Ces fourmis pratiquent des amputations pour sauver leurs congénères

Ce sont les premières chirurgiennes connues du monde animal : les fourmis charpentières de Floride soignent leurs congénères et pratiquent des amputations précises et proportionnelles à leurs blessures.

De Jason Bittel
Publication 12 juil. 2024, 17:16 CEST
Des chercheurs ont découvert qu'une espèce de fourmi charpentière de Floride (Camponotus floridanus) traite les blessures ...

Des chercheurs ont découvert qu'une espèce de fourmi charpentière de Floride (Camponotus floridanus) traite les blessures de guerre en performant une amputation.

PHOTOGRAPHIE DE Waffa, Shutterstock

Ces dernières années, les scientifiques ont découvert que les animaux se soignaient de diverses façons. Les lémuriens consommeraient des mille-pattes pour se protéger des parasites intestinaux. Les chimpanzés et les orangs-outans ont été observés en train d'appliquer des cataplasmes sur leurs blessures. Et les abeilles sont connues pour border leurs ruches de composants végétaux antimicrobiens.

Des chercheurs viennent de décrire une intervention de soin jamais observée auparavant dans le règne animal : l'amputation. Alors que les humains pratiquent l'amputation depuis 30 000 ans, les chirurgiennes en question ici ne sont que des fourmis ouvrières.

La vie dans une colonie de fourmis charpentières de Floride (Camponotus floridanus) peut être dangereuse, particulièrement lorsque d'autres colonies se trouvent à proximité. Il n'est pas rare pour des colonies voisines de se faire la guerre après le coucher du soleil, et les batailles laissent derrière elles de nombreuses blessées.

« Si la blessure se situe plus haut que le fémur sur la patte, elles procèdent à l'amputation de la patte entière », explique Erik Frank, un écologue du comportement à l'université de Würzburg, en Allemagne. « Si la blessure se situe plus bas, à notre grande surprise, elles ne pratiquent pas d'amputation. »

De plus, les fourmis qui reçoivent un traitement sont plus susceptibles de survivre que les fourmis blessées tenues à l'écart de leurs sœurs. « Non seulement elles pratiquent une autre forme de traitement médical en amputant la patte, mais elles sont aussi capables d'identifier correctement la blessure et d'adapter le traitement », souligne Franck, auteur principal de l'étude publiée dans Current Biology.

 

ON N'ABANDONNE PERSONNE

Tandis que certains lézards peuvent abandonner leurs queues et que certains insectes et arachnides se délestent de leurs pattes lorsqu'ils se font attaquer par des prédateurs, un comportement défensif connu sous le nom d'autotomie, les amputations pratiquées par les fourmis charpentières de Floride sont d'une tout autre catégorie.

C'est en partie parce que la fourmi blessée semble être totalement consentante à la procédure.

« Je trouve ça fascinant d'observer à quel point elles sont coopératives et se laissent amputer », déclare Franck. « On peut les voir présenter leurs pattes blessées et l'autre fourmi, pendant plusieurs minutes, va venir la mordre férocement... Et la fourmi blessée ne semble pas se plaindre. »

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    Des données, qui ne sont pas publiées, suggèrent qu'une cousine éloignée de la fourmi charpentière de Floride, Camponotus fellah, montrée ci-dessus en train de traiter une jambe cassée, semble également pratiquer des amputations.

    PHOTOGRAPHIE DE Bart Zijlstra

    Bien que les scientifiques ne puissent pas vraiment dire comment les fourmis et autres insectes ressentent la douleur, on sait que les choix des fourmis sont plutôt efficaces.

    Pour les blessures situées sur le bas de la patte, les membres de la colonie soignaient la plaie de manière obsessionnelle avec des parties de leur bouche, sûrement pour éliminer les agents pathogènes susceptibles de provoquer des infections létales. Et, d'après les chercheurs, dans ces cas-là, les fourmis soignées par leurs sœurs avaient 75 % de chances de survivre, contre 15 % de chance pour les fourmis blessées au tibia et tenues à l'écart de leurs congénères.

    De la même manière, des fourmis souffrant de blessures au fémur qui n'étaient pas traitées n'avait que 40 % de chances de survivre, contre un taux de survie de 90 à 95 % après amputation. Contrairement à d'autres animaux, comme les salamandres, les pattes de fourmis ne repoussent pas, le seul but de cette pratique est donc la survie.

    Ce ne sont pas les premières fourmis surprises à soigner les blessures de leurs congénères. Erik Frank et ses collègues avaient également découvert que Matabele analis, une espèce de fourmis se nourrissant exclusivement de termites, possèdait une glande produisant des protéines et des composants antimicrobiens, que les fourmis étalaient sur leurs blessures. Cependant, bien que cette glande soit présente chez de nombreuses espèces de fourmis, il semblerait que la fourmi charpentière de Floride l'ait perdue au cours de son évolution. D'après Frank, ce serait la raison pour laquelle l'espèce aurait évolué différemment pour le traitement des blessures.

    « La diversité chez les fourmis est certainement aussi importante que les différences entre des souris, des éléphants et des lions », explique Frank. « Les répertoires comportementaux et l'histoire naturelle des différentes espèces de fourmis sont gigantesques. »

    Une fourmi charpentière femelle (Camponotus fellah) traite la jambe cassée de sa sœur.

    Une fourmi charpentière femelle (Camponotus fellah) traite la jambe cassée de sa sœur.

    PHOTOGRAPHIE DE Bart Zijlstra

     

    « LES AVANTAGES DE LA VIE SOCIALE »

    « C'est une découverte très intéressante », déclare Corrie Moreau, une entomologiste et exploratrice National Geographic spécialiste des fourmis, à l'université Cornell.

    « Non seulement ces chercheurs ont démontré que l'amputation augmentait les chances de survie, mais ils ont aussi montré que les fourmis isolées ne peuvent pas s'arracher la patte et sont plus susceptibles de mourir », précise Moreau dans un email.

    En plus de se défendre, de couver et de diviser le travail, les découvertes prouvent un autre avantage de la vie en colonie. « Qui aurait pensé que se faire arracher la patte par sa sœur serait un autre exemple des avantages de la vie sociale ? », plaisante Corrie Moreau.

    On ne sait pas exactement quelle est la récurrence du comportement d'amputation chez les fourmis, mais des preuves préliminaires suggèrent que d'autres espèces de fourmis charpentières étroitement apparentées peuvent également se couper les pattes pour soigner les blessures. L'équipe d'Erik Frank espère également aborder d'autres questions persistantes soulevées par les preuves, notamment quelles autres stratégies les fourmis peuvent avoir pour traiter les blessures et combattre les infections et comment les animaux et insectes ressentent la douleur.

    Pour Corrie Moreau, l'étude a répondu à une grande question : « Ayant observé les fourmis partout dans le monde, j'ai toujours été émerveillée de voir des fourmis marcher avec seulement cinq pattes », explique-t-elle, « mais je n'aurais jamais pensé que leurs propres sœurs étaient celles qui les avaient amputées ! »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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