Qu’est-ce que le "kelping" chez les baleines ?
Ce comportement fascinant consistant à jouer avec des algues a récemment été mis en lumière par une nouvelle étude. S’agit-il d’une forme de jeu ou d’une routine de soin ? Cela reste à déterminer.
Une baleine à bosse nage avec son baleineau au large de Rarotonga, la plus grande des îles Cook, dans le Pacifique Sud. Les baleines à bosse font partie de ces espèces de baleines qui pratiquent le « kelping », ou le fait de jouer avec les algues à la dérive dans l'océan.
Les baleines à bosse sont connues pour leur culture fascinante : ces animaux énigmatiques migrent chaque année sur des milliers de kilomètres, émettent des chants envoûtants, bondissent hors de l'eau, et chassent en équipe à l’aide de filets de bulles qui piègent leurs proies.
Aujourd’hui, les chercheurs attirent l'attention sur le fait qu'elles jouent avec du varech à la dérive, s'enroulant dans ces amas d'algues, les déplaçant avec leurs nageoires, et, plus intriguant encore, les portant sur la tête à la manière d’un couvre-chef.
Ce comportement, appelé « kelping » (de l’anglais kelp, qui signifie varech), a été qualifié par une nouvelle étude de « phénomène mondial ». L'étude en question recense des exemples de ce comportement chez des baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) du monde entier, tirés de plus d'une centaine de publications sur les médias sociaux, preuve que ce comportement ludique est bien plus répandu que ce que l'on croyait.
Le kelping a tout l’air d’une activité amusante. Mais pourrait-il avoir une autre finalité ? Cela ne fait aucun doute selon Olaf Meynecke, chercheur à l'université Griffith et co-auteur de l'étude, surtout si l'on considère que les baleines peuvent passer une trentaine voire une quarantaine de minutes à jouer avec des algues.
« C’est consacrer beaucoup de temps à un petit morceau d’algue », souligne-t-il. « Les baleines doivent y trouver d’autres avantages. »
Une baleine joue dans les algues dans la baie de Fundy, située entre les provinces canadiennes du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.
Considérant la douceur et la précision dont usent les baleines pour déplacer le varech avec tout leur corps, il pourrait s'agir, selon Meynecke, d'un exercice de mobilité, baleines devant faire preuve de dextérité et de coordination pour se nourrir ; ou plus simplement, d'une activité agréable et bénéfique pour la peau.
DEPUIS QUAND LES BALEINES PRATIQUENT-ELLES LE KELPING ?
Le kelping a été observé pour la première fois en 2007 mais les baleines à bosse ne sont pas les seules à adopter ce comportement. D’autres espèces à fanons, dont les baleines grises et les baleines franches boréales et australes, ont également été observées en train de jouer avec des algues.
Meynecke s’est intéressé au phénomène après avoir visionné des vidéos de kelping et lu une étude de 2012 sur le sujet. Il avait déjà vu trois vidéos de kelping réalisées avec des drones, sans aucun lien entre elles, et se demandait combien de vidéos similaires pouvaient circuler.
Pour recueillir davantage de données sur cet étrange comportement, il a effectué des recherches sur les médias sociaux à l’aide de mots clés comme « kelping », « baleine à bosse », « baleine » et « algues », et est tombé sur des centaines de publications, que son équipe a toute analysées.
Plus Meynecke avançait dans ses recherches, plus il lui paraissait évident que ce comportement n’avait rien d'un cas isolé : « Dans l’eau, il est difficile de faire tenir quelque chose sur la peau : ça colle mal et ça a plutôt tendance à glisser », explique-t-il.
Un bébé cachalot se repose dans un banc de sargasses. Le kelping a été observé pour la première fois chez les baleines en 2007, mais une nouvelle étude montre que ce comportement est bien plus répandu qu’on ne le pensait.
Ce béluga (Delphinapterus leucas), baptisé Wilma par les habitants de la région, joue avec une fronde de varech dans la baie de Chedabucto, en Nouvelle-Écosse. Bien que la dernière étude sur le kelping ne se soit penchée que sur les baleines à bosse, il semblerait que d’autres cétacés jouent avec des algues.
Heidi Pearson, professeure de biologie marine à l’université de l’Alaska du Sud-Est, qui n’a pas participé à l'étude, a assisté à des scènes de kelping sur son site de recherche à Juneau, en Alaska. Un jour, elle a remarqué qu'une femelle appelée Barnacles semblait empêtrée dans un fil de pêche. Il s’est avéré qu’elle « jouait avec ce varech » drapé sur son dos.
Pearson précise qu’elle n’a cependant « jamais documenté ce comportement de manière quantitative », et ajoute qu’elle ignorait jusqu'au fait « qu’il existait un terme consacré pour désigner ce comportement ».
DES CHAPEAUX EN ALGUES
Fait particulièrement fascinant, des baleines à bosse de différentes populations (dans l’hémisphère Nord comme dans l’hémisphère Sud) préfèrent toutes placer les algues sur la tête, souligne Meynecke. Dans plus de la moitié des cas recensés, elles placent même le varech sur leur front.
À en croire les scientifiques, les espèces à fanons aiment se faire gratter la tête ; il n’est d’ailleurs pas inhabituel que les baleines grises s’approchent de bateaux d’observation pour se faire chatouiller le nez.
Comme les baleines n’ont pas de mains pour se gratter, Pearson suggère « qu’elles recherchent d’autres sensations tactiles agréables ».
Le varech, dit-elle, est « visqueux, glissant et lisse. C’est une sensation très agréable d’en avoir sur la peau, et j’imagine que ce doit l’être aussi pour les baleines. »
DES SOINS POUR LA PEAU ?
Les baleines pourraient également se servir du varech comme d’un masque nettoyant car ces algues ont des propriétés antimicrobiennes qui, par définition, peuvent réduire les niveaux de bactéries. En frottant du varech sur leur corps, elles pourraient également déloger les parasites, empêcher la prolifération de bactéries et virus et éviter d’être « complètement recouvertes » de poux de mer et d'infections cutanées, explique Meynecke.
« Il est tout à fait plausible que le kelping ait des bienfaits hygiéniques et curatifs reconnaît Pearson, et je ne pense pas que les deux s’excluent mutuellement. Il pourrait s’agir d’un jeu comme d'une moyen de prendre soin de leur peau. »
Autre fait curieux, les baleines mettent aussi du varech dans leur bouche, comme si « elles voulaient qu’il touche une partie de leurs lèvres qu’il leur est impossible de nettoyer autrement », explique Meynecke, un peu comme si elles utilisaient du fil dentaire.
« Ce n’est pas naturel pour les baleines de saisir quelque chose avec la bouche », ajoute-t-il. « Ce ne sont pas des chats : elles ne chassent pas avec leurs dents, puisqu’elles n’en ont pas. »
En fin de compte, ajoute le scientifique, « nous n’en aurons jamais le cœur net puisqu’on ne peut leur poser la question ».
Cette baleine à bosse joue avec du varech en Alaska. Si ce comportement semble amusant, les experts affirment qu’il peut présenter d’autres avantages pour les baleines, qu’il s’agisse pour elles d'une façon d’améliorer leur mobilité ou de prendre soin de leur peau.
LE RÔLE DE LA SCIENCE CITOYENNE
De nombreux particuliers disposent aujourd'hui d’appareils photo et de drones toujours plus performants, un phénomène qui, selon Meynecke, facilite la documentation du kelping. Les séquences filmées par les drones sont particulièrement utiles pour l’observation scientifique par rapport aux images fixes, ajoute-t-il, car elles permettent de déterminer « ce que faisait l’animal avant et après et pendant combien de temps il adopte ce comportement ».
Cette étude « n’aurait jamais été diffusée sans ces gens exaltés par le fait d’avoir observé une baleine se mettre du varech sur la tête, et qui ont partagé leur expérience sur internet », ajoute Meynecke.
Comme l’étude a attiré l’attention de chercheurs du monde entier, la boîte de réception de Meynecke a été inondée de messages de personnes ayant elles aussi assisté à une scène de kelping. Un habitant de Tahiti lui a d’ailleurs confié que le phénomène était là-bas extrêmement courant.
Des recherches plus approfondies pourraient être menées pour étudier le comportement et ses avantages, et déterminer quelles autres espèces pratiquent le kelping.
Ce béluga (Delphinapterus leucas), baptisé Wilma par les habitants de la région, joue avec une fronde de varech dans la baie de Chedabucto, en Nouvelle-Écosse. Bien que la dernière étude sur le kelping ne se soit penchée que sur les baleines à bosse, il semblerait que d’autres cétacés jouent avec des algues.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.