifique de l’Urban Wildlands Group, une organisation à but non lucratif basée à Los Angeles.

    PHOTOGRAPHIE DE Charlie Hamilton James, National Geographic Image Collection

    Selon lui, au vu des nombreuses alternatives et de l’opposition grandissante face à l’Avitrol, l’heure est venue pour l’EPA de mettre un terme à l’homologation du poison. « Un nombre croissant de municipalités ont dit “Pas dans notre ville”. Je pense que cela est très important et que l’EPA finira par y prêter attention ».

    Celle-ci a d’ailleurs indiqué que l’Avitrol faisait actuellement l’objet d’une révision habituelle de son homologation, qui a lieu tous les 15 ans. D’ici la fin du mois, l’EPA devrait rendre une version préliminaire de l’évaluation des risques de l’avicide, dans laquelle elle décrit la nature et l’étendue des risques sanitaires pour l’Homme et l’environnement. Lesdites évaluations des risques des produits sont régulièrement réalisées et mises à disposition du public pour qu’il puisse les examiner et faire part de leurs commentaires à ce sujet. « L’EPA évaluera soigneusement tous les commentaires transmis lors de la période de concertation », précise l’agence, avant de donner sa décision définitive quant au renouvellement ou non de l’homologation du produit.

     

    Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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