Cette petite île australienne s'est battue contre une invasion de rats… et a fini par gagner

Des centaines de milliers de rongeurs ont envahi l'île de Lord Howe pendant plus d'un siècle et ainsi entraîné la disparition de plusieurs espèces. Après d'immenses efforts d'éradication de ces prédateurs, l'île peut enfin reprendre son souffle.

De Kennedy Warne
Photographies de Justin Gilligan
Publication 25 avr. 2023, 10:30 CEST
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Avant d'être éradiqués en 2019, les rats ont fait des ravages écologiques sur l'île australienne de Lord Howe pendant plus d'un siècle. Environ 300 000 rats et souris, dont ce rat momifié, ont été tués et les spécialistes estiment que l'île est désormais exempte de rongeurs.

PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

Un soir d’été en 2001, deux hommes ont entrepris d’escalader la pyramide de Ball, une flèche rocheuse au large de l’île Lord Howe qui est le vestige d’un volcan à 770 kilomètres au nord-est de Sydney, en Australie. Ils étaient à la recherche d’un insecte qui n’avait pas été vu depuis plus de soixante-dix ans.

Plus tôt dans la journée, les hommes avaient trouvé des excréments d’insectes de taille impressionnante dans la litière d’un arbre à thé situé à environ 60 mètres de hauteur sur le rocher. En braquant leurs lampes de poche sur les pointes de l’arbuste, ils ont trouvé exactement ce qu’ils étaient venus chercher : deux insectes en forme de bâton, de couleur brun doré, tous deux des femelles adultes. Un peu plus tard, ils en ont trouvé un troisième, une nymphe verte.

C’était l’une des découvertes du siècle. Un insecte que l’on croyait éteint avait survécu, et se promenait librement sur un pinacle de 562 mètres de haut, avec pour seule nourriture quelques dizaines de plantes à feuilles épineuses. Et ce n’était pas un petit insecte : connu sous le nom original de homard des arbres, il avait la taille d’un cigare et était aussi lourd qu’un moineau.

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    L'île subtropicale Lord Howe, à 770 kilomètres au nord-est de Sydney, est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO en tant qu'exemple « d'îles océaniques d'origine volcanique abritant un biotope végétal et animal unique ». C'est la plus grande île peuplée à avoir été débarrassée avec succès de ses rongeurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Cet insecte géant était autrefois si courant que les habitants de l’île s’en servaient comme appât pour les poissons. Cependant, comme sur de nombreuses îles du monde, un phénomène est entré en jeu et a fait diminuer drastiquement la population de cet insecte autrefois omniprésent : l’introduction de nouveaux prédateurs, les rats, par l’activité humaine.

     

    L’INVASION D’UNE ÎLE PARADISIAQUE

    Les rats ont été à l’origine de plus de dégâts écologiques sur Terre que n’importe quel autre animal, à l’exception des humains. Leur présence sur les îles entraîne inévitablement des vagues d’extinctions et une réduction radicale des populations d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et d’invertébrés. Ils nuisent également aux plantes en dévorant les fruits, les graines et les jeunes pousses.

    L’île Lord Howe a néanmoins démontré qu’il était possible de renverser la situation. L’éradication des rongeurs permet une réinitialisation écologique et donne l’occasion à des espèces menacées de revenir sur le devant de la scène. « Cette situation est incroyable », se réjouit Hank Bower, responsable environnement de Lord Howe depuis quinze ans.

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    La découverte inattendue de rats sur l'île en 2021, deux ans après la campagne d'éradication initiale, a nécessité le déploiement rapide de stations d'appâts empoisonnés dans la zone où les rongeurs avaient été observés. Une centaine de rats ont été capturés ; aucun n'a été détecté depuis.

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    Les rats faisaient partie intégrante de la vie sur Lord Howe depuis plus d’un siècle. Leur arrivée a été des plus classiques : ils ont déserté un navire en plein naufrage. En 1918, le SS Makambo, destiné au commerce insulaire, s’est échoué à l’extrémité nord de l’île. Il a fini par être remis à flot, mais pas avant que des rats ne s’échappent pour se rendre sur le rivage. En l’absence de prédateurs naturels sur l’île, la population de ces rongeurs a explosé et, en l’espace de deux ans, ils ont dévoré de nombreuses espèces, parfois jusqu’à l’extinction.

    Au total, six espèces d’oiseaux, treize espèces d’invertébrés et deux espèces de plantes ont disparu, et les rongeurs ont rendu la vie difficile aux habitants de l’île. Avec les souris, qui étaient déjà présentes, les rats ont envahi les maisons, rongé les câbles électriques, assiégé les jardins et les vergers. Ils ont également dévasté le seul produit d’exportation important de Lord Howe : les graines et les jeunes plants du kentia, un palmier endémique très prisé en tant que plante d’intérieur.

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    Le pétrel à ailes noires est l'un des quatorze oiseaux marins migrateurs qui se reproduisent sur l'île Lord Howe. Le succès de sa reproduction s'est considérablement amélioré depuis l'éradication des rongeurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Pour tenter de contrôler la population de rats, les autorités de l’île ont décidé de mettre leurs têtes à prix. Les habitants les ont donc abattus, chassés avec des chiens, empoisonnés, et ont introduit plusieurs espèces de rapaces, une tentative peu judicieuse de contrôle biologique qui s’est retournée contre eux lorsque les oiseaux ont commencé à s’attaquer aux proies natives de l’île.

    Tous ces efforts ont à peine diminué le nombre de rongeurs. Lord Howe, une île paradisiaque inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982, était écologiquement endommagée et risquait de perdre de nouvelles espèces.

     

    UN PROJET CONTROVERSÉ

    Dans les soixante-dix dernières années, plus d’un millier d’îles sont parvenues à se débarrasser de leurs prédateurs, une tâche qui semblait jusqu’alors impossible. La plus grande réussite à ce jour a eu lieu en Géorgie du Sud, une île d’une superficie similaire à celle du département du Var, qui a été déclarée exempte de rats en 2018.

    Lord Howe pourrait-elle rejoindre ces îles revitalisées ? Géographiquement, rien ne s’y oppose. Des îles beaucoup plus grandes, avec des terrains tout aussi escarpés, y sont parvenues. Les avantages seraient par ailleurs nombreux : l’intégrité écologique serait restaurée, des espèces menacées seraient sauvées, des touristes soucieux de l’environnement seraient attirés par cette histoire, et un rongeur qui porte des maladies, ravage des jardins et des fruits, et infeste des maisons, serait éliminé.

    Le projet s’est toutefois retrouvé face à un problème de taille : la plupart des îles sur lesquelles les populations de rats ont été éradiquées étaient inhabitées. La présence de personnes rendait ce processus bien plus difficile.

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    Un chien renifleur inspecte la timonerie d'un navire de passage à la recherche de rongeurs clandestins. De telles mesures strictes de biosécurité sont essentielles pour protéger l'île du retour des rongeurs.

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    L’envoi de rodenticides par voie aérienne, qui constitue l’approche la plus efficace, n’est pas réalisable sur une île avec une population humaine. Cela n’est pas dû à un risque potentiel d’ingestion accidentelle par les humains, leurs animaux de compagnie et le bétail, ni au défi que représente la gestion des infrastructures, telles que les bâtiments, qui pourraient abriter des rongeurs. Même le souci de la présence d’agriculture, qui peut fournir aux rats des alternatives aux appâts empoisonnés, peut être contourné.

    Le principal problème que rencontrent les îles habitées est d’ordre politique, les citoyens devant accepter le projet d’éradication et en soutenir l’exécution. Sur Lord Howe, seule une faible majorité des 350 résidents a adhéré à l’idée. Certains opposants au projet pensaient que l’éradication était impossible, et qu’il ne fallait donc pas la tenter, tandis que d’autres s’inquiétaient des conséquences sanitaires du largage de tonnes de poison depuis des hélicoptères. D’autres encore affirmaient que le projet ferait fuir les touristes, qui est un élément essentiel de l’économie de l’île, ou se méfiaient du conseil chargé de l’administration de l’île, des conseillers scientifiques du projet, et parfois de la science elle-même.

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    Les effraies masquées ont été introduites sur Lord Howe dans les années 1920 pour lutter contre les rongeurs. Elles ont prospéré, mais en l'absence de rats, les rapaces s'attaquent désormais aux espèces d'oiseaux natives telles que le râle sylvestre, qui ne vole pas. Des efforts sont actuellement déployés pour éliminer les effraies par le biais de tirs ciblés. Ce sont deux râles sylvestres décapités, qui auraient été tués par l’un de ces rapaces, qui ont conduit les agents chargés de la biosécurité sur le terrain de chasse de cette effraie.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Une telle méfiance peut mener à de la désinformation. Un certain nombre de théories étranges ont ainsi circulé, estimant par exemple que la campagne d’éradication serait une expérience menée par le gouvernement néo-zélandais pour tester les effets de la mort-aux-rats sur une population humaine avant de l’exécuter dans son propre pays. Le projet ferait également partie d’un plan à long terme visant à éliminer les habitants de l’île afin qu’elle puisse retourner à la nature ; et une cabale d’écologistes posséderait des parts dans la société de fabrication de raticides et se remplirait ainsi les poches aux dépens du bien-être de Lord Howe.

    Ses détracteurs affirmaient que, loin de revitaliser l’écologie de l’île, le projet « empoisonnerait le paradis ». Lorsque la question a été soumise au vote en 2015, 52 % des habitants de l’île se sont prononcés en faveur du projet qui a finalement démarré en juin 2019, près de vingt ans après sa première proposition.

     

    UNE PLANIFICATION MÉTICULEUSE

    L’opération, financée par le Lord Howe Island Board, le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud et le gouvernement fédéral, impliquait la distribution aérienne de raticides dans les parties inhabitées de l’île, le déploiement d’environ 20 000 points d’appât dans les zones d’habitat humain, et la dispersion manuelle d’appâts dans une zone tampon entre ces deux zones.

    D’un point de vue logistique, cette campagne d’éradication était l’une des plus complexes jamais entreprises. Deux espèces d’oiseaux de l’île, le râle sylvestre et le grand réveilleur, ont été déclarés à risque d’ingérer du poison en raison de leur taille et de leur curiosité. Certains ont donc été gardés en captivité. La plupart des poulets ont été retirés de l’île ou placés dans des installations dans lesquelles les rongeurs ne pouvaient pas pénétrer. Par mesure de sécurité, le lait des vaches laitières était quant à lui détruit quotidiennement.

    Le principe de l’éradication d’une espèce sur une île est que chacun des prédateurs, sans exception, doit rencontrer un appât. L’équipe du projet a donc dû placer des dispositifs dans plus de 600 structures, des maisons aux chambres d’hôtel, en passant par les hangars, les magasins, et les combles où des rats ou souris pouvaient potentiellement vivre.

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    Gauche: Supérieur:

    L'île Lord Howe abrite une grande diversité d'espèces endémiques d'escargots, dont beaucoup étaient gravement menacées par la prédation des rongeurs. Des espèces que l'on croyait disparues sont redécouvertes, telles que ce magnifique escargot hélicarionide, dont la coquille mesure près de 5 centimètres de diamètre.

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    Les études sur les escargots menées depuis l'éradication des rongeurs ont permis de découvrir des espèces qui n'avaient été que rarement observées pendant des décennies. Ont notamment été retrouvées deux espèces du genre Parmellops, un type d'escargot terrestre dont la coquille est trop petite pour que l'animal puisse s'y rétracter.

    Photographies de Justin Gilligan

    Cette exécution méticuleuse a porté ses fruits. À la fin du mois d’octobre 2019, plus aucun rongeur n’était trouvé, et les plantes et les animaux de l’île ont recommencé à prospérer. Selon les biologistes, les espèces ont été « libérées » de la pression exercée par les prédateurs. La population de râles sylvestres, qui ne s’élevait qu’à une vingtaine d’individus dans les années 1970, atteint désormais les 800 individus, et le pétrel à ailes noires, un oiseau de mer qui niche dans des terriers, a également connu un essor.

    Avant l’éradication des rats, le succès de la nidification du pétrel n’était que de 2,5 %, car, selon des caméras de surveillance placées sur les terriers, les rongeurs s’emparaient de leurs œufs et des oisillons. En 2020, ce taux a atteint les 67 %. Selon les estimations, la population de pétrels à ailes noires dans le monde atteint les 10 millions d’individus : l’espèce elle-même n’est donc pas menacée. Tout comme d’autres oiseaux marins, les pétrels jouent cependant un rôle important dans les écosystèmes insulaires en transférant les nutriments de l’océan vers la terre, c’est pourquoi il était important d’assurer leur sécurité sur l’île.

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    Terry O'Dwyer, scientifique au département de l'Environnement de Nouvelle-Galles du Sud, contrôle un nid de pétrel à ailes noires. En 2017, en raison de la prédation des rongeurs, seul un des quarante nids de pétrels a produit un oisillon. En 2021, le succès de la reproduction est passé à vingt-trois nids sur quarante-six.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Lorsque des prédateurs sont éradiqués de la sorte, il n’est pas rare que des espèces négligées et sous-estimées se rétablissent, et soient remarquées et célébrées. Les escargots terrestres endémiques de Lord Howe ont connu un tel rebond. Soixante-dix espèces n’existent que sur l’île, ce qui en fait la plus grande concentration d’espèces différentes d’escargots terrestres d’Australie. Leurs populations se sont effondrées après l’arrivée des rats ; plusieurs espèces, dont l’élégant Coenocharopa elegans, ont été menacées d’extinction tandis que d’autres ont vu leur population chuter.

    En 2016, dans le cadre d’une étude de recensement des escargots de l’île, en deux semaines de prospection, les chercheurs n’avaient trouvé qu’un seul individu d’escargot apparenté à Coenocharopa elegans. En 2020, après l’éradication des rats, ils en ont trouvé soixante-treize. Des augmentations similaires ont été observées chez d’autres espèces d’escargots et mollusques ; l’une d’entre elles n’avait pas été vue depuis plus d’un siècle.

     

    LA « RENAISSANCE ÉCOLOGIQUE » DE LORD HOWE

    La rapidité de ce rétablissement a surpris les habitants de l’île. « Je n’aurais jamais cru que ce serait aussi rapide », confie Jack Shick, guide de montagne dont la famille habite l’île depuis cinq générations. Autrefois, il était rare pour les visiteurs d’apercevoir un râle sylvestre sur Lord Howe, mais « aujourd’hui, c’est le premier oiseau qu’ils voient. Ils apparaissent dans des endroits où ils n’avaient jamais été auparavant. »

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    Lors de la campagne d'éradication des rongeurs, la plupart des râles sylvestres de l'île ont été gardés en captivité afin de s'assurer qu'ils n'ingèrent pas accidentellement des appâts empoisonnés destinés aux rongeurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Ces râles ne sont pas les seuls oiseaux à avoir fait leur grand retour. Les zostérops à dos gris, les noddis gris, les colombines turverts et les siffleurs dorés jouissent tous des effets de l’absence des rongeurs. « Je guide des visiteurs sur le mont Gower [le plus haut sommet de Lord Howe] depuis trente ans, et je n’avais jamais entendu de bébés siffleurs dorés chanter », raconte M. Shick. « Depuis douze à dix-huit mois, j’entends les bébés siffler dans les montagnes. C’est fantastique. »

    Le rétablissement des plantes dans la forêt tropicale de l’île est tout aussi impressionnant. Le sol de la forêt est désormais recouvert d’un tapis de jeunes pousses qui se disputent l’espace et la lumière ; leur retour témoigne de l’immense quantité de graines et de jeunes pousses que les rongeurs dévoraient avant leur éradication. « Maintenant, on voit beaucoup de baies et de graines de palmier sur le sol », ajoute M. Shick. « Nous n’avions jamais vu cela auparavant. Les rats les mangeaient avant qu’elles n’arrivent à maturité. Toutes ces graines peuvent désormais germer et grandir. »

    Selon M. Bower, ancien responsable environnement de l’île pour le patrimoine mondial de l’UNESCO, il s’agit d’une véritable « renaissance écologique ». Les espèces endémiques de l’île ne sont pas les seules à être revenues. « Nous entendons à nouveau les grillons la nuit, ce qui était rare jusqu’à maintenant. »

    La plante succulente Carpobrotus glaucescens a commencé à décorer l’île pour la toute première fois ; selon Bower, comme de plus en plus de plantes, elle n’avait encore jamais été vue ici. En juillet dernier, une blatte endémique a été redécouverte, alors qu’elle n’avait pas été vue depuis les années 1930.

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    Le sommet du mont Gower, le point culminant de Lord Howe, est recouvert d'une forêt nuageuse qui abrite un certain nombre de plantes endémiques, dont le petit palmier Lepidorrhachis mooreana, une espèce menacée, ainsi que des animaux endémiques tels que des escargots terrestres.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Cette liberté écologique a toutefois un prix : la vigilance permanente. Sur Lord Howe, cette dernière prend la forme d’un système de surveillance visant à garantir que les rongeurs ne feront pas leur retour. Les dispositifs de ce programme sont principalement installés aux points d’entrée de l’île : l’aéroport et le quai, où un navire de charge apporte des provisions d’Australie tous les quinze jours. Les cargaisons sont triplement contrôlées par des chiens, et le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a récemment alloué un budget conséquent à l’amélioration de la biosécurité des infrastructures de transport maritime. Les habitants de l’île sont également invités à signaler tout signe de présence d’un rat ou d’une souris.

    En avril 2021, alors qu’aucun rongeur n’avait été repéré depuis plus de dix-huit mois, un habitant a aperçu deux rats traverser une route de l’agglomération de l’île en pleine nuit. Un choc et une frayeur pour l’équipe du projet qui a rapidement réagi en installant des points d’appât supplémentaires et en effectuant des recherches à l’aide de chiens renifleurs. Dans les trois mois qui ont suivi, près de 100 rats ont été éliminés.

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    Caitlin Woods, membre d'une équipe d'étude des escargots organisée par le Musée de Sydney, recherche des escargots endémiques au sommet du mont Gower.

    PHOTOGRAPHIE DE Justin Gilligan

    Aucun rongeur n’a été observé sur l’île depuis juillet 2021. Pour des organisateurs de voyages comme M. Shick, ce seul fait est remarquable. « Je ne pouvais pas faire une seule excursion sur le mont Gower sans voir un rat traverser le sentier devant moi, ou observer des traces indiquant qu’ils avaient mâché des plantes et des graines ou leurs excréments tout au long de la piste », explique-t-il. « J’ai grandi avec les rats, je connais les signes de leur présence, et je n’en trouve plus aucun. »

     

    RÉINTÉGRER DES ESPÈCES DISPARUES ?

    L’île étant exempte de rongeurs, les habitants pensent désormais aux espèces qui pourraient être réintégrées. Certaines pourraient venir de l’île Norfolk, à 800 kilomètres au nord-est, où subsistent plusieurs sous-espèces étroitement apparentées à des oiseaux disparus de Lord Howe. Le rhipidure gris, la perruche, la ninoxe d’Australie, mais aussi la gérygone, un oiseau de la famille des passereaux qui n’a pas été observé sur l’île depuis les années 1920, pourraient ainsi y faire leur retour.

    Les amateurs de nature de Lord Howe voudraient voir la réintroduction du fameux phasme. Deux ans après la redécouverte de l’espèce en 2001 sur la pyramide de Ball, deux paires y ont été recueillies dans l’espoir de les voir se reproduire en captivité. L’une des deux paires, surnommée Adam et Ève, a été confiée au zoo de Melbourne, et au départ, les perspectives n’étaient pas bonnes. Ève est tombée gravement malade, mais a été soignée grâce à une cure de feuilles d’arbre à thé broyées, de sucre et de calcium.

    Heureusement pour l’espèce, les phasmes femelles peuvent produire une progéniture sans l’aide de mâles. Ève a ainsi pondu 248 œufs, et plusieurs milliers d’insectes ont depuis pu être élevés.

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    Gauche: Supérieur:

    Les spécialistes pensaient que les rongeurs avaient entraîné l'extinction du phasme de l'île Lord Howe, autrefois commun sur l'île. Cet insecte a été redécouvert en 2001 sur les falaises de la pyramide de Ball, un pinacle rocheux situé à 19 kilomètres de la côte et qui est exempt de rongeurs.

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    L'espèce a été élevée avec succès en captivité, dans l'espoir qu'elle puisse un jour être réintroduite sur l'île Lord Howe. Cependant, certains des oiseaux disparus à cause des rats se nourrissaient des insectes ; sans ces prédateurs, leur nombre pourrait donc ne pas être contrôlé.

    Photographies de Justin Gilligan

    Les scientifiques envisagent d’effectuer une tentative de lâcher d’insectes sur l’île de Blackburn, à 800 mètres au large de Lord Howe. Si celle-ci porte ses fruits, une réintroduction à plus grande échelle sera alors envisagée.

    Ian Hutton, biologiste, guide touristique et conservateur du musée de l’île, estime néanmoins qu’il faudra faire preuve de prudence. Les rats ont en effet radicalement remodelé l’écologie de l’île, et il est possible que certains des oiseaux dont ils ont causé l’extinction aient été des prédateurs de ces insectes. « Sans ce prédateur, leur nombre pourrait devenir incontrôlable », s’inquiète-t-il.

    Le maintien de l’équilibre écologique est crucial, et c’est l’une des raisons pour lesquelles M. Hutton est impatient de réintroduire des oiseaux de Norfolk. « Ils pourraient assurer la fonction de prédateur dont nous avons besoin. »

    Cependant, l’harmonie sociale est tout aussi importante que l’équilibre écologique. « Il ne faut pas que des scientifiques imposent leurs idéaux à une communauté », explique M. Bower. « Si nous voulons procéder à des réintroductions, nous devrons aller à la rencontre de la communauté, et procéder à de véritables consultations avec elle. »

    Le projet d’éradication des rongeurs a en effet semé la discorde, en partie car de nombreux habitants le percevaient comme une initiative extérieure qui leur était imposée.

    Pourtant, pour les habitants de l’île comme M. Shick et M. Hutton, qui se rendent régulièrement dans les forêts et constatent leur régénération, la perspective d’une écologie revigorée est formidable. « Il ne s’agit pas seulement de se débarrasser d’un parasite, mais aussi de voir que nous pouvons restaurer l’écosystème », conclut M. Hutton.

    La National Geographic Society, qui s’engage à mettre en avant et à protéger les merveilles de notre monde, finance depuis 2023 le travail de l’explorateur Justin Gilligan visant à raconter l’histoire du monde naturel. Pour en savoir plus sur le soutien de la National Geographic Society aux explorateurs qui mettent en valeur et protègent des espèces essentielles, cliquez ici.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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