Une population de bisons centenaire va devoir être éliminée de l’île Santa Catalina
Cette espèce invasive a été introduite à Santa Catalina en 1924. Aujourd’hui, les écologistes doivent prendre une décision difficile quant aux conséquences de sa présence sur l’île.
Un bison américain se tient sur des broussailles sèches et de la terre sur l’île Santa Catalina, au large de la côte de Los Angeles. Les bisons ne sont pas originaires de Santa Catalina, ils y ont été introduits en 1924. Depuis, l'île est aux prises avec les effets de la harde sur son écosystème.
En hiver 1924, quatorze bisons d'Amérique de 700 kilogrammes environ sont arrivés dans des caisses dans le port de l'île Santa Catalina, au large de la côte de Los Angeles, en Californie, où ils ont été laissés en liberté, à errer sur les collines.
La légende locale veut qu'ils aient été amenés sur l’île pour le tournage d’un film, bien qu'il n’existe pas de preuves de leurs débuts à Hollywood. Toutefois, au cours du siècle dernier, ils sont devenus les vedettes improbables de l'écosystème de Santa Catalina.
On ne sait pas combien de temps encore cela durera. La harde, qui comptait autrefois jusqu'à 524 têtes, est aujourd'hui réduite à quatre-vingt-dix bisons qui ne se reproduisent plus. Si certains affirment que les bisons font partie intégrante de l'identité culturelle de l'île, d'autres soulignent les problèmes écologiques que pose le maintien de cette espèce invasive.
Santa Catalina se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, confrontée à une décision compliquée sur ce qui est le mieux pour les bisons, son écosystème critique et ses habitants.
Avalon, dont la photo ci-dessus a été prise en 2014, est la seule ville de l'île californienne de Santa Catalina, la plus méridionale des îles Channel Islands. Santa Catalina est un havre de biodiversité qui abrite des espèces qu’on ne voit nulle part ailleurs sur la planète.
LA RAISON DE LA PRÉSENCE DES BISONS SUR L’ÎLE SANTA CATALINA
Les bisons ne sont pas adaptés au climat méditerranéen de l’île de 194 km² située au large du sud de la Californie.
Les raisons de leur venue sont encore incertaines et les récits à ce sujet varient. Le plus répandu, dont les habitants de l’île se souviennent par cœur, dit que les quatorze bisons ont été transportés sur l’île pour le tournage du western The Vanishing American, adapté du roman de Zane Grey.
Pourtant, un détail cloche : « il n’y a pas de bison dans ce film », dit Gail Fornasiere, directrice adjointe des affaires étrangères du Catalina Museum for Art & History. « Pendant longtemps, il a été dit que [la scène des bisons] avait été coupée au montage. Mais une grande partie du film a été tournée en Arizona… donc cela n’a pas vraiment de sens. »
D'autres théories abondent. En 1938, le journal Catalina Islander a raconté la célèbre scène de cavalcade d'un autre film tiré des œuvres de Grey, La ruée sauvage (The Thundering Herd), en affirmant qu'elle avait été filmée à Santa Catalina. Cependant, un article du New York Times de 1925 indique que la scène a été tournée dans le parc national de Yellowstone. Ni l'un ni l'autre ne peuvent être confirmés, car les bobines de film sont introuvables à ce jour.
« C'est encore un peu un mystère », dit Fornasiere, « et il en sera probablement toujours ainsi ».
L’UNE DES NOMBREUSES ESPÈCES INVASIVES QUI POSENT PROBLÈME
« Il y a peu d'endroits sur cette planète qui soient plus beaux que l'île Santa Catalina », déclare Lauren Dennhardt, alors que nous approchons d'un point de vue offrant une vue imprenable sur l'océan Pacifique étincelant.
Lauren Dennhardt est directrice principale de la conservation à la Catalina Island Conservancy, l'organisation à but non lucratif qui gère 88 % des 19 500 hectares de l'île. Santa Catalina, qui est la plus méridionale des îles Channel Islands, joue un rôle géologique essentiel dans la préservation d'une biodiversité qui n'existe nulle part ailleurs sur la planète, comme c’est le cas du renard gris insulaire et du cercocarpe de montagne (Cercocarpus montanus) de l'île de Santa Catalina, l'arbre le plus rare d'Amérique du Nord.
Malheureusement, depuis le 19ème siècle, la biodiversité de l’île fait face à une menace de plus en plus importante : celle de l’industrie de l’élevage qui a introduit des bovins, des chevaux, des moutons et autres herbivores qui ne sont pas originaires de l’écosystème fragile de l’île.
Le plus connu de ces nouveaux venus est le cerf mulet (Odocoileus hemionus), introduit dans les années 1930. Les cerfs, dont s’occupe le California Department of Fish and Wildlife (CDFW), sont en surpopulation et souffrent d'une diminution des ressources, ce qui entraîne une destruction importante de l'habitat et met en péril les espèces uniques et menacées d’extinction de l'île.
En 1990, l'association Conservancy a lancé un plan qui a permis d'éradiquer 12 000 cochons marrons de l'île et 8 000 chèvres maronnes en 2004. Récemment, l'association a proposé un plan similaire, toujours en cours d'examen par le CDFW, pour tuer les 1 800 cerfs de l'île en dernier recours, dans le cadre d'un grand projet de restauration.
Un ongulé n'a toujours pas été éliminé de l'île : le bison, dont l’avenir est un peu plus incertain.
Une personne photographie un cerf mulet sur l'île Santa Catalina en 2023. Ces animaux, comme les bisons et d’autres espèces non indigènes, ont détruit l'habitat végétal de l'île, et une proposition visant à les éliminer a suscité la controverse.
DES HAUTS ET DES BAS
Lorsque William Wrigley Jr, magnat du chewing-gum et propriétaire des Chicago Cubs, a acheté l'île Santa Catalina en 1919, il a investi des millions pour en faire une destination de villégiature haut de gamme, imaginant ce qu'il appelait un « terrain de jeu pour tous ».
Après avoir convenu que les bisons resteraient sur l'île, il en a acquis dix autres en 1934.
À mesure que le troupeau s’agrandissait, il était accompagné par l’enthousiasme des habitants, qui vénéraient ces bêtes géantes comme un symbole de l'île. Dans les années 1950, les magasins vendaient de la bouse de bison peinte en or, appelée « chips de bison ». Dans les années 1970, on attribua au barman Michael Hoffler, de Two Harbors, l'invention du cocktail Buffalo Milk (lait de bison).
Des écotours et des expéditions avec des bisons sont également proposés depuis des décennies, et on trouve dans toutes les boutiques de souvenirs des peluches, des figurines, des t-shirts, des porte-clés et des livres à l’effigie des bisons.
« L'île a créé un lien avec les bisons », explique Fornasiere. « Les habitants sont très protecteurs et fiers de leur histoire. »
Leur célébrité a beau avoir distingué les bisons des autres ongulés invasifs, leur impact sur l'écosystème de Santa Catalina reste le même.
Bien que les bisons contribuent à la régulation de certaines herbes envahissantes, Dennhardt explique qu'ils créent des marécages et provoquent l'érosion. D'autres études scientifiques ont imputé à l'activité des bisons la réduction de la diversité végétale, l'endommagement des plantes endémiques et des espèces d'arbres comme les chênes, et la propagation de graines de plantes non indigènes par leur pelage hirsute et leurs excréments.
Les bisons eux-mêmes souffrent de cette situation.
« Il y a vingt ans, le principal problème rencontré par les gestionnaires était celui de la surpopulation, et les bisons ne se portaient pas bien », explique James Derr, professeur au département de pathobiologie vétérinaire de l'université A&M du Texas. « Ils ne mangeaient pas assez et étaient plutôt maigres. »
Trouver une stratégie de contrôle de la population du troupeau s’est avéré difficile
LE CONTRÔLE DE LA POPULATION DE BISONS
Les premiers efforts de gestion des bisons de Santa Catalina s'inscrivaient dans le cadre d'une initiative nationale visant à restaurer les hardes de bisons sur leurs terres ancestrales dans les Grandes Plaines, où il ne reste aujourd’hui plus que 350 000 bisons sur les quelque 30 millions qui y vivaient au milieu du 19ème siècle.
De 2002 à 2004, la Conservancy a rapatrié des hardes de Santa Catalina dans les réserves indiennes de Lakota, de Cheyenne River et de Standing Rock Lakota, et de Rosebud.
Toutefois, à l'époque, on ignorait que les animaux n'étaient pas des bisons de pure race. Une étude de l'université de Californie du Sud et de l'université A&M du Texas a révélé en 2007 que 45 % des bisons qu’ils avaient analysés avaient de l'ADN mitochondrial de bovins domestiques.
Pour que les bisons du continent restent aussi « purs » que possible, il a été recommandé de ne plus mélanger les bisons de Santa Catalina aux populations naturelles. Au lieu de cela, la Conservancy a eu recours en 2009 à un plan expérimental de contrôle des naissances d'une durée de cinq ans, qui consistait à injecter le contraceptif porcine zona pellucida, extrait d’ovaires de truie, aux bisons femelles.
Aujourd'hui, ces bisons ne se reproduisent plus du tout.
Leur population étant en déclin et constituant une menace constante pour l'habitat de l'île, de nombreuses stratégies de gestion ont été proposées, sans passage à l’action claire. Une étude réalisée en 2005 a élaboré différentes options à prendre en considération, telles que la gestion d'une « harde de bisons relativement petite » et le fait de limiter leur présence à des portions plus restreintes de l'île.
En attendant, on procure à ces bisons, qui sont nettement plus petits que leurs congénères du continent, des abreuvoirs supplémentaires et du foin pour les aider à faire face aux sécheresses permanentes et à des conditions nutritionnelles médiocres.
Néanmoins, tout le monde n'est pas d'accord pour que le troupeau reste sur l'île et certains estiment que les bisons ne sont pas aussi essentiels à l'économie de l'île qu'il n'y paraît.
« Moins de 10 % des visiteurs de l’île se rendent à l’intérieur des terres », a déclaré Calvin Duncan, ancien biologiste de la faune pour la Conservancy à National Geographic. « Une enquête menée sur l'île a révélé que moins de la moitié des nouveaux visiteurs étaient au courant de la présence des bisons sur l'île, et plus de la moitié de tous les visiteurs interrogés ont déclaré que celle-ci n'influencerait pas leur désir d'acheter une visite guidée de l'intérieur des terres. »
« Si on donne la priorité à l'intégrité écologique de l'île, la sécurité des personnes et le bien-être des bisons eux-mêmes, une réduction et une restriction significatives de la population de bisons de Santa Catalina, voire son élimination complète, vont devoir être envisagées », écrit Duncan.
À l'heure actuelle, aucune décision n'a été prise concernant les futurs plans de gestion des bisons, mais la question est réévaluée chaque année. Selon Dennhardt, il s'agit d'une décision qui comporte des « considérations morales et éthiques » et qui doit être à la fois « réfléchie et informée ».
Qu'adviendra-t-il donc de ce troupeau insulaire centenaire ? Seul l'avenir nous le dira.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.