Comment un grizzli a-t-il pu s'intégrer dans une meute de loups ?
On pourrait s’attendrir en imaginant que l'ours est devenu un membre honoraire de la meute. En réalité, cette rencontre inter-espèces, qui a eu lieu dans le parc national de Yellowstone, a pour principale motivation la recherche de nourriture.
Un grizzli se promène dans le parc national de Yellowstone en 2015. En 2021, un autre grizzli a été observé aux côtés d'une meute de loups.
Par une journée enneigée d'octobre, juste au sud d'une route du parc national de Yellowstone, dans le Wyoming, Joshua Welter a repéré une meute de loups gris. Pas n’importe laquelle car parmi ces loups se trouvait un membre singulier : un grizzli.
Welter et son groupe de visiteurs ont été émerveillés de voir le grizzli se mêler aux loups pendant de longues minutes avant de s’en séparer.
« Nous n'avions jamais vu de telle interaction », déclare Welter, qui travaille depuis douze ans à Yellowstone ou dans ses environs et qui est aujourd'hui guide pour l’agence de voyage Yellowstone Wildlife Profiles.
Il affirme que le même ours a été repéré avec les canidés à plusieurs reprises au cours des deux semaines suivantes, une période anormalement longue pour un grizzli qui s'attarderait autour d'un même groupe de loups, selon Clayton Lamb, scientifique spécialiste de la faune sauvage à l'université de Colombie-Britannique et au cabinet d'études Biodiversity Pathways.
Généralement, les grizzlis ne sont pas les bienvenus parmi les loups, qui les chassent lorsqu'ils s'approchent trop près de leur meute et inversement, les ours effraient les loups qui pénètrent sur leur territoire. La vidéo de cette rencontre, qui a eu lieu en 2021 mais qui n'a été publiée que récemment sur Reddit, semble être le signe d’une trêve temporaire entre ces deux prédateurs de haut niveau. Quelle pourrait en être la raison ?
On pourrait s’attendrir en imaginant que l'ours est devenu un membre honoraire de la meute, mais en réalité, la nourriture constitue la principale motivation.
Selon Daniel MacNulty, écologiste de la faune sauvage à l'université d'État de l'Utah, il arrive que des ours s'emparent de la proie d'une meute de loups s'ils sont suffisamment affamés.
« J'ai déjà observé ce type d'interactions entre une grande meute comme celle-ci et un seul ours », explique-t-il. « On peut avoir l'impression que les loups sont en train de jouer avec l'ours, ou vice versa, mais honnêtement, je pense que les deux espèces y voient un intérêt. »
LE RATIO RISQUE-RÉCOMPENSE
Les grizzlis et les loups interagissent plus souvent qu'on ne le pense étant donné que les deux espèces vivent en grand nombre à Yellowstone.
Dans ce parc national, on voit plus souvent les grizzlis en automne, lorsqu'ils cherchent à consommer le plus de nourriture possible avant d’entrer en hibernation. Pendant cette période, appelée « hyperphagie », les ours prennent des risques pour emmagasiner davantage de calories, par exemple en volant la nourriture des loups, explique Aimee Tallian, scientifique au Norwegian Institute for Nature Research, qui étudie les interactions entre les loups et les ours.
« Il est possible qu’il y ait une carcasse à 400 mètres de distance que l'on ne peut pas voir », explique Aimee Tallian. « Il s'agit d'une question de risque et de récompense, voilà ce qui compte, y compris dans le type de situation de tolérance que l'on observe dans cette vidéo. »
Le calcul est probablement le même chez les loups quand ils décident de chasser un grizzli qui risque de blesser des membres de la meute s'il se défend, ajoute-t-elle. Il n'est pas rare qu'un ours affamé vole de la nourriture à d'autres animaux, notamment à des corbeaux et à des pumas. Les grizzlis vont parfois jusqu'à s'allonger sur la carcasse pour se l'approprier.
Les grizzlis « sont principalement des charognards et des opportunistes quand il est question de nourriture », ajoute Lamb. Si l'ours de Yellowstone suivait les loups, il constituerait « essentiellement un parasite » pour la meute.
En 2022, Tallian a dirigé une étude à Yellowstone, qui a révélé que la présence d'un ours peut réduire le taux de mortalité global d'une meute de loups, probablement parce que les loups attendent de voir si le grizzli laisse des restes après avoir volé leur proie. Souvent, cette pratique est moins dangereuse pour les loups que le fait de se lancer dans une autre chasse, car les canidés peuvent être blessés par leurs proies, comme les élans.
UN LIEU PRIVILÉGIÉ POUR OBSERVER LA VIE SAUVAGE
Il est rare qu'un grizzli se déplace avec une meute de loups pendant des semaines. Néanmoins, Yellowstone est l'endroit idéal pour ce type de comportement. Contrairement aux forêts denses de Scandinavie, où Tallian n'a pas encore vu de loups, les grandes étendues d’herbe du parc national américain permettent d'observer la faune sauvage de manière optimale.
« À Yellowstone se trouvent de très grandes meutes de loups », explique Lamb. « Il n’est pas rare que les grizzlis se mêlent à eux, mais ils le font dans des paysages très ouverts et faciles à observer. Il peut être difficile d'observer ce type d'interactions inter-espèces dans d'autres endroits. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.