Cette minuscule chauve-souris a parcouru plus de 2 400 kilomètres
Un record. Une jeune chauve-souris femelle pesant à peine 7 grammes a parcouru plus de 2 400 kilomètres de la Russie aux Alpes françaises : c'est le plus long vol de chauve-souris jamais enregistré.
Les chauves-souris de l'espèce des Pipistrelles de Nathusius (photographiée ici en Allemagne) hibernent en surface. Elles recherchent donc des endroits plus chauds où passer l'hiver.
Une jeune chauve-souris femelle pesant à peine 7 grammes a parcouru plus de 2 400 kilomètres de la Russie aux Alpes françaises : le plus long vol de chauve-souris jamais enregistré.
Cette chauve-souris Pipistrelle de Nathusius bat ainsi le record précédent établi en 2017 par un autre individu de la même espèce qui avait parcouru 2 222 kilomètres, de la Lettonie à l’Espagne.
Les Pipistrelles de Nathusius sont des chauves-souris européennes qui arborent une fourrure brun-rouge et font une taille de 23 centimètres, ailes déployées. Les scientifiques savaient déjà qu’elles pouvaient migrer sur plusieurs centaines de kilomètres, mais ce nouveau record indique que ces très longs voyages pourraient faire partie de leur cycle de vie, explique Juan Tomás Alcalde, président de l’Association espagnole pour la conservation et la recherche des chauves-souris à Madrid, qui avait enregistré le vol de 2017.
« Deux migrations de chauves-souris de plus de 2 200 kilomètres dans la même direction, ce n’est pas une coïncidence », indique Alcalde dans un e-mail. « Il existe toute une population de cette espèce qui migre sur de très longues distances à travers l’Europe. »
L’exploit de la nouvelle détentrice du record était passé complètement inaperçu jusqu’à ce que Jean-François Desmet, docteur en écologie animale et directeur du Groupement de recherche et d'information sur la faune des écosystèmes de montagne (GRIFEM), décide de s’en mêler.
M. Desmet a été intrigué lorsqu’il a appris que le corps d’une chauve-souris avait été découvert dans un réservoir d’eau près d’un village des Alpes françaises à l’automne 2009. Les habitants avaient pris des photos de la chauve-souris, qui avait été équipée d’un minuscule bracelet en aluminium portant le mot « RUSSIA » accompagné d’un numéro. En utilisant ces images, Desmet a ensuite mis des années à retrouver Denis Vasenkov, un chercheur de l’Académie des sciences russe qui avait bagué l’animal dans la réserve de biosphère naturelle de Darwin, dans le nord-ouest de la Russie.
« Ce n’est qu’en mars 2021 que j’ai fait la connaissance de celui qui l’avait baguée et que j’ai pu échanger avec lui », explique Desmet, dont la découverte a récemment été publiée dans la revue Mammalia. « Cela a permis de révéler l’importance du déplacement de cette chauve-souris. »
Pour Desmet et Alcade, ces chauves-souris parcourent des distances encore plus importantes que celles qui ont été enregistrées. En effet, comme les bracelets ne sont pas équipés de localisateurs GPS, tout ce que les chercheurs savent, c’est où une chauve-souris a été baguée et où elle a été retrouvée.
Comme l’estimation actuelle des 2 400 kilomètres correspond à la distance en ligne droite qui sépare l’arrivée de la destination, il est presque certain que la chauve-souris a parcouru une distance encore plus importante durant son voyage, allant peut-être jusqu’à 3 000 kilomètres, selon eux.
UN LONG VOYAGE
Sur les près de 1 500 chauves-souris que Vasenkov a capturées et baguées au cours de ces vingt dernières années, cette remarquable femelle est la seule à avoir été retrouvée en dehors du pays et à avoir pu être ramenée.
« Cette nouvelle était très prometteuse », déclare Vasenkov, qui étudie la migration des chauves-souris en Russie, dans un e-mail. « Nous avons vérifié plusieurs fois sur des cartes car c’était difficile à croire, même si nous savions que les longues migrations étaient courantes pour cette espèce. »
Les Pipistrelles de Nathusius passent généralement leurs étés à se reproduire et à élever leurs petits dans le nord-est de l’Europe, avant de migrer vers le sud-ouest pour hiberner pendant les mois les plus froids. L’espèce préfèrant hiberner en surface dans des bâtiments ou des arbres, elle a besoin de climats plus chauds que les chauves-souris qui hibernent dans des grottes ou d’autres environnements fermés. (À lire : Les chauves-souris sont les vraies super-héroïnes du monde animal)
La femelle âgée d’un an a probablement longé la côte de la mer Baltique la nuit, s’arrêtant pour chasser des mouches et d’autres insectes et pour trouver des endroits où se reposer, tels que des trous, des fissures dans les arbres ou des nichoirs, explique Desmet.
Selon Vasenkov, la femelle aurait continué à voler à la recherche de températures plus chaudes, ce qui explique pourquoi elle s’est retrouvée dans les Alpes françaises en plein automne, et a connu une mort prématurée et inexpliquée. Il est également possible qu’elle se soit simplement perdue.
UN AVENIR INCERTAIN
Alors que les chauves-souris représentent près d’un cinquième de la biodiversité de la planète, les nombres d’individus de plus de la moitié des espèces connues sont soit inconnus, soit en déclin, d’après un article paru en 2020 dans les Annales de l’Académie des sciences de New York. Selon les experts, en savoir plus sur la migration des chauves-souris ainsi que sur les obstacles à leurs déplacements pourrait aider à mieux les préserver.
En Europe, les populations de Pipistrelles de Nathusius sont considérées comme étant stables, voire en augmentation dans certaines régions septentrionales de leur périmètre de répartition. Mais elles sont souvent retrouvées mortes près de parcs éoliens, déplore Alcalde. Ces petits mammifères sont tuées soit en s’écrasant contre les pales, soit à cause d’un phénomène appelé barotraumatisme : lorsque la pression de l’air change soudainement à proximité des pales d’éoliennes, provoquant une hémorragie chez les chauves-souris.
« Les parcs éoliens sont relativement récents et l’énergie éolienne connaît actuellement une croissance très rapide dans la plupart des pays d’Europe », explique Alcalde. L’utilisation de cette source d’énergie propre dans la région a augmenté de 18 % entre 2020 et 2021, et c’est encore loin de l’objectif souhaité par l’Europe.
« Nous nous attendons à une diminution des populations de chauves-souris migratrices dans un avenir proche », poursuit le président de l’association. Cela s’explique notamment par le fait que les Pipistrelles de Nathusius se reproduisent lentement : elles n’élèvent qu’un seul petit par an au cours de leurs treize années de vie. D’autres chauves-souris migratrices sont confrontées aux mêmes difficultés.
Mais l’avenir de ces petites voyageuses n’est pas si sombre. Alcalde cite des expériences qui démontrent qu’il est possible de modifier les horaires de fonctionnement des éoliennes lors des périodes de migration des chauves-souris : une intervention qui pourrait permettre de réduire le nombre de décès.
Selon lui, ce type de mesures « devrait être mis en œuvre dans tous les parcs éoliens qui présentent une mortalité de chauves-souris… avant qu’il ne soit trop tard ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.