Découverte : ces lémuriens sont capables de chanter en rythme

Comme le tic-tac d’un métronome ou le boom-boom-claque de la chanson « We Will Rock You » de Queen, les indris chantent en rythme. Cette capacité, que l’on pensait être l’apanage des humains, ne serait donc pas si exceptionnelle.

De Jason Bittel
Publication 3 nov. 2021, 17:19 CET
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Ici photographié dans le parc national Andasibe-Mantadia, à Madagascar, l’indri est l’un des plus grands lémuriens. L’espèce est aussi considérée comme en danger critique. Ce lémurien est le premier mammifère, mis à part l’Homme, à produire des rythmes dits « catégoriques ».

PHOTOGRAPHIE DE Jason Edwards, Nat Geo Image Collection

Pendant 12 ans, Chiara De Gregorio et ses collègues se sont levés aux aurores, crapahutant dans la forêt tropicale de Madagascar pour observer l’indri, un primate considéré comme en danger critique surnommé le « lémurien chanteur ». Ils ont fait face aux déluges qui ont détrempé leur équipement, aux sangsues et aux lémuriens peu coopératifs. Les efforts des scientifiques ont cependant fini par payer, avec une découverte étonnante.

Après analyse de quelques centaines de chants des primates, les scientifiques ont découvert que les indris chantent selon un rythme uniquement observé chez les humains et les oiseaux jusqu’alors. C’est la première fois qu’un mammifère non humain utilise de tels rythmes, définis comme des notes séparées par un laps de temps fixe.

 

« Les indris sont les seuls lémuriens à communiquer par le chant », explique Chiara De Gregorio, primatologue à l’université de Turin, en Italie, et autrice principale d’une nouvelle étude sur les rythmes chez les indris, parue le 25 octobre 2021 dans la revue Current Biology.

La chercheuse fait ici référence à la tendance de ces animaux à chanter en harmonie en duo, voire même en chœur de plus de deux individus. Les animaux chantent pour retrouver des membres de leur famille dont ils ont été séparés ou pour revendiquer des parcelles de forêt. Il leur arrive aussi d’affronter leurs voisins lors de « batailles de vocalises », indique Chiara De Gregorio dans un e-mail.

À l’oreille humaine, ces sons ressemblent à ceux produits par un enfant muni d’une corne de brume. Mais ces couinements et ces cris révèlent des schémas et des durées de note qui coïncident avec des qualités présentes dans la musique humaine.

Cette découverte est d’autant plus intéressante lorsque l’on sait que le dernier ancêtre commun des indris et des humains (tous deux des primates) vivait à l’époque des dinosaures.

Apprendre que les Hommes et les indris partagent cette forme de rythme « valait bien la peine de passer toutes ces journées à frissonner sous la pluie, à attendre que les animaux chantent », confie Chiara De Gregorio.

 

« INDRIS WILL ROCK YOU »

Afin de mieux comprendre pourquoi le chant de ce lémurien est spécial, vous devez en savoir plus sur les éléments constitutifs de la musique.

En 2015, une équipe de scientifiques a analysé plus de 300 morceaux de musique humaine enregistrés aux quatre coins du monde. Certaines similitudes sont apparues à plusieurs reprises, à travers les continents et les cultures. Les chercheurs ont ainsi découvert plus d’une dizaine de caractéristiques communes à la musique, notamment l’utilisation de tons spécifiques et de la répétition de phrases musicales.

Sans surprise, huit de ces caractéristiques avaient un lien avec le rythme. La musique a tendance à s’appuyer sur des structures en deux temps, connues sous le nom de rythmes catégoriques. Les notes peuvent alors être de la même longueur et créer un ratio 1:1 semblable aux clics d’un métronome, ou alors un ratio 1:2, quand certaines notes sont deux fois plus longues que d’autres.

Pour vous faire une idée du schéma 1:2, pensez à la chanson « We Will Rock You » de Queen, souffle Andrea Ravignani, coauteur de l’étude et biomusicologue à l’Institut Max Planck de psycholinguistique, situé aux Pays-Bas. Le schéma court-court-long des booms et des claquements de main de cette chanson en est un formidable exemple.

« Il s’agit d’un schéma rythmique très courant dans la musique humaine », remarque le biomusicologue.

Il a récemment été démontré que le rossignol progné peut chanter en 1:2, même s’il a une préférence pour le ratio 1:1. L’indri, quant à lui, utilise régulièrement et bien plus que les oiseaux le ratio 1:2, comme l’en attestent des preuves tangibles, souligne Andrea Ravignani.

Étonnamment, les lémuriens achèvent parfois leur chant par une fioriture, connue sous le nom de ritardando en musique classique, qui correspond au ralentissement du tempo, à l’arrêt progressif des dernières notes d’une chanson.

« Ce n’est pas quelque chose de courant », précise Andrea Ravignani. La plupart des animaux « suivent un schéma ou n’en suivent aucun ». Mais selon lui, le fait que les lémuriens puissent alterner entre les rythmes indique une flexibilité impressionnante.

Cette découverte est d’autant plus importante lorsque l’on connaît la situation des indris et des autres lémuriens. Menacés par la chasse et la réduction de leur habitat, il ne resterait qu’entre 1 000 et 10 000 animaux à l’état sauvage selon les spécialistes.

« La situation des indris nous préoccupe beaucoup, car elle est critique », déclare Chiara De Gregorio. « Ils ne peuvent survivre en captivité et disparaîtront avec la forêt ».

 

LA MAGIE DE LA MUSIQUE

Aussi étonnant soit-il que les indris et les rossignols possèdent certaines qualités musicales supposées être l’apanage des humains, cette découverte soulève la question de l’existence d’autres animaux chanteurs, à l’instar des baleines, qui utilisent ces rythmes.

« À ma connaissance, aucune étude semblable à la nôtre n’a été menée chez les cétacés tels que les baleines et les dauphins », indique Andrea Ravignati. « Ce type de recherche sur les éléments constitutifs de la musique chez d’autres animaux en est encore à ses balbutiements ».

De nombreuses études ont été menées sur le chant des oiseaux, mais jusqu’à récemment, rares étaient celles qui s’intéressaient aux rythmes produits par les volatiles, précise Ofer Tchernichovski, biologiste au Hunter College de New York. C’est son équipe qui a publié en 2020 l’étude sur les rossignols prognés.

« Nous avons découvert ce phénomène il y a peu chez les oiseaux. Et voici que cette étude est la première à le découvrir chez des mammifères », poursuit le biologiste, qui n’a pas pris part à l’étude. « Je pense que plus les scientifiques seront nombreux à s’y intéresser, plus nous ferons de découvertes de la sorte ».

L’amour pour la musique est presque universel chez les humains. Elle nous rend heureux, tristes ou romantiques. Elle nous fait danser, pleurer voire nous incite à nous battre. Et pourtant, il est extrêmement difficile d’expliquer ce qu’est la musique ou pourquoi son influence sur nos émotions est si forte.

Selon Ofer Tchernichovski, ces rythmes sont responsables, dans une certaine mesure, des mêmes phénomènes chez les animaux. Que ce soit en matière d’accouplement, de rivalité ou de parenté, celui qui produit ces sons essaie d’avoir une influence sur ceux qui l’écoutent.

« La musique s’apparente vraiment à une sorte de magie », résume le biologiste. « Elle n’a aucune signification. Et pourtant, nous l’apprécions, elle nous attire et donne un sens à nos vies ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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