Les poissons suffoquent dans les océans, et les épisodes de mortalité massive se multiplient
Les épisodes de mortalité massive de poissons, qui peuvent être naturels, deviennent de plus en plus fréquents dans le monde. Selon les scientifiques, nous sommes responsables de leur multiplication.
En juin dernier, des milliers de poissons morts ont été découverts sur les plages du sud-est du Texas, une véritable aubaine pour nombre de prédateurs. Très vite, il ne restait plus que des « arrêtes » selon les autorités.
Cette scène de désolation a suscité l’inquiétude des scientifiques et des écologistes quant à la santé des poissons dans nos rivières et océans.
Les épisodes de mortalité massive de poissons peuvent survenir naturellement, à la suite de conditions météorologiques extrêmes, comme les sécheresses, ou d’efflorescences algales. Mais les spécialistes affirment qu’en perturbant les écosystèmes qui permettent habituellement de les contrôler, l'Homme les aggrave, ce qui a un impact disproportionné sur les populations de poissons indigènes, détruit les habitats et pollue les eaux.
EXPLICATION D’UN PHÉNOMÈNE
Le Texas n’a pas été la seule région touchée par ces épisodes de mortalité massive de poissons dernièrement. En mars 2023, des millions de poissons sont morts dans la rivière Darling-Baaka, en Australie. Ils étaient si nombreux que l’on pouvait à peine distinguer l’eau, devenue verdâtre à cause de la chair en décomposition.
Au Texas et dans la rivière Darling-Baaka, comme pour bon nombre des épisodes de mortalité massive de poissons, ces derniers sont morts d’asphyxie. « Les poissons ont succombé, car il n’y avait pas assez d’oxygène dans l’eau », explique Quentin Grafton, directeur du Centre for Water Economics, Environment and Policy de l’université nationale australienne.
Certaines espèces de poissons sont plus vulnérables à l’asphyxie que d’autres. « Les poissons indigènes meurent les premiers », poursuit Quentin Grafton, lesquels sont ensuite remplacés par des espèces invasives plus résistantes. Les épisodes de mortalité massive contribuent donc à la crise croissante de la biodiversité. Selon un rapport publié en 2021 par 16 organisations environnementales internationales, un tiers des espèces de poissons d’eau douce sont menacées d’extinction.
La plupart des poissons retrouvés morts dans la rivière Darling-Baaka étaient des brèmes osseuses, une espèce indigène. L’hécatombe s’est avérée être une aubaine pour les carpes invasives, qui s’en sont nourries.
DES FLUX HYDRIQUES PERTURBÉS
La diminution des niveaux d’oxygène dans les cours d’eau s’explique souvent par les activités humaines menées dans les écosystèmes voisins. Selon une étude récente réalisée par Quentin Grafton, le débit de la rivière Darling-Baaka a rapidement diminué, principalement en raison des prélèvements d’eau excessifs pour l’agriculture effectués en amont.
Selon le chercheur, cette surexploitation « nuit à la santé » des rivières, qui deviennent alors vulnérables aux phénomènes météorologiques extrêmes. Cela a notamment été le cas de la rivière Darling-Baaka, qui a subi d’importantes inondations en début d’année. Celles-ci ont entraîné une explosion des populations de poissons et emporté de la terre et des matières végétales en décomposition dans la rivière, provoquant en retour la prolifération des bactéries et des micro-organismes. Lorsque les eaux se sont retirées, ces bactéries et micro-organismes ont privé la rivière d'oxygène et les poissons, déjà très nombreux, sont morts d’asphyxie.
L’épisode de mortalité massive de poissons survenu en juin 2023 au Texas (dont la plage de Quintana ici photographiée) a été causé par la hausse de la température des eaux peu profondes, un courant faible qui a empêché la bonne oxygénation de l’eau et la couverture nuageuse, qui a bloqué la photosynthèse par les plantes sous-marines.
En temps normal, les poissons quittent les eaux pauvres en oxygène. Mais la rivière Darling-Baaka compte de nombreux barrages, explique Fran Sheldon, hydrologue à l'université Griffith, si bien que la plupart des poissons se sont retrouvés au piège.
Richard Kingsford, écologue spécialiste des cours d’eau à l'université de Nouvelle-Galles du Sud, estime que les rivières soumises à une pression similaire du fait des activités humaines dans d'autres régions du monde pourraient également connaître d'importants épisodes de mortalité massive. Il cite comme exemple d'écosystème menacé le fleuve Colorado qui, depuis 23 ans, est frappé par une grave sécheresse due au changement climatique et à la surexploitation de l'eau pour l'agriculture et la boisson.
« Aucune région du monde n’est épargnée, explique l’écologue. Ces rivières sont en train de se tarir ».
DES NUTRIMENTS PRÉSENTS EN EXCÈS
Ce que les humains introduisent dans l'eau a également un impact. Les exploitations agricoles et les usines, par exemple, répandent souvent des engrais ou des déchets dans les rivières ou les lacs voisins, offrant ainsi aux algues les conditions idéales pour proliférer. Lorsqu’elles meurent, celles-ci servent de nourriture aux bactéries, qui consomment alors l'oxygène dont les poissons ont besoin pour respirer et les font suffoquer.
L'année dernière, par exemple, des canaux situés le long du fleuve Oder, en Pologne, sont devenus toxiques après que des fermes locales et des systèmes d'égouts y ont déversé des déchets chargés en nutriments. D’après les autorités, ces déchets ont favorisé la prolifération de chrysophycées qui ont entraîné la mort de milliers de poissons, obligeant la Pologne et l'Allemagne à ramasser des centaines de tonnes de chair en décomposition.
DES TEMPÉRATURES PLUS ÉLEVÉES
La hausse des températures, souvent due au changement climatique, est une autre cause de mortalité des poissons. L'eau plus chaude contient moins d'oxygène, explique James Renwick, climatologue à l'université Victoria de Wellington.
S’il précise que la hausse des températures peut tuer les poissons des rivières et des océans, elle a un impact particulièrement néfaste sur les poissons marins. « Les zones de pêche sont incroyablement sensibles aux températures, car elles ne varient pas beaucoup », explique-t-il. La température moyenne de la surface de la mer a augmenté d'environ 1°C au cours des quarante dernières années. « Une variation d'un degré de la température de surface est très importante dans la plupart des océans », met en garde le climatologue.
La perte d'oxygène due à l'augmentation des températures a provoqué des épisodes de mortalité massive de poissons dans le monde entier. L'année dernière, des fermes néo-zélandaises d'élevage de saumons ont dû jeter plus de mille tonnes de poissons dans des décharges voisines après que ceux-ci sont morts d’asphyxie à la suite de la hausse rapide de la température de l’eau. L’épisode de mortalité massive qui a touché la côte du Golfe du Texas en juin dernier était également dû au réchauffement soudain de l'océan, qui a privé des milliers de poissons d’oxygène.
DES EAUX POLLUÉES
La cause la plus directe des épisodes de mortalité massive de poissons reste toutefois la pollution de l’eau par les produits chimiques ou les substances toxiques.
Ce phénomène est le plus fréquent dans les pays où les mesures de protection de l'environnement sont insuffisantes. Ainsi, en mars 2022, le gouvernement malgache a autorisé la société minière Rio Tinto à relâcher des centaines de milliers de litres d'eaux usées contaminées par des effluents acides et de l'aluminium dans la rivière Mandromondromotra. Quelques jours plus tard, des milliers de poissons morts se sont échoués sur les rives des lacs reliés à la rivière, ce qui a eu des conséquences dévastatrices pour les communautés locales dépendant de la pêche pour survivre.
Les lois ne permettent cependant pas toujours d’éviter les catastrophes. En août 2019, une aciérie du nord-ouest de l'Indiana a enfreint les lois environnementales en rejetant du cyanure et de l'ammoniac dans la rivière Little Calumet, tuant ainsi des milliers de poissons.
COMMENT PRÉVENIR CES ÉPISODES DE MORTALITÉ MASSIVE DES POISSONS ?
Selon les spécialistes, nous devons repenser en profondeur nos interactions avec les rivières et les océans pour limiter la mortalité des poissons. Pour Quentin Grafton et Richard Kingsford, la priorité est d'établir une relation plus durable entre les communautés humaines et les écosystèmes dont elles dépendent, en contrôlant les substances que l'Homme déverse dans les lacs et les rivières et en limitant les prélèvements en eau.
Il convient ensuite dans un deuxième temps est d'accélérer la lutte contre le changement climatique, estime James Renwick. « Si nous ne faisons rien pour endiguer le réchauffement climatique, les vagues de chaleur océaniques deviendront plus fréquentes et plus intenses, et ces épisodes de mortalité massive se multiplieront », explique-t-il. « Nous devons mettre immédiatement fin à la consommation de combustibles fossiles, ou le plus tôt possible, si nous voulons éviter l’aggravation de ces problèmes ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.