Ces mères dauphins "babillent" quand elles s’adressent à leurs tout-petits

Une étude menée depuis trois décennies révèle que les grands dauphins, mammifères dont le système de communication est complexe, partagent une caractéristique essentielle avec les humains : ils babillent pour communiquer avec leurs petits.

De Carrie Arnold
Publication 28 juin 2023, 16:15 CEST
Une femelle grand dauphin (Tursiops truncatus) nage avec son petit aux Bahamas. Chaque dauphin possède son ...

Une femelle grand dauphin (Tursiops truncatus) nage avec son petit aux Bahamas. Chaque dauphin possède son propre « sifflement » caractéristique.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Skerry, Nat Geo Image Collection

La vue des joues potelées d'un bébé suffit souvent à faire babiller la personne la plus bourrue qui soit. Les phrases deviennent plus courtes, les sons sont exagérés et le ton est plus chantant. Les chercheurs ont baptisé ce phénomène « parentais », aussi dit « mamanais », ou plus formellement « langage adressé à l'enfant ».

« Nous ne changeons pas les mots que nous prononçons, nous modifions la façon dont nous les prononçons », explique Laela Sayigh, biologiste marine à l’Institut océanographique de Woods Hole et au Hampshire College, dans le Massachusetts.

Seule une poignée d'autres espèces ont montré qu'elles modifiaient leurs cris lorsqu'elles s'adressaient à leurs petits, notamment les diamants mandarins (Taeniopygia guttata), les macaques rhésus (Macaca mulatta) et les singes écureuils (Saïmiri sciureus). Cependant, aucune n'employait le « parentais ». Aujourd'hui, la nouvelle étude de Laela Sayigh, basée sur trois décennies de données en Floride, révèle que les grands dauphins utilisent ce langage : c'est la première fois que ce phénomène est documenté chez une espèce autre que l'Homme.

Il s'agit d'une découverte majeure, reconnaît Rindy Anderson, éco-éthologue à la Florida Atlantic University, qui n'a pas participé à cette étude.

L'étude en question, publiée ce mois dans Proceedings of the National Academy of Sciences, suggère qu’adopter ce comportement « lors de la communication avec les juvéniles leur permet d’apprendre à produire ces sifflements eux-mêmes », indique-t-elle.

 

BABILLAGES

L'apprentissage du langage est difficile. Pourtant, fait incroyable, les nourrissons ingèrent les mélanges verbaux qu’ils entendent et apprennent à construire des phrases avec la structure appropriée.

Comment y parviennent-ils ? La réponse tient à la façon dont nous parlons intuitivement aux bébés. En raccourcissant nos phrases, nous supprimons les mots « inutiles ». L'accentuation des sons rend ceux restants plus clairs. Et, surtout, le timbre de voix est plus haut.

Des études ont montré que ces modifications de langage attiraient et retenaient l'attention des enfants bien mieux qu'un discours conventionnel adressé à un adulte. De plus, lorsque les parents apprennent à utiliser le « parentais », leur tout-petit babille davantage et possède un vocabulaire plus riche.

Les linguistes font une distinction importante entre le « parentais » et ce que l'on appelle communément le babillage. Selon eux, ce dernier consiste en des mots largement inventés, avec une grammaire et une syntaxe incohérentes et incorrectes. Il s’agit de la différence entre dire à un bébé « regarde ce TOUTOU ! » et « regarde-moi ce tout petit chienchien ! ».

C'est pourquoi la liste des espèces qui utilisent le « parentais », plus précis, est jusqu'à présent limitée.

« L'apprentissage vocal est en fait très rare. Sur les millions d'espèces qui utilisent des sons pour communiquer, il n'y a que quelques groupes qui doivent apprendre leur système de communication vocale », explique Rindy Anderson.

 

DES SONS CARACTÉRISTIQUES

Lorsque Laela Sayigh a commencé à travailler avec un groupe de grands dauphins sauvages dans la baie de Sarasota, en Floride, à la fin des années 1980, elle a observé que ces mammifères marins partageaient de nombreuses caractéristiques avec les humains. Par exemple, les mères et leur progéniture vivent au sein de groupes sociaux complexes, unis par un langage tout aussi complexe, mêlant chants et sifflements.

Au fil du temps, la biologiste a commencé à se demander si les femelles n’employaient pas le « mamanais » pour communiquer avec leurs petits. Les mères dauphins allaitent ces derniers pendant deux ans et ceux-ci restent généralement avec elles jusqu'à ce qu'ils aient entre trois et six ans, apprenant à chasser, à naviguer et à rester en sécurité dans l'océan. Les pères dauphins ne participent généralement pas à l'éducation de leurs petits.

La communication des dauphins est profondément différente de celle des humains. La vocalisation la plus courante de ces mammifères est leur sifflement caractéristique, un son unique à chaque dauphin qui permet de l’identifier.

Les dauphins n'utilisent cependant pas le sifflement caractéristique de leurs semblables pour communiquer directement avec eux. Au lieu de cela, ils répètent leur propre sifflement et attendent que l'autre dauphin réponde avec le sien. Selon Kelly Jaakkola, spécialiste en psychologie cognitive et biologiste spécialiste des mammifères marins au Dolphin Research Center de Grassy Key, en Floride, une organisation à but non lucratif qui réalise des recherches sur les dauphins, c'est un peu comme si votre mère se tenait devant votre porte et criait son nom pour vous appeler.

Dans le cadre de ses recherches, l'équipe de l’Institut océanographique de Woods Hole effectue régulièrement des examens vétérinaires sur les dauphins sauvages qui se sont habitués à la présence des scientifiques.

Au cours de ces examens, Laela Sayigh et ses collègues fixaient parfois un petit dispositif d'enregistrement appelé hydrophone sur le front de la mère dauphin, à l'aide d'une ventouse de la taille d'un poing, qu’ils retiraient par la suite.

En analysant les enregistrements de dix-neuf dauphins femelles différents sur une période de trente-quatre ans, Laela Sayigh a découvert que les sifflements caractéristiques des mères dauphins présentaient une plus large gamme de fréquences, les aigus étant plus élevés et les graves plus bas, lorsque leurs petits se trouvaient à proximité. Les sons aigus sont hors de portée de l'oreille humaine.

 

D’INNOMBRABLES QUESTIONS

Pour Kelly Jaakkola, qui n'a pas participé à l'étude, ces travaux constituent « un premier pas extraordinaire ».

« Les données sont incroyables », déclare-t-elle. « Le problème réside dans les interprétations possibles de ce qu'il se passe. »

Les travaux ne portent que sur la communication des dauphins dans un contexte spécifique, ce qui signifie que les scientifiques ne peuvent pas affirmer avec certitude que cette espèce s'adresse à ses petits en « parentais », explique Kelly Jaakkola. Les résultats pourraient par exemple être dus à des changements vocaux causés par la lactation ou encore à d'autres variables inconnues.

Cependant, dans une étude de 2017, les chercheurs ont remarqué un changement identique dans les sifflements caractéristiques des mères dauphins en examinant les effets des bruits d'origine humaine, ce qui conforte les conclusions des auteurs selon lesquelles les dauphins modifieraient leur tonalité en fonction des besoins.

Pour Laela Sayigh, cela soulève d’innombrables et fascinantes questions.

« Je n'arrive même pas à exprimer à quel point ce projet est extraordinaire. Je pourrais y passer trois vies », s’enthousiasme-t-elle.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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