Ces vers marins géants peuplaient déjà les fonds océaniques à la préhistoire

La découverte de terriers datant du Cénozoïque laisse penser que les vers Bobbit jaillissent du sable pour surprendre leurs proies depuis des millions d'années.

De Riley Black
 

Les vers Bobbit peuvent atteindre les 3 m de longueur. Celui-ci a été photographié dans le détroit ...

 

Les vers Bobbit peuvent atteindre les 3 m de longueur. Celui-ci a été photographié dans le détroit de Lembeh, en Indonésie.

PHOTOGRAPHIE DE Ryan Rossotto, Nat Geo Image Collection

Enfoui dans les sédiments aux abords des récifs coralliens, le ver géant attend patiemment l'arrivée d'un malheureux poisson, prêt à l'agripper de sa mâchoire extensible et dentelée pour l'entraîner au plus profond de son terrier. Ces attaques rapides et mortelles sèment la terreur dans les bas-fonds de l'océan.

À en croire la découverte récente de terriers fossilisés présentée dans la revue Scientific Reports, il semblerait que des ancêtres de ces vers marins voraces jetaient déjà leur dévolu sur des poissons insouciants il y a environ 20 millions d'années, dans l'actuel nord de Taïwan.

Mis au jour dans les zones du géoparc de Yehliu et du promontoire de Badouzi, les terriers sont ce que les scientifiques appellent des ichnofossiles, des traces laissées par l'activité d'anciens animaux. Ce type de fossiles est précieux, car il nous offre des informations sur le comportement d'une créature. Dans notre cas, les cylindres préhistoriques mesurant chacun 1,80 mètres de long et 2,50 centimètres de diamètre sont des ichnofossiles probablement laissés par des créatures ayant vécu au Cénozoïque, alors que la région était plongée sous l'océan.

Bien que les vers Bobbit modernes soient connus des scientifiques depuis la fin du 18e siècle, les chercheurs n'ont réellement commencé à les étudier que tout récemment. Les nouveaux fossiles indiquent que ces vicieux vers marins font sans doute partie des écosystèmes océaniques depuis la nuit des temps, ce qui souligne l'avantage évolutif de leur imparable technique de chasse.

 

UN TERRIER PAS COMME LES AUTRES

Les vers Bobbit actuels sont des polychètes, ils appartiennent au même groupe d'animaux que les vers de sable qui produisent de petites bulles lorsque la marée descend sur la plage. Cependant, les vers Bobbit peuvent atteindre une taille bien plus grande que tout ce que vous avez pu voir sur la plage.

La taille de ces prédateurs à l'affût varie de quelques centimètres à près de 3 mètres de longueur et ils sont extrêmement furtifs. En 2009, les employés du Blue Reef Aquarium en Angleterre se demandaient pourquoi leurs poissons ne cessaient de disparaître jusqu'à ce qu'ils trouvent un grand ver Bobbit, surnommé Barry, qui avait réussi à se dissimuler dans les coins et recoins de l'habitat corralien.

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    Ce modèle 3D illustre le mode d'alimentation des vers Bobbit ainsi qu'un scénario possible pour la formation des ichnofossiles, baptisés Pennichus formosae. Les vers Bobbit attendent tapis à l'intérieur de leurs terriers en L et utilisent leurs puissantes mâchoires pour attraper les poissons passant devant l'ouverture.

    Avec l'aimable autorisation de Ludvig Löwemark

    En 2013, un biologiste de l'université de Kochi, Masakazu Nara, parcourait des roches taïwanaises vieilles de 20 millions d'années à la recherche d'empreintes témoignant du mode d'alimentation des raies lorsqu'il est tombé sur une série de curieux terriers. Au départ, il semblait que ces terriers en L avaient été creusés par d'anciennes crevettes, indique Ludvig Löwemark, paléontologue à l'université nationale de Taïwan et coauteur de l'étude. De nombreuses créatures s'enfouissent dans les sédiments du plancher océanique ; les ichnofossiles ne sortaient donc pas tellement de l'ordinaire.

    Néanmoins, les scientifiques ne parvenaient pas à identifier de façon définitive l'origine des fossiles. Ce n'est qu'en 2017, lors d'une conférence internationale sur les ichnofossiles tenue à Taipei, la capitale taïwanaise, que Löwemark et ses homologues ont pu comparer leurs notes. Les terriers ne ressemblaient à aucun autre élément de la chronique de fossiles.

    « Le fait que personne n'ait rien vu de similaire nous a convaincus que c'était une nouvelle espèce fossile, » indique Löwemark.

    Il fallait désormais approfondir le travail d'enquête afin de déterminer quelle espèce avait bien pu creuser ces terriers. « Ce n'est pas un seul élément qui nous a convaincus que ce terrier était celui d'un ver, explique Löwemark, mais plutôt une combinaison de plusieurs éléments. » Les sommets des terriers semblent s'être effondrés et ont laissé des marques en forme de plume sur la roche, ce qui suggère qu'ils ont été utilisés à plusieurs reprises par un animal allant et venant. « L'extrémité en entonnoir témoigne d'un événement violent, » ajoute Löwemark, comme un ver qui jaillit de son terrier plutôt qu'une palourde émergeant lentement du sable.

    Le sommet de ce terrier fossilisé découvert à Taïwan présente une structure d'effondrement en forme de ...

    Le sommet de ce terrier fossilisé découvert à Taïwan présente une structure d'effondrement en forme de plume, semblable à celle des terriers des vers Bobbit actuels.

    Avec l'aimable autorisation de Ludvig Löwemark

    Une peuvre géochimique clé est venue confirmer leurs soupçons. Les sommets des terriers sont très riches en fer, ce qui suggère que leur locataire sécrétait du mucus le long des parois supérieures afin de maintenir la forme de la structure. Des bactéries se sont ensuite nourries de cette substance visqueuse en produisant du sulfure de fer. Cette fortification à base de mucus se retrouve chez les vers Bobbit contemporains. De même, le sable ancien au sommet des terriers semble avoir subi des perturbations régulières, ce qui montre qu'ils étaient probablement occupés par un prédateur à l'affût. Là encore, les vers Bobbit ont le profil parfait.

    « Des terriers aussi grands avec une structure en plume renvoient sans équivoque à ces vers, » déclare le paléontologue de l'université de Bristol, Jakob Vinther, qui n'a pas pris part à la nouvelle étude. La taille des terriers et la façon dont le sable a été altéré par le comportement des invertébrés correspondent également, ajoute-t-il.

     

    L'HISTOIRE DES VERS BOBBIT

    La plupart du temps, les ichnofossiles sont décrits et nommés sans même avoir identifié la créature qui les a créés, témoigne Murray Gingras, paléontologue à l'université d'Alberta. Cela s'explique par le fait que les ichnofossiles et les fossiles corporels sont rarement trouvés l'un à côté de l'autre. Le nouvel article donne le nom de Pennichnus formosae aux terriers fossilisés et défend solidement la thèse du ver Bobbit, observe-t-il, mais des fossiles corporels permettraient de confirmer ce que suggèrent ces empreintes.

    « Puisque le ver est presque intégralement composé de tissus mous, » explique Löwemark, « les chances de conservation sont extrêmement faibles. » Toutefois, la mâchoire proéminente caractéristique des vers Bobbit se compose de protéines durcies et parfois de zinc aux extrémités, ce qui leur laisse donc une plus grande chance d'apparaître dans la chronique de fossiles. « Il me semble que ce type de mâchoire remonte à l'Ordovicien, » indique Vinther, il y a plus de 443 millions d'années. 

    Il existe des fossiles plus anciens attribués à ce type de vers. Des roches âgées de 400 millions d'années en Ontario, au Canada, présentent des traces de vers au comportement similaire à celui des vers Bobbit actuels. Mais alors, pourquoi n'avons-nous pas trouvé davantage de fossiles de ce genre ? Si l'on s'en tient aux caractéristiques singulières et à la taille de ces terriers, de tels ichnofossiles devraient être relativement communs sur les roches des 20 dernières millions d'années, indique Gingras.

    Peut-être les paléontologues apprennent-ils seulement à les reconnaître ? Avec un peu de chance, ils pourraient bientôt être en mesure de suivre les vers jusque dans leurs plus anciens terriers, s'ils osent franchir le pas.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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