Cette araignée mutile les organes génitaux de sa femelle pour l'empêcher de s'accoupler à nouveau
Étude : les mâles d'une espèce d'araignée garantissent leur paternité en mutilant les organes génitaux de leur partenaire, une première dans la nature.
L’amour vache n’est peut-être finalement pas si méchant : d’après une nouvelle étude, certaines araignées mâles mutilent une partie des organes génitaux des femelles pour les empêcher de se reproduire à nouveau.
Ce comportement, qui garantit au mâle la paternité de toute la descendance de la femelle, est le premier exemple d’évolution du comportement des mâles vers la mutilation des parties extérieures de l’appareil reproducteur des femelles.
Publiée le 5 novembre 2016 dans la revue Current Biology, la découverte ajoute une nouvelle nuance à la théorie de la sélection sexuelle selon laquelle les mâles et les femelles d’une espèce luttent parfois jusqu’à la mort pour avoir une opportunité de se reproduire.
« On continue à découvrir des nouvelles formes d’adaptation si étonnantes », commente Jutta Schneider, biologiste à l’université de Hambourg, qui n’a pas participé à l’étude mais a collaboré avec certains de ses auteurs. Les araignées sont particulièrement obsédées par la réussite sexuelle et déploient tout un arsenal allant du cannibalisme à l’autocastration pour se trouver un partenaire.
Mais les chercheurs n’ont pas encore étudié de près la façon dont les mâles s’en prennent aux organes génitaux féminins. Ce sujet s’est imposé par hasard à la biologiste Gabriele Uhl et à ses collègues de l’université de Greifswalf, en Allemagne, alors qu’elle examinait des spécimens femelles de Larinia jaskovi, une espèce issue de la famille des Araneidae native de Sibérie et d’Europe de l’est.
L’équipe a pu observer qu’après l’accouplement, de nombreuses femelles avaient perdu leur scapus, petite bosse en forme de selle de vélo située au-dessus des organes reproducteurs. Mais… pourquoi ?
La main dans le sac
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont utilisé des Larinia jeskovi sauvages afin d’observer consciencieusement leur accouplement en laboratoire. Lorsqu’un mâle parvenait à monter sur une femelle vierge, les chercheurs gelaient le couple à coup d’azote liquide afin d’observer au microscope les organes reproducteurs des araignées encastrés.
Geler les araignées en pleine action n’était pas chose aisée, car leur accouplement ne dure que quelques secondes. « Nous devions être à la fois très rapides et très chanceux » se souvient Uhl.
L’araignée mâle délivre son sperme au moyen de ses pédipalpes, deux membres similaires à des jambes situés près de sa bouche, avec lesquels il agrippe le scapus de la femelle par le haut et le bas.
Les images révèlent que le pédipalpe du Larinia jeskovi mâle saisit et fait tourner le scapus au moment où il se retire de la femelle, ce qui a pour effet de le couper comme avec des ciseaux. Dans l’absence de cette sorte de poignée indispensable, les autres mâles ne peuvent plus du tout agripper la femelle, empêchant celle-ci d’avoir un autre partenaire sexuel.
Voilà une nouveauté dans les habituelles luttes des sexes chez les arachnides. De nombreuses araignées femelles ont plusieurs partenaires sexuels mâles, mais fertilisent leurs œufs avec le sperme de l’un seul d’entre eux. Cette lutte a poussé les mâles de certaines espèces à prendre des mesures radicales, telles que l’autocastration afin de boucher le conduit reproducteur de la femelle.
Dans le cas présent cependant, « les mâles ont trouvé une façon très intelligente d’empêcher les femelles de s’accoupler à nouveau sans avoir recours à l’automutilation » commente Uhl.
« C’est génial et très intelligent » déclare Scott Pitnick, biologiste à l’université de Syracuse, qui félicite également l’équipe scientifique pour avoir observé la structure des organes génitaux de la femelle et ses changements après l’accouplement. « Il est assez choquant de constater qu’on oublie souvent d’aller voir du côté des relations structure-fonction », ajoute-t-il.
Violence ou assistance ?
Selon les chercheurs, ce phénomène pourrait exister chez d’autres espèces que Larinia jeskovi. Les femelles d’environ 80 espèces d’araignées possèdent un scapus potentiellement vulnérable à des attaques similaires en provenance des mâles.
Il reste à confirmer que la femelle en souffre vraiment. L’équipe ne pourra pas le savoir sans étudier leur espérance de vie et leur fertilité dans l’ensemble.
« Nous avons encore du mal avec cette question », déclare Uhl. « Peut-être qu’elle ne fait que subir et qu’il s’agit d’un phénomène imposé par le mâle. »
Cependant, avoir une poignée d’amour à usage unique pourrait également s’avérer bénéfique pour la femelle. Comme les araignées femelles peuvent stocker du sperme viable pendant plusieurs années, le fait de n’avoir qu’un seul partenaire sexuel n’est pas forcément mauvais pour leur fertilité.
De plus, empêcher les autres mâles de s’accoupler avec elles pourrait être une façon efficace de « les repousser », ajoute Pitnick. Cette hypothèse présente un avantage non-sexuel pour la femelle : ne plus devoir partager ses repas durement gagnés avec des prétendants indésirables.
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